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siasme par les populations riveraines. D'où la conclusion, qu'elles verraient avec satisfaction s'établir entre elles et la France, des relations commerciales directes, sans l'intermédiaire de l'étranger. Ce que le capitaine Magnan avait tenté, une nouvelle entreprise, celle de la Compagnie franco-danubienne, essayait de le réaliser.

L'intérêt du commerce français, dans les provinces danubiennes, étant ainsi démontré, on ne pouvait qu'applaudir à des essais qui tendaient à lui ouvrir un important débouché, et à une politique, celle du Gouvernement, qui, en fermant la porte à toute influence exclusive et prédominante dans les provinces danubiennes, favorisait des efforts qui devaient être fructueux dans l'avenir.

Par une sorte d'hommage à la politique française au dehors, Paris voyait se conclure vers la même époque (5 mars) entre le représentant de la Grande-Bretagne, lord Cowley, et l'ambassadeur persan Ferroukh-Khan, le traité qui devait mettre fin aux différends qui s'étaient élevés entre les deux puissances. Toutefois on pouvait douter de la durée d'une pacification que des intérêts divergents, rivaux, compromettaient trop souvent. Remarquons aussi, que ce traité était conclu précisément au moment où l'on répandait le bruit d'une convention secrète entre la cour de Téhéran et celle de Saint-Pétersbourg. Interpellé à ce sujet, lord Palmerston avait répondu qu'il n'avait aucune connaissance d'un traité de ce genre. Ce qui ne levait guère les doutes.

Il était constant au contraire, que la France et la Perse avaient conclu (12 juillet 1855) un traité d'alliance et de commerce promulgué par un décret du 14 février 1856. Le traité débutait à la manière orientale : « Au nom du Dieu clément et miséricordieux, sa haute Majesté l'Empereur Napoléon III, dont l'élévation est pareille à celle de la planète Saturne, à qui le soleil sert d'étendard, l'astre lumineux du firmament des têtes couronnées, le soleil du ciel de la royauté, l'ornement du diadème, la splendeur des étendards, insignes impériaux, le monarque illustre et libéral.

» Et Sa Majesté élevée comme la planète de Saturne, le sou

verain à qui le soleil sert d'étendard, dont la splendeur et la magnificence sont pareilles à celles des cieux, le souverain sublime, le monarque dont les armées sont nombreuses comme les étoiles, dont la grandeur rappelle celle de Djemschid, dont la munificence égale celle de Darius, l'héritier de la couronne et du trône des Keyaniens, l'Empereur sublime et absolu de toute la Perse.

» L'un et l'autre également et sincèrement désireux d'établir des rapports d'amitié entre les deux États, ont voulu les consolider par un traité d'amitié, de commerce réciproquement avantageux et utile aux sujets des deux hautes puissances contractantes.

» A cet effet ont désigné, pour leurs plénipotentiaires, etc. (Ici la désignation et la mention des titres et qualités de l'envoyé extraordinaire français, M. Prosper Bourée) et S. M. l'Empereur de toute la Perse, S. E. Mirza-Aga-Khan, son premier ministre, Eetamad-El-Dowlet (confiance du Gouvernement), décoré de l'Etoile de l'ordre du Lion et du Soleil, en diamants, de la classe d'Amir-Touman avec grand-cordon vert et rouge, du portrait de S. M. le Schah, 1re classe, et de la croix d'Amir-Nouyan, avec le grand-cordon vert, insigne distinctif du premier personnage du royaume, et porteur du sabre, du bâton en pierreries et de la ceinture en perles fines. » Suivent les articles du traité (V. le texte à l'Appendice) dont voici les principales stipulations : Faculté réciproque aux deux hautes parties contractantes d'entretenir l'une auprès de l'autre des envoyés qui seront traités sur le pied des représentants des nations les plus favorisées (art. 2); protection assurée aux sujets qui visiteraient le pays de l'une ou l'autre puissance qui, en même temps, pourraient réciproquement apporter, par terre ou par mer, dans l'un ou l'autre empire, et en exporter toute espèce de marchandises et de produits, les vendre, les échanger, les acheter, les transporter en tous lieux sur le territoire de l'un et de l'autre Etat (art. 3); droits à payer dans ces divers cas pour les marchandises importées ou exportées par les sujets respectifs des puissances contractantes: ceux que paient les sujets de la nation la plus favorisée (art. 4); quant aux procès: entre Français et Persans, décision

du juge de cette dernière nation, en présence d'un employé de l'agent ou consul français; entre sujets français, compétence de l'agent ou consul de leur nation; enfin, entre sujets français et sujets d'autres puissances également étrangères, c'est à leurs consuls ou agents respectifs qu'il appartiendra de juger (art. 5). Pourra, chacune des parties contractantes, nommer trois consuls résidant, ceux de la France à Téhéran, à Bender-Bouchir, à Tauris; ceux de Perse à Paris, à Marseille et à l'île de la Réunion (art. 6). »

Dans le courant de janvier (24), le représentant de la cour de Téhéran, Ferroukh-Khan, remit à l'Empereur, en audience publique, les lettres qui l'accréditaient auprès de Sa Majesté.

« J'ai été chargé, dit l'ambassadeur, par ordre de Sa Majesté le très-puissant Chahinchah de l'Iran, mon auguste souverain et bienfaiteur, de porter à Votre Majesté Impériale les compliments et les félicitations de mon souverain. Puis l'ambassadeur s'applaudit d'avoir reçu sa mission en un temps où la France était comblée des bienfaits du ciel.

» Sire, ajoutait S. E., je viens en France après la conclusion d'un traité entre la Perse et le puissant empire de France, un fait qui avait toujours été l'objet des espérances et des vœux des deux États... D

Réponse de l'Empereur: « Je suis heureux que votre souverain vous ait chargé de m'apporter ses félicitations. Lorsque la guerre a éclaté en Orient, j'ai cherché avec plaisir à reprendre avec la Perse nos anciennes relations, et sa neutralité ne nous a pas été inutile. Aujourd'hui je m'applaudis du traité de commerce conclu entre nos deux pays, car des rapports commerciaux bien établis cimentent toujours l'amitié des peuples. C'est avec peine que j'ai appris la guerre qui s'est allumée entre vous et l'un de mes plus intimes alliés; mais je forme des vœux pour que votre mission dans cette partie du monde hâte le retour d'une paix durable. »

L'Empereur s'exprimait ainsi vers l'époque où se concluait entre son Gouvernement et la Grande-Bretagne une convention jugée avantageuse par chacune des parties contractantes. En échange du territoire d'Albreda, enclavé dans les possessions

anglaises, et de la renouciation de l'Angleterre au droit de commerce à Portendic, le gouvernement français obtenait le précieux avantage de priver les Maures du Sénégal (V. Colonies), des ressources qu'ils trouvaient dans le commerce anglais pour nous faire la guerre.

Le traité (V. l'Appendice) ne contenait qu'un petit nombre de dispositions. Renonciation par S. M. la reine de la GrandeBretagne au droit de commercer depuis l'embouchure de la rivière Saint-Jean jusqu'à la baie et au fort de Portendic inclusivement (article 1); cession de la part de l'Empereur des Français de la factorerie ou comptoir d'Albreda, sur la rive septentrionale de la Gambie, de même que de tous les droits de possession ou autres attachés à ladite factorerie (article 2). Suivaient les clauses accessoires résultant du principe de renonciation et de cession réciproques énoncés dans les deux premiers articles.

Comme le firent justement remarquer certains organes de la publicité anglaise (le Times, le Daily-News), le traité dont on vient de lire la substance, bien que touchant à un objet de peu d'importance au premier aspect, faisait honneur au bon sens et à la modération des deux gouvernements. Il réglait deux questions qui, depuis quarante ans, avaient menacé de se convertir en sujets de contestation. La cession d'Albreda assurait en droit la domination de fait que l'Angleterre possédait sur la rivière de Gambie; d'autre part, la cession faite à la France du droit de commercer à Portendic lui assurerait peut-être le monopole du commerce de la gomme et la concentration de ce commerce dans les établissements qu'elle possède sur la rivière du Sénégal.

Une convention plus ancienne, signée à Londres le 14 janvier, ne fut pas accueillie avec la même faveur unanime. Il s'agit des droits de pêche sur les côtes de Terre-Neuve. Et d'abord, il convient de retracer l'historique de ces droits en ce qui concernait les deux nations.

En vertu du traité d'Utrecht, la Grande-Bretegne était devenue possesseur de l'ile de Terre-Neuve; toutefois les sujets français pouvaient s'y rendre pour pêcher, faire sécher le poisson, enfin élever les constructions nécessaires à la pêche. Ce

droit pouvait s'exercer depuis le cap Bonavista jusqu'à la pointe septentrionale de l'ile, et, depuis cet endroit, tout le long de la côte occidentale jusqu'au lieu nommé Point-Riche. En même temps il était interdit aux sujets français d'élever des fortifications sur cette ile. Le traité de Paris de 1763, confirmatif de la disposition du traité d'Utrecht, régla la cession à la France des iles Saint-Pierre et Miquelon pour servir de refuge aux pêcheurs français; en même temps, S. M. très-chrétienne s'engageait à ne pas fortifier les îles susdites et à ne pas les faire servir à un autre usage qu'à faciliter la pêche. Depuis, les traités de Versailles (1783) et de Paris (1814 et 1815) reconnurent ce droit des Français.

De fréquentes querelles s'étant ensuite élevées entre les pêcheurs des deux nations sur la côte de Terre-Neuve, la dernière convention eut précisément pour objet « d'écarter à l'avenir toute cause de mésintelligence relativement aux pêcheries sur les côtes de Terre-Neuve et sur celles qui en sont voisines, en réglant exactement les droits et priviléges des sujets des deux nations. Pour la France ces pêcheries ont beaucoup d'importance, puisque ses marins acquièrent dans cette partie du monde l'audace et le coup d'œil si nécessaires à cette profession. Les habitants de Terre-Neuve apprirent avec une jalousie inquiète ce qu'ils appelaient les empiétements des Français ; ils prétendirent que le gouvernement anglais n'avait pas le droit de conférer ce privilége exclusif de pêche à des étrangers aux dépens des sujets anglais. « Nous serions plus ou moins que des hommes, disait le comité de l'Assemblée de Terre-Neuve, si nous n'avions éprouvé un amer désappointement en apprenant que notre mère (la Grande-Bretagne) qui n'étendrait certes pas la main pour nous assister, a bien voulu l'étendre pour donner à des étrangers le pain de ses enfants. » Ces doléances eussent été de nature à faire impression si elles avaient eu quelque chose de fondé. Mais on ne donnait rien aux Français; on ne faisait que leur restituer un droit suspendu de fait durant les guerres de l'empire, et les habitants de Terre-Neuve avaient vu dans cette suspension une prescription. En réalité, la convention qui leur causait tant de souci ne faisait que reconnaître un droit

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