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Restaient les questions politiques proprement dites : une entre autres qui, en présence surtout du conflit germano-danois, avait le don de passionner les esprits, c'était ce qu'on appelait le scandinavisme, c'est-à-dire le projet de réunir sur une seule et même tête les couronnes de Danemark, de Suède et Norwége. Nous avons fait remarquer (Ann. 1856), que des spéculations philosophiques ou littéraires, elle avait commencé à entrer dans la sphère de l'application. Discutées avec la modération caractéristique de ces pays, en Suède et en Norwége, les tendances scandinaves s'étaient manifestées ensuite avec une véhémence telle, que le gouvernement de Copenhague s'en était ému et les avait dénoncées à l'Europe (Circulaire du 20 fév.) par l'organe de M. de Scheel (V. Danemark), à quoi la couronne de Suède répondit par une circulaire signée Lagerheim et datée du 4 avril. La circulaire de M. de Scheel, y disait-on, avait été mise sous les yeux du Roi, qui, non sans un vif étonnement, avait pris connaissance de cette pièce diplomatique « nullement motivée par un acte quelconque du gouvernement de Sa Majesté » et qui renfermait une dissertation touchant une question réservée jusqu'ici au domaine de la discussion littéraire. » Mais cette assertion n'était pas absolument exacte, témoin les preuves de royale sympathie, données à la cause du scandinavisme que nous avons rappelées (V. Ann. 1856). Le Roi, continuait la circulaire, n'avait pas jugé convenable de répondre à cette communication tant qu'elle n'avait eu qu'un caractère confidentiel. Mais il n'en pouvait plus être ainsi du moment qu'elle était devenue l'objet d'une polémique générale.

Et la circulaire en réponse s'attaquait surtout à cette phrase de M. de Scheel, « qu'il ne voulait pas examiner si réellement la conduite observée par les Gouvernements du Nord avait été la plus appropriée aux circonstances et à celle qui aurait dû être choisie, s'il avait été possible de mesurer d'avance les proportions que prendrait l'agitation scandinave. »

La réplique royale était empreinte d'une certaine dignité: le Roi ne reconnaissait à personne le droit de jeter d'une manière officielle un blâme direct ou. indirect sur les actes de son Gouvernement. Comme il arrive à presque tous les documents

diplomatiques, le surplus de la circulaire signée Lagerheim n'était guère explicite. « Avait-on besoin d'ajouter, qu'on ne s'était en aucune manière concerté avec le Gouvernement touchant l'affaire en question..? On connaissait d'ailleurs les sentiments personnels du Roi pour Sa Majesté danoise et l'intérêt que portait le souverain à la nation voisine. >>

En fin de compte, on faisait observer dans le document que nous venons d'analyser «qu'on ne s'était nullement concerté avec la cour de Suède « touchant l'affaire en question, et qu'aucune explication préalable y relative n'avait été ni demandée ni obtenue. » C'est-à-dire que, de part et d'autre, on réservait la question. Mais elle était au fond des masses scandinaves, et, nonobstant les réticences diplomatiques, elle était discutée avec ardeur. Seulement tous n'entendaient pas la solution de la même manière. Les uns pré tendaient aller droit au but sans s'arrêter aux moyens; les autres acceptaient les tempéraments, et, par exemple, respectaient les droits acquis, ceux des dynasties en particulier. Tout le monde s'accordait sur ce point, que le maintien de l'annexion des Duchés allemands au Danemark était incompatible avec une Scandinavie unitaire et exclusive de tout élément étranger. En dernier lieu, un auteur également attaché aux deux pays, M. de Blixen, proposait, dans une brochure intitulée : Le scandinavisme envisagé au point de vue pratique, cette singulière issue : l'adoption l'une par l'autre, et réciproque, des dynasties de Danemark et de Suède et Norwége. Voilà où en étaient les choses; et, quoique la cour de Copenhague repoussât, actuellement et en principe, le scandinavisme, parce qu'il amènerait la séparation des Duchés allemands, peut-être devait-on désirer pour son repos que ce long et embarrassant conflit fùt tranché dans ce sens.

Ce qui était désormais un fait accompli, c'est la participation du gouvernement de Stockholm à l'abolition des péages danois sur le Sund, et qui bientôt, réclamée partout, allait devenir générale. Soumis à l'acceptation des Chambres, le traité conclu à cet effet avec le cabinet de Copenhague reçut leur sanction.

Cette session vit adopter ou proposer diverses autres modifica

tions importantes surtout dans les questions constitutionnelles ou civiles. Première innovation : lors de la discussion du projet de réforme religieuse, les quatre Chambres constituant les Etats délibérèrent en commun.

La santé du Roi donna bientôt de l'opportunité à une proposition destinée à modifier le chapitre de la Constitution intitulé Regerings-form (Forme du Gouvernement) et relatif à la régence, en cas d'absence ou de maladie du Roi. Le projet présenté à cet effet conférait dans ce cas au régent toute l'autorité que la Forme du gouvernement reconnaissait au souverain luimême, mais avec des restrictions assez nombreuses. La Diète actuelle laissa à celle qui lui succéderait le soin de régler définitivement cette question constitutionnelle. Il fallut bientôt y aviser provisoirement. Il était trop vrai qu'une altération profonde s'était déclarée dans la santé du roi Oscar. Longtemps on eût voulu se dissimuler la gravité de cette maladie, attribuée en partie aux travaux auxquels le chef de l'Etat s'était livré depuis la réunion de la Diète. Mais enfin l'intérêt public exigea, que le Rei remit le fardeau des affaires au prince royal, son fils ainé, âgé de trente-deux ans. Cette décision ayant été communiquée (11 septembre) aux Etats, ceux-ci déférèrent au prince CharlesLouis-Eugène la régence « avec toute la puissance et autorité du Roi, conformément à la loi fondamentale, jusqu'à ce que S. M. fût en état de reprendre le Gouvernement.» Ainsi la Diète conférait au régent une plénitude de pouvoir, que ne lui aurait pas concédée le projet de loi primitivement soumis à sa sanction. Tant il est vrai que les assemblées délibérantes se laissent parfois entraîner à des jalousies de prérogatives, que les circonstances leur font ensuite abandonner! En vertu d'une résolution analogue du storthing norwégien, le prince royal prenait, dès la même époque, le gouvernement des deux royaumes réunis, ainsi que cela résulte de l'ordonnance royale (V. Appendice) du 25 septembre.

L'expédition des affaires put continuer de la sorte au sein des Etats et du Gouvernement. En résumé, la Diète adopta d'autres résolutions importantes : elle étendit le droit de représentation de la bourgeoisie, donna son assentiment à la proposition royale

ayant pour objet une organisation plus étroite des relations mutuelles de commerce entre les deux royaumes scandinaves, vota une augmentation des traitements des fonctionnaires et des allocations nouvelles en faveur de l'instruction primaire et de l'enseignement secondaire, décida enfin la fortification de la capitale.

Le comité pour les affaires constitutionnelles avait recommandé aussi aux quatre Chambres une autre résolution importante. Jusqu'alors, quand le Roi, usant de sa prérogative, avait conclu un traité avec une puissance étrangère, il en donnait simplement avis à deux membres à portefeuille du Conseil d'Etat; il était donc arrivé assez souvent que les autres ministres ignoraient la conclusion de conventions internationales, et n'en apprenaient l'existence qu'au moment de la publication par les journaux. C'est à cet inconvénient que le comité constitutionnel voulut parer, en proposant aux quatre Chambres une loi par laquelle aucun traité d'alliance ou d'acquisition de territoire ne pourrait plus être conclu, sans qu'au préalable le projet n'eût été soumis par le Roi à l'avis et à la discussion de tous les ministres, sans exception, lesquels composent le Conseil d'Etat du royaume.

Parmi les lois civiles il convient de distinguer celle qui ouvrait à l'étranger, domicilié depuis trois ans dans le royaume, après autorisation à cet effet, la faculté de s'y faire naturaliser, et, par suite, l'accessibilité à toutes les charges et fonctions, moins celle de ministre du Roi. Seulement la naturalisation ne pouvait avoir lieu qu'en vertu d'une loi votée par la représentation nationale et sanctionnée par le Roi, ce qui existait déjà dans la charte norwégienne.

Venaient les questions économiques et financières. En première ligne, les projets du Gouvernement relatifs aux chemins de fer. Ils tendaient au vote immédiat d'un complet réseau de voies ferrées dont la dépense évaluée à 110 millions de banckthalers eût été en partie couverte par l'emprunt. Ce projet développé avec talent par le ministre Grippenstedt, devant les quatre Chambres réunies pour la première fois, du 4 au 8 juin, échoua devant les représentations assez plausibles de l'opposition qui

de

argumenta de ce que la Suède n'avait point de dettes, de ce que les travaux simultanés que nécessiterait l'exécution du réseau proposé entraîneraient d'immenses dépenses, de ce que la nature même du commerce du pays n'exigeait pas tout d'abord un tel sacrifice, en tenant compte surtout des ressources qu'il trouvait dans les admirables cours d'eau qu'il tenait de sa situation géographique. Et l'opposition concluait que mieux valait achever les lignes commencées, à savoir: celle du sud-ouest, Malmoe au lac Finja; celle de l'ouest, de Gothembourg à Oerebro, et plus tard à Stockholm; celle enfin de la frontière de Norwége jusqu'à Arvika. D'où une dépense qui s'élèverait tout au plus au tiers de la somme demandée par le ministre et suivant son projet même, et l'on n'aurait nul besoin de recourir à l'emprunt. Trois Chambres sur quatre se rendirent à ces raisons. Notons cependant que l'élaboration préparatoire des propositions du Gouvernement n'avait pas fait prévaloir ce résultat, et que le comité financier des quatre Chambres, après trois mois d'examen, s'était d'abord montré favorable aux idées du ministre.

La crise commerciale qui avait frappé, vers la fin de l'année, une partie des places européennes, s'étant fait sentir aussi en Suède, le Gouvernement soumit à la Diète (12 décembre) une proposition tendante à l'autorisation de contracter un emprunt de 12 millions de thalers, destiné à venir en aide au commerce et à l'industrie, et pour lequel on aurait recours à la banque de l'Etat. Mais la répugnance marquée des Chambres à engager le pays dans la voie des appels au crédit, donnait lieu de douter du succès de cette proposition.

Norwege. Le 9 février, le Prince royal ouvrit le Storthing par un discours adressé suivant l'usage « aux bons messieurs et hommes norwégiens » et qui débutait par l'annonce d'une proposition de modification du paragraphe de la loi fondamentale ayant pour but de concilier le séjour en Norwége du vice-roi avec les exigences qui résultaient de sa position d'héritier du trône de Suède. En effet, aux termes de ce paragraphe il était interdit au vice-roi de s'absenter plus de trois mois dans l'an

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