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mais par les individus, et pour plus sûre exécution de ces utiles et urgentes innovations, nomination d'un chrétien et européen d'éducation, le secrétaire mème du prince, Arakel-Bey. Cette nomination d'un chrétien témoignait de la judicieuse politique du Vice-Roi. Autre fait remarquable, c'est que la portion du pays située entre Alexandrie et le Caire fut placée sous le gouvernement d'un cheik égyptien. Il y avait dans ces deux nominations toute une politique nouvelle : les gouvernements des provinces n'ayant été confiés jusqu'alors qu'à des Turcs. D'autres et non moins efficaces réformes furent accomplies. En voici une qu'il suffit de constater pour en faire ressortir toute la sagesse et l'humanité. Le Vice-Roi abolit complétement et définitivement l'esclavage des noirs au lieu même de son origine; il libéra tout ce qui restait d'esclaves et prit toutes les mesures nécessaires pour empêcher la servitude de renaître sous quelque forme que ce fût. Pour mieux rendre hommage en ce point aux bienfaisantes intentions du Vice-Roi, il convient de rappeler que dès son avénement, Mohamed Saïd avait spontanément aboli le trafic des esclaves, avant même que les puissances européennes fussent intervenues pour assurer ce grand bienfait aux populations de l'empire ottoman.

L'administration centrale de l'Egypte appela également la sollicitude de Mohamed Saïd : il établit une séparation régulière entre les dépenses générales de l'Etat et les dépenses personnelles du Vice-Roi, sa liste civile en quelque sorte. Il divisa aussi son ministère des finances, à la manière européenne, en deux sections principales: l'une pour les recettes, l'autre pour les dépenses; enfin il centralisa la comptabilité publique pour tout ce qui concernait les revenus et les dépenses de toute espèce et de toute origine. Mesures importantes pour l'économie intérieure et profitables aussi aux relations de l'Egypte avec l'Europe. Elles couronnaient la reconnaissance faite par le Vice-Roi, de la propriété territoriale, d'après les bases et les principes sur lesquels elle est assise en Europe. On sait que le percement de l'isthme de Suez eut tout d'abord l'assentiment du Vice-Roi, comme il fut accueilli par la majorité des puissances européennes. Nous disons la majorité, car il rencontrait dans le cabinet britannique

des dispositions qui étaient loin d'être bienveillantes. A cet égard, vers la fin de l'année encore, le langage de lord Palmerston n'eut rien que d'explicite. Un membre des communes, M. Berkeley, ayant demandé au Gouvernement s'il était disposé à soutenir à Constantinople les démarches du Vice-Roi d'Egypte, qui n'attendait que la sanction du gouvernement ottoman pour construire le canal maritime de Suez: « Le gouvernement de S. M., répondit le ministre anglais, ne peut user de son influence auprès du Sultan pour obtenir la construction de ce canal, par la raison que depuis quinze années toute l'influence que le gouvernement de S. M. possède à Constantinople et en Egypte a été employée à empêcher l'exécution de ce projet. » Ce n'était pas là une réponse ambiguë, et lord Palmerston ajoutait, que ce projet était à la fois propre à ruiner les capitalistes et physiquement impossible à exécuter.

Interpellé de nouveau à ce sujet (17 juillet), il répondit que ce plan était fondé sur des vues contraires à l'intérêt de l'Angleterre, et en désaccord avec sa politique immuable. « Il me paraît en outre, ajoutait lord Palmerston, que c'est un plan dont l'objet est de séparer l'Egypte de la Turquie. Or c'est une séparation qu'il a toujours été de la politique de la Grande-Bretagne d'empêcher... Politiquement donc, je considère ce plan comme souverainement inadmissible. Non, il n'est pas un Anglais qui, tenant ses yeux au point de vue des intérêts nationaux, voulût encourager un pareil plan. >> Politiquement, l'organe du cabinet anglais était donc contraire au gigantesque projet de M. de Lesseps, et quant à l'exécution des travaux d'art il trouvait que la dépense serait telle que l'entreprise serait improductive. » Je suis donc d'avis, et je ne pense pas me tromper, ajoutait-il, en disant «< que c'était là une de ces amorces qu'on jette souvent aux capitalistes anglais pour les engager à risquer leur argent dans des entreprises qui ne les laisseraient que plus pauvres, tout en enrichissant peut-être certains individus. Impossible d'être plus malveillant; une telle exagération devait plutôt profiter aux promoteurs du projet de percement. M. de Lesseps le comprit. De la sentence intéressée et partiale du ministère anglais il en appela à la nation elle-même, moins sujette à un entraînement aveugle. En Angle

terre comme en France, le percement de l'isthme de Suez, dont les immenses résultats sautent, pour ainsi dire, sous les yeux à l'aspect d'une carte, devait réunir tous les suffrages. M. de Lesseps avait aussi interrogé les Conseils généraux des départements sur la portée de son entreprise, et les Conseils généraux répondirent en des termes qui devaient stimuler son ardeur et l'encourager plus que jamais.

Le gouvernement anglais, obligé, cette année même, de demander au Vice-Roi d'Egypte l'autorisation qu'il n'était guère en mesure de refuser, de transporter les troupes par le chemin de fer d'Alexandrie et la mer Rouge, devait comprendre aussi, qu'une fois l'isthme ouvert, il pourrait se passer de tout consentement pour envoyer ses armées par la voie rapide du canal. maritime. Peut-être que, comme pour le libre échange, il faudrait un nouveau Robert Peel, qui se mettant au-dessus des préjugés, prendrait ici l'initiative.

TUNIS.

Le Bey était en veine de réformes. Après l'introduction d'un nouveau système d'impôt (V. Ann. 1856), basé sur une sorte de contribution foncière et une capitation personnelle, assise, suivant son expression, sur toutes les personnes arrivées à l'âge de puberté, il songea à des améliorations législatives plus générales encore, et qui devaient tempérer le despotisme du gouvernement. Ses sujets en avaient grand besoin, ceux qui n'appartenaient pas au culte de Mahomet, surtout; car trop fréquentes étaient les scènes de fanatisme: témoin ce malheureux juif, exécuté comme ayant blasphémé le nom du prophète, et que les généreuses et pressantes sollicitations du consul général français (M. Roches) n'avaient pu sauver. A la suite de ce triste incident, les Français présents à Tunis demandèrent l'application à la Régence, du hat-humayoun du Sultan. En vain le Bey se retrancha-t-il alors pour reculer les réformes, et n'écouter qu'un fanatisme intolérant, derrière une prétendue indépendance constitutionnelle. On pouvait très-bien lui objecter, que si, au contraire de l'Égypte, les traités conclus au dehors par la Porte

ne liaient pas la Régence, [en revanche elle était tenue de pratiquer les lois et principes généraux d'administration intérieure, édictées par le suzerain. Le hat-humayoun proclamé par le Sultan, garantissant l'égalité des sujets, sans distinction de croyances, devenait, à ce titre, obligatoire pour Tunis. Au moins la question pouvait-elle être posée par les puissances protectrices des lois éternelles sur lesquelles repose toute société. C'est au surplus dans ces termes que les représentants de la communion israélite de la Régence l'avaient soumise au consul général français :

<< La France ne voudra pas, disaient-ils, qu'à deux pas de l'Algérie, où sa domination douce et tolérante cherche à faire triompher les idées les plus généreuses, le fanatisme, sous sa forme la plus hideuse, puisse lever la tête. »

En attendant la révision des traités, conformément au hathumayoun de Constantinople, les pétitionnaires demandaient l'exécution des conventions existantes. Cédant sans doute aux représentations des puissances enropéennes, et surtout à la France, le bey Sidi-Mohammed, moins aveugle en son fanatisme que la vile populace qui lui forçait la main, résolut enfin, cette année, de continuer son œuvre de réforme. A la proclamation de 1856 en succéda une autre qui débutait ainsi : « Une complète sécurité est formellement garantie à tous nos sujets, à tous les HABITANTS de nos États, quelle que soit leur religion, leur nationalité et leur race. Cette sécurité s'étendra à leurs personnes, à leurs biens et à leur honneur. » Une disposition s'appliquait nommément aux sujets si souvent molestés, les israélites.

Ils ne subiraient aucune contrainte pour changer de religion, et ne seraient point empêchés dans l'exercice de leur culte. Leurs synagogues seraient à l'abri de l'insulte. Naturellement aussi (le Bey le disait), de cette protection qui leur était assurée devait découler le devoir d'acquitter les charges. Rien de plus juste! L'édit réglait aussi le sort des étrangers: ceux qui s'établiraient dans la Tunisie y pourraient exercer tous les métiers et industries, à la condition de se soumettre aux règlements qui régiraient tous les habitants du pays. Ils jouiraient de cette li

berté dès que le Bey se serait entendu avec leurs gouvernements. Les étrangers pourraient aussi acheter librement toutes sortes de propriétés, telles que maisons, jardins, terres, absolument comme les habitants du pays, à la condition de se soumettre aux règlements existants ou qui pourraient être établis. Liberté du commerce pour tous, sans aucun privilége pour personne. Mais voici une disposition au moins inattendue : le Gouvernement s'interdisait à lui-même tout commerce!

Les questions d'impôt et de juridiction étaient également tranchées, et avec la même précision. Tous les sujets seraient assujettis à l'impôt existant, ou, réserve naturelle, qui pourrait être établi plus tard proportionnellement et sans distinction de personnes, a de telle sorte, portait l'édit, que les grands ne seront point exempts du canoun à cause de leur position élevée et que les petits (pouvait-on les oublier?) n'en seront pas exempts non plus à cause de leur faiblesse. » Et le législateur ajoutait que « le développement de cet article aurait lieu d'une manière claire et précise. » Égalité des habitants devant la loi; << car ce droit appartient naturellement à l'homme, quelle que soit sa condition. La justice sur la terre est une balance qui sert à garantir le bon droit contre l'injustice, la faiblesse du faible contre les attaques du fort. » Solon n'eût pas mieux dit! L'armée, puisqu'il s'agissait de la justice, ne devait pas être oubliée : « elle est, disait le Bey, une garantie de sécurité pour tous, et l'avantage qui en résulte tourne au bénéfice du public en général.» Mais considérant « que l'homme a besoin de consacrer une partie de son temps à son existence et aux besoins de sa famille, déclare S. A., qu'elle n'enrôlera les soldats que suivant un règlement, et d'après un mode de conscription au sort. » Disposition dont la source n'était pas douteuse. Et quant à la juridiction, établissement d'un tribunal de commerce mixte de musulmans et de sujets des puissances alliées. Le commerce en général serait l'objet d'une sollicitude protectrice, et tout ce qui serait de nature à lui causer des entraves serait évité. Ce programme était assurément des plus riches et plein de promesses; il ne s'agissait plus que de l'exécution.

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