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grande dérogation du caractère national, comme violant, dans sa particularité la plus essentielle, le serment solennel prêté par le Président de maintenir la constitution de l'Union. » Graves accusations si elles étaient fondées, et qui attacheraient le déshonneur à son nom, répondait le Président. « En raison même de leur gravité, la commune justice, pour ne rien dire de la charité chrétienne, exigeait qu'avant de les proférer vous fussiez assurés qu'elles reposaient sur quelque fondement... Avez-vous accompli ce devoir préliminaire vis-à-vis de l'homme qui, si indigne qu'il soit, est le premier magistrat de votre pays...? - Venait l'examen des faits: A l'époque de l'entrée du Président en fonctions (4 mars) quelle était la situation du Kansas? Le territoire avait été organisé en vertu de l'acte du Congrès du 30 mars 1854, et le Gouvernement était en pleine activité. Tous les fonctionnaires nommés par M. Pierce remplissaient leurs devoirs. Enfin, un code de lois passé par la législature territoriale était en vigueur. On avait, il est vrai, élevé des doutes sur la validité de l'élection des membres de la législature, mais lors de l'entrée en fonctions du président, le Congrès avait reconnu cette assemblée. » En réalité, continuait M. Buchanan, je trouvai le Gouvernement du Kansas aussi bien établi que celui de tout autre territoire. » Dans ces circonstances quel était le devoir du Président? Soutenir ce Gouvernement, « le protéger contre la violence d'hommes sans loi qui étaient déterminés à le conduire ou à le renverser; d'empêcher qu'il ne fût culbuté par force, enfin, dans le langage de la Constitution, veiller à ce que les lois fussent exécutées. De là l'envoi de forces dans cette province pour agir comme posse comitatus en aidant les magistrats civils à mettre les lois à exécution. Y avait-il une autre conduite à tenir? Fallait-il abandonner le Gouvernement territorial, sanctionné comme il l'avait été par le Congrès, aux violences illégales? La nécessité d'envoyer des forces militaires au Kansas ne faisait pas honneur au pays, cela était vrai. Mais une partie des habitants du Kansas ne voulant pas se fier au scrutin, « ce remède américain toujours sûr pour redresser tous les torts, » eût entrepris le renversement du Gouvernement existant, prescrit et reconnu par le Congrès, c'est-à-dire une usurpation.

Il fallait cependant en venir à la question réelle, posée au fond de tous ces débats, l'esclavage; selon M. Buchanan, le Congrès des Etats-Unis avait très-sagement déclaré que la vraie intention et la vraie signification de l'acte qui organisait le territoire, était non d'introduire législativement l'esclavage sur aucun territoire, ou de l'en exclure, mais de confier ce soin à ses habitants, laissés parfaitement libres d'établir et de réglementer leurs institutions domestiques à leur gré, seulement en conformité avec la Constitution des Etats-Unis. Conséquence, une fois le territoire du Kansas admis comme Etat, il serait admis avec ou sans l'esclavage, suivant les prescriptions de sa Constitution à l'époque de l'admission. Le Président se fondait ensuite, et on le devait regretter, sur la récente décision de la Cour suprême, pour constater l'existence de l'esclavage dans le Kansas. Car le fait entraînerait nécessairement le droit. Toutefois ce serait l'œu vre de la Convention qui s'assemblerait prochainement, et le Président regardait comme son devoir impérieux d'employer les troupes des Etats-Unis, s'il en était besoin, à la protection de cette réunion contre la violence et au maintien des habitants dans l'exercice de leur droit de suffrage, lorsque la question serait soumise à leur adoption ou à leur rejet. M. Buchanan avait la confiance que M. Walker n'aurait recours aux troupes qu'en cas d'agression positive ou de résistance aux lois. En terminant il remerciait M. Silliman et autres de ce qu'ils priaient Dieu pour que l'administration présidentielle devint un exemple de justice et de bonne administration. « Vous pouvez m'aider grandement, ajoutait-il, en exerçant votre influence pour calmer l'agitation sectionnelle qui existe par rapport à l'esclavage; agitation qui a produit beaucoup de mal et peu de bien, et qui si elle pouvait réussir, aboutirait à ruiner l'esclave aussi bien que le maître. »

Mais quels que fussent les artifices de langage dans lesquels s'enveloppait M. Buchanan, il était clair qu'il prenait son parti de l'établissement de l'esclavage dans le Kansas, puisqu'il sanctionnait les actes de la législature violente et antiabolitioniste de ce territoire.

Les élections qui eurent lieu vers la fin de l'année pour le renouvellement du mandat des Représentants et d'une partie du

Sénat vinrent se placer entre la position et la solution de ces questions qu'on pouvait appeler vitales pour l'Union. Tout d'abord il y eut un revirement assez curieux. Ceux qui avaient voté pour le colonel Frémont, en opposition à M. Buchanan, votèrent cette fois en grande partie dans un sens tout différent, c'est-àdire que, dans un intérêt de conservation et de maintien de l'Union, ils se prononcèrent pour les démocrates. En définitive ce parti gardait la majorité au sein du Sénat et dans le Congrès; il était assez supérieur à la minorité pour que le Président pût avoir en elle un point d'appui; mais, incident significatif, c'est un candidat abolitionniste qui l'avait emporté. Or, le Missouri est un Etat à esclaves, le Sud n'était donc pas unanime, comme on le prétendait, sur la question du maintien de l'esclavage.

La question du Kansas se trouvant momentanément ajournée, le Gouvernement de Washington put donner suite au projet que la nécessité d'y laisser des troupes avait fait reculer, à savoir de diriger une expédition contre les Mormons. Dans l'intervalle, un traité important était signé au nom de l'Union entre le commissaire des affaires indiennes et une délégation des Ottowas du Kansas. Ceux-ci devenaient citoyens des Etats-Unis, et abandonnaient leur réserve de terres, 74,000 acres qui devaient être répartis entre eux. Moyennant quoi ils renonçaient à leurs annuités et à toutes autres réclamations pour une somme de 66,000 dollars, payable moitié à la ratification du traité et l'autre moitié un an plus tard.

Quant aux Mormons, établis à plus de trois cents lieues, par delà le désert et une chaîne de montagnes, ils avaient compté n'avoir rien à démêler avec l'Union, mais ils furent rencontrés sur le chemin par ceux qui venaient à la découverte de l'or de la Californie. Un arrangement conclu entre les Saints et la République fédérale avait érigé en territoire sous le nom d'Utah le pays où ils étaient établis. Leur chef spirituel Brigham Young reçut le titre de Gouverneur dont il abusa bientôt pour favoriser les vexations et les persécutions de ses sectaires vis-à-vis des profanes qui ne faisaient point partie de leur Eglise. Il puisait dans l'éloignement où il se trouvait du gouvernement central l'opinion que celui-ci ne pourrait rien contre lui. Mais d'abord,

le Président confia à M. Drummond, juge fédéral, le soin d'aller diriger dans l'Utah la Cour supérieure. Le patriarche des Saints se facha tout rouge et entrava l'exécution des décisions du magistrat au point de gracier ou récompenser les individus qu'il avait condamnés. Protestation de M. Drummond qui demanda la mention de sa réprobation sur les registres de la Cour. Que fit alors Brigham? il se porta à des actes de vandalisme : enlèvement des registres, et auto-da-fé de ces documents ainsi que de la collection des lois fédérales et même des archives de la Cour: «Tout cela convenait plutôt aux Gentils qu'aux Saints. » Le représentant de l'Union était donc en révolte ouverte vis-à-vis du Gouvernement dont il était le commettant. Ces procédés sauvages furent dénoncés (30 mars) dans un Mémoire de M. Drummond qui en même temps se démettait de ses fonctions. Il n'eut pas de peine à faire ressortir l'antagonisme qui existait entre la position officielle de Brigham Young, comme Gouverneur, et ses attributions spirituelles; de là l'inexécution des décisions du gouvernement fédéral. Selon l'auteur du Mémoire, le chef spirituel des Mormons aurait eu à sa dévotion une bande de sicaires, les Danites ou anges exterminateurs, qui le débarrassaient, même par le meurtre que l'on mettait sur le compte des Indiens, de ceux qui lui faisaient obstacle. M. Drummond citait à l'appui de son assertion des noms et des exemples. Il ajoutait que des témoins nombreux,—si on savait les protéger, - déposeraient de ces faits. Quant à la justice, il n'y fallait pas songer Brigham Young pesait sur la conscience des jurés, sans parler des actes arbitraires qu'il se permettait, par exemple les détentions préventives, uniquement parce qu'on ne comptait point parmi les initiés. En présence de l'émotion produite par cette publication qui portait tous les caractères de la sincérité, l'opinion publique ne pouvait pas manquer de s'émouvoir. L'envoi de troupes fédérales n'était pas seulement opportun, mais d'une nécessité impérieuse. Naturellement il fut précédé de la révocation de ce Gouverneur-pontife qui avait, dit-on, premier châtiment de sa conduite, soixante-dix femmes: ce qui n'était pas le moindre des scandales qui étaient reprochés au chef de l'Eglise des Saints du dernier jour. Les affaires du Kansas

n'ayant pas permis l'expédition immédiate du corps d'armée destiné à agir dans l'Utah, elle ne put avoir lieu que vers la fin de l'année. Le Gouvernement fédéral donna bien à entendre qu'il ne prétendait pas s'immiscer dans la question religieuse, ni même dans celle des mœurs, il voulait seulement que force restât à la justice et à la constitution du pouvoir local. On devait cependant reconnaître que l'établissement des Saints faisait des progrès, que des villes s'élevaient, des routes étaient tracées. Tout d'abord à l'annonce de la prochaine arrivée de l'armée fédérale, Brigham et ses fanatiques acolytes se montrèrent disposés à la résistance. « Frères et sœurs, disait l'un des plus fougueux (le juge Kimball), voulez-vous avoir Brigham Young pour gouverneur ou les diables qu'on nous envoie? Que ceux qui ne veulent pas de l'étranger lèvent la main. » Et tout le monde de la lever. Le pontife des Saints ne dissimulait pas non plus son projet de résistance: «S'ils viennent couper le fil, qu'ils le coupent. Amen!... Le royaume de Dieu ou rien... S'ils nous connaissaient, les soldats qu'on nous envoie se tourneraient vers leurs officiers, et les enverraient au fin fond de l'enfer... » Les Mormons paraissaient donc bien décidés à la résistance. Le Gouvernement fédéral ne se dissimulait pas la probabilité de ce fait: « Le peuple de l'Utah, disait le Président en son Message (8 décembre), appartient presque exclusivement à cette Eglise, et croyant avec fanatisme qu'il est Gouverneur du territoire par droit divin, il obéit à ses commandements comme s'ils étaient des révélations directes du ciel. Si donc Brigham Young veut que son Gouvernement entre en lutte contre le Gouvernement des Etats-Unis, les membres de l'Eglise mormone prêteront obéissance implicite à sa volonté. » Nul doute, aux yeux du premier magistrat de l'Union, que telle ne fût en effet la situation. Il rappelait à l'appui, la retraite presque collective de tous les fonctionnaires des Etats-Unis devant le despotisme de Brigham Young. En présence de cet état de choses, le Président était tenu de rétablir la suprématie de la Constitution et des lois dans ses limites. Il avait donc nommé un Gouverneur nouveau et d'autres fonctionnaires fédéraux dans l'Utah, et envoyé avec eux des forces militaires suffisantes à les protéger. Toutefois les instructions

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