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deurs et grandeurs, honoré et révéré, des roseraies et des palmeraies, des cotonniers et des citronniers. Dans presque tous ces exemples ce sont moins des rimes que des redoublements, des duplicata de sens et de sons. Il doit y avoir dans la rime quelque chose de léger et d'imprévu qui donne des ailes. Cette vivacité, cette légèreté, que je regrette de ne point rencontrer plus souvent chez lui, je la trouve . pourtant dans quelques strophes de ses chants de la matière, là où il fait parler le Chloroforme, le Gaz, la Photographie; ce sont de très-jolies strophes. La muse de M. Du Camp s'y est évertuée. Mais les pièces où l'auteur me semble avoir le mieux réussi, ce sont celles de voyage; l'une, par exemple, qui a pour titre En route! et où il y a bien de l'entrain, de naturels et engageants tableaux. Dans une autre pièce, il . débute très-heureusement ainsi :

Je suis né voyageur; je suis actif et maigre;
J'ai, comme un Bédouin, le pied sec et cambré;
Mes cheveux sont crépus ainsi que ceux d'un nègre,

Et par aucun soleil mon œil n'est altéré.

Aussi j'aime à dormir sans bandeaux et sans voiles,
Loin de toute maison, aux clartés des étoiles,
Sous l'azur infini de quelque ciel lointain,
Couché dans un désert immense, infranchissable,
Sur un bon oreiller de sable

Où vient me.réveiller le vent frais du matin.

Ce n'est là qu'un commencement d'une pièce fort longue et qui a pour sujet la métempsycose. Le voyageur qui se sent entraîné par son instinct vers des lieux inconnus, se dit que ce sont certainement d'anciennes patries qu'il va revoir :

J'habitai, je le sais, dans d'autres existences
Ces pays radieux, et je suis convaincu'
Que je sais retrouver, à travers les distances,
Tous les endroits certains où j'ai déjà vécu.

J'étais près de Nestor sur les bords du Scamandre...

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Mais tout ceci et ce qui suit est un peu trop appuyé : c'est imité et grossí de Béranger. En résumé, à lire les vers et même la prose de M. Du Camp, que je n'ai pas l'honneur de connaître, je me dis: Ce doit être une nature forte, franche, un peu rude et dure de fibre, un peu crue, courageuse, véhé

mente, violente même, mais qui croit avoir plus de haine qu'elle n'en a, car elle est généreuse; une nature plus robuste que délicate. Ce mot de robuste revient souvent sous sa plume, c'est un de ses mots favoris; évidemment, c'est sa qualité ou son désir. Poëte, il a du mouvement, de l'ardeur, de l'âme; je lui voudrais un souffle plus léger; paysagiste, il lui manque les crépuscules, les fuites, les fonds vaporeux; il lui manque en tout une certaine douceur qui sied si bien, même aux natures énergiques, et que je ne puis mieux exprimer qu'en traduisant un délicieux sonnet de Wordsworth. A la fin d'une tournée en Écosse, et après en avoir noté en vers les principales circonstances pittoresques, le poëte des lacs, revenant au monde du dedans et maintenant à l'esprit sa prédominance vivifiante, disait pour conclusion:

<«< Il n'y a rien de doux comme, avec les yeux à demi baissés, de marcher à travers le pays, qu'il y ait un sentier tracé ou non, tandis qu'une belle contrée s'étend autour du voyageur sans qu'il s'inquiète de la regarder de nouveau, ravi qu'il est plutôt de quelque douce scène idéale, œuvre de la fantaisie, ou de quelque heureux motif de méditation qui vient se glisser entre les belles choses qu'il a vues et celles qu'il verra. Si Pensée et Amour nous abandonnent, de ce jour-là rompons tout commerce avec la Muse. Tant que Pensée et Amour sont nos compagnons de route, quoi que puissent nos sens nous offrir ou nous refuser, le ciel intérieur de l'Ame répandra les rosées de l'inspiration sur le plus humble chant. >>

1er septembre 1855.

SANTEUL,

OU

.DE LA POÉSIE LATINE SOUS LOUIS XIV,

PAR M. MONTALANT-BOUGLEUX.

1 vol. in-12. Paris, 1855.

Santeul, le poëte latin si fier de ses vers, si heureux de les réciter en tous lieux ou de les entendre de la bouche des autres, et qui aimait encore mieux qu'on dît du mal de lui. que si l'on n'en avait rien dit du tout; Santeul, qui dans une de ses plus grosses querelles écrivait à l'abbé Faydit, qui l'avait attaqué sur son épitaphe d'Arnauld: « Je fais le fâché par politique, mais je vous suis redevable de ma gloire; vous êtes cause qu'on parle de moi partout, et presque autant que du prince d'Orange; vous avez rendu mes vers de l'épitaphe de mon ami plus fameux que l'omousion du concile de Nicée; ceux des autres poëtes sur le même sujet sont demeurés ensevelis avec le mort, faute d'avoir eu comme moi un Homère pour les prôner et les faire valoir; >> Santeul, qui était si

fort de cette nature de poëte et d'enfant qui tire vanité de tout, serait presque satisfait en ce moment. Grâce à ce retour en tous sens de la critique vers le passé, le voilà redevenu un sujet présent; on s'occupe de lui. On le malmène, il est vrai; on le veut chasser des bréviaires où ses hymnes avaient obtenu une place depuis cent cinquante ans; je crois même qu'il est déjà chassé de presque tous ces livres diocésains;

mais n'importe, de façon ou d'autre, cela fait du bruit, quelque bruit autour de son nom: Il était enterré dans sa gloire, et les fidèles chantaient ses hymnes sans savoir qu'elles fussent de lui. Pour le déplacer, il a bien fallu le nommer, le prendre à partie; on l'a attaqué comme au premier jour, et d'autres aussi l'ont défendu : c'est bien là de la gloire. Les Mánes de Santeul, pour parler son langage, se sont donc encore moins indignés que réjouis.

Mais il faut raconter tout cela par ordre et avec méthode, et mettre chacun à même de bien juger de l'état au moins de la question.

Dans la seconde moitié du XVIIe siècle on se croyait dans un grand siècle, et on avait raison; on se croyait dans un siècle régulateur et digne de servir à jamais de modèle aux autres époques, et en cela on s'attribuait un peu plus qu'on ne devait. Le gothique n'était pas à la mode en architecture; on ne se donnait pas la peine de l'étudier ni de le comprendre. Le moyen-âge en masse était réputé purement barbare, et il n'est guère douteux que s'il eût fallu choisir, on n'eût donné sans regret la Sainte-Chapelle pour la Colonnade du Louvre. Or, dans la littérature sacrée, il arriva que ce goût général et dominant produisit ses effets. La littérature latine · moderne pâlissait nécessairement en présence des chefsd'œuvre de poésie française qui venaient d'éclore et qui illustraient le règne; cette littérature et cette poésie latine, déjà de toutes parts en retraite, trouva néanmoins son dernier refuge et son emploi dans les livres d'Église. Les anciennes hymnes, les proses du moyen-âge, dont toutes d'ailleurs n'avaient pas la beauté religieuse, la gravité ou l'onction des principales que nous connaissons, étaient jugées sévèrement par les délicats, et il parut aux hommes les plus considérables du clergé de France que c'était faire acte de convenance et de bonne liturgie que d'en remplacer quelques-unes par des strophes d'un rhythme et d'une latinité plus d'accord avec les règles de l'ancienne poésie classique. Santeul fut l'auteur de choix qu'on employa dans cette œuvre de réparation, disait ́on alors, — d'altération, dit-on aujourd'hui,— et il en porte en ce moment la peine. On le traite comme un classique, comme un classique d'arrière-garde, et qui prête flanc par bien des côtés,

Que s'il se mêle à cette question de liturgie une part de dogme, on trouvera tout naturel que je la néglige ici pour ne considérer que ce qui est du ressort du goût, ce dernier ordre de considérations étant très-suffisant pour nous permettre de bien juger du caractère, du rôle et de toute la destinée de Santeul; car il ne fut jamais qu'un homme de verve, et nullement un homme de doctrine.

Or il était immanquable que l'étude et la vogue se reportant aux choses du moyen-âge, on en vînt bientôt, pour ce qui est des hymnes dans les rituels et les bréviaires, à contester au moins la convenance et l'opportunité de cette substitution qu'on y avait faite des hymnes de Santeul à des compositions plus anciennes et d'un caractère chrétien et populaire plus marqué. C'est absolument comme en architecture, lorsqu'on trouve à redire à de prétendues réparations, et à des reconstructions en style romain appliquées à des églises gothiques.

Un des bénédictins français modernes, dom Guéranger, souleva le premier et traita la question dans son livre des Institutions liturgiques (1841): il y attaquait tout le système gallican, mais particulièrement cette innovation du XVIIe siècle dans les chants et les hymnes sacrés, innovation dont Santeul fut l'instrument principal, et dont les promoteurs, M. de Harlay, archevêque de Paris, et le cardinal de Bouillon, abbé de Cluny, n'offraient pas toutes les qualités morales désirables chez des hommes voués au service de Dieu et préposés à la célébration de ses louanges. Dom Guéranger se plaisait aussi à faire ressortir le contraste qu'il y avait entre le caractère connu, la belle humeur joviale de Santeul et cet office solennel d'hymnographe dont on l'avait investi.

Dès ce moment la guerre était déclarée, et le pauvre Santeul remis en cause. Dans un recueil estimé, les Annales de Philosophie chrétienne, M. Bonnetty reprenant en détail les objections contre Santeul, et insistant sur les endroits par où il est vulnérable, n'a pas consacré moins de neuf articles (et il n'a pas fini encore) à ruiner son autorité comme chrétien, ou du moins comme poëte et coryphée des fidèles. En même temps, un jeune érudit qui appartient à l'école fervente et savante d'Ozanam, M, Félix Clément, dans un choix qu'il

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