Images de page
PDF
ePub

Marché. Comme on vient de voir un miracle de la Nativité donné aux fêtes de Noël, on remarquait souvent aussi une concordance entre le sujet de la pièce et l'époque où elle était représentée; il existe également mention d'une représentation du mystère de saint Nicolas donné le jour de la fête de ce saint. On trouve aussi qu'à Lille, en 1416, le mystère de l'Ascension fut joué pour le jour de cette fète.

Lorsqu'il s'agissait de monter la représentation d'un mystère, on faisait un cry ou proclamation par la ville, en grand apparat, afin d'annoncer le projet, et pour annoncer que les amateurs disposés à prendre un rôle eussent à venir s'essayer devant la société qui s'était constituée juge à cet égard. Au jour et à l'heure indiquée, les candidats étaient examinés sous le rapport de la figure, de la taille, de la voix, de l'intelligence et du jeu, et on leur accordait un rôle suivant leur capacité. Or, en parcourant les mystères, on est effrayé de la difficulté, des périls mème que devaient offrir les principaux rôles, et l'on conçoit qu'on exigeât qu'ils s'engageassent par serment à les remplir. En effet, que l'on prenne pour exemple celui de Jésus-Christ, et seulement pendant le mystère de la Passion proprement dit; car, sans la résurrection, on voit que cette représentation durait quatre jours et était divisée en quatre-vingt-six actes. Dans ces quatre journées, on ne débitait pas moins de quarante-un mille vers. Le rôle du Christ en contenait pour sa part plus de trois mille quatre cents. Quelque adresse que dussent mettre les autres acteurs dans leurs rôles, il était difficile que celui-ci ne fût pas excédé des mauvais traitemens, coups de fouet et de bâton, que l'auteur s'est plu à multiplier presque à chaque heure de la dernière journée. Dans quelques scènes, telles que celle de la tentation au désert, il devait être enlevé, par un contre-poids, du bas du théâtre jusqu'à une grande hauteur. Dans la transfiguration, il restait suspendu en l'air pendant un débit de cent vingt-huit vers. Enfin, depuis le moment où on l'élevait en croix jusqu'à celui où on l'en détachait, il ne se débitait pas moins de trois cents vers, auxquels on doit joindre le temps des diverses pauses ou opérations indiquées dans le drame; de sorte que l'acteur devait rester au moins pendant deux heures

dans cette position si pénible. On ne doit pas s'étonner après cela que quelquefois les acteurs aient été sur le point de succomber à tous ces périls. La chronique de Metz rapporte qu'à une représentation de la Passion, jouée en 1457, près de cette ville, un curé de Saint-Victor de Metz, qui faisait le rôle du Christ, « fût presque mort en croix, s'il n'avait été secouru; et fallut que un autre prêtre fût mis en la croix pour parfaire le personnage du crucifiement pour ce jour. › Dans la même représentation, celui qui faisait le rôle de Judas fut presque étranglé en se pendant, <car le cœur lui faillit, et fut bien hastivement despendu et porté en voye.

ÉMILE MORICE.

(Suite et fin à une prochaine livraison.)

RÉSIGNATION.

A M. F. de Lamennais.

Qui descend donc ainsi sur la place publique,
Jetant un peuple entier à l'hydre politique,
Au lieu de ses devoirs lui parler de ses droits?
Prêtre de Jésus-Christ, parle-nous de la croix !
Parle-nous de la croix, de cette croix austère
Que ton maître a portée au sommet du Calvaire,
Que tu portes toi-même, et que je porte, moi,
Que porte le vulgaire et que porte le roi!

Oh! quand aura sonné l'heure de ta victoire,

Quand, tant de fois trompés, nous ne voudrons plus croire, Comment soutiendras-tu ce peuple furieux

Qui viendra tout sanglant apparaître à tes yeux?

Quand, demandant leurs fils, viendront ces pauvres mères, Te dire en te montrant leurs souffrances amères :

. Comme il l'était hier, le mal est tout puissant; Hier c'était la boue, aujourd'hui c'est le sang. Tous tes projets dorés sont tombés en poussière.

Une chose est debout, hélas! c'est la misère.
N'es-tu donc plus le Christ, ô prophète vanté?
O grand prophète! où donc est cette égalité?
Ainsi qu'aux jours passés, la rouge guillotine
Boit le sang des Français qu'épargna la famine;
Les meilleurs ne sont plus; toi-même, homme de bien,
Tu n'as plus d'auréole, et ton nom n'est plus rien;
Ceux qui marchaient naguère au gré de ton envie
Ne te connaissent plus et demandent ta vie,
Et s'en vont murmurant dans la grande cité :
« Ce prêtre n'aimait pas assez la Liberté! »

Alors, voyant ce peuple en proie à tant d'alarmes,
Comme Notre-Seigneur, tu répandras des larmes,
Et ne pouvant pas, toi, multiplier les pains,
Tu répondras, prenant ta tête dans tes mains:

« Frères, résignez-vous, comme je fais moi-même;
Laissez à l'envieux l'injure et le blasphème;
Connaissez à présent toute la vérité :
Dans un cercle éternel tourne l'humanité;
Et le bien et le mal, en égale mesure,

Tombent incessamment des mains de la Nature.
Le siècle a fait deux mots : Progrès et Mission;

Il en est un plus grand, c'est Résignation ;

Car, tels qu'un champ de blé, dans le monde où nous sommes, Toujours la main du sort labourera les hommes:

La souffrance est la loi de ce triste univers;

La matière demeure et la forme se perd.

Voyez comme déjà, par-delà l'Atlantique !

Le serpent de douleur entoure l'Amérique.

L'homme libre et l'esclave, en tout temps, en tout lieu,
Palpiteront toujours sous le souffle de Dicu.

Frères, défiez-vous des rois de la pensée,
Leur esprit est brùlant, mais leur ame est glacée;
Tous ils sont orgueilleux, et sachez-le en ce jour,
Tout mal vient de l'orgueil, et tout bien de l'amour.

Tous feraient, pour servir leur belle théorie,
Couler à gros bouillons le sang de la patrie.
Partout sur cette terre est l'inégalité,
Mais nous serons égaux devant l'éternité.
Frères, pensons toujours, sur ces terrestres rives,
A la sueur de sang du jardin des Olives! >

D

Mais le prêtre se tait, et, près d'un grand palais,
J'entends parler tout bas un troupeau de valets:

« Depuis cinq ans, hélas! tout est devenu pire;
Il faut, pour nous sauver, le sabre de l'empire;
Il faut un frein de fer à ce peuple indompté.
Il faut !... >>

« Moi je vous dis qu'il faut la Liberté ! Mais la Liberté sainte, et lente et mesurée,

Et marchant comme fait une femme sacrée.

Vous, prêtre, et vous, valets, qui murmurez tout bas,
La sainte liberté, vous ne la sentez pas.

Vous, vous mettez du sang à sa robe divine,
Et vous, vous étouffez la voix de sa poitrine.
Vous n'êtes pas ses fils; et, sur votre tombeau,
Naîtra de votre cendre un grand peuple nouveau. ›

O Liberté divine! ô ma belle déesse!
Combien ces insensés te causent de tristesse!
Comme ils comprennent mal ton empire nouveau!
Comme je vois tes pleurs couler sous ton manteau!
Ne désespère pas pourtant de notre France;
Reste au milieu de nous, malgré cette souffrance;
Laisse-les, ces mortels, obscurcir ta clarté,
Et toi, déesse, attends avec tranquillité.
Lorsqu'au pays de Naple, une immonde tempête,
De la terre et du ciel vient suspendre la fête,

Le grand astre, un moment, voile son front vermeil,
Car il sait que toujours il sera le soleil.

ANTONI DESCHAMPS.

« PrécédentContinuer »