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Hiersemann 2-14-29 17800

LA

MISE EN SCÈNE

DEPUIS

LES MYSTÈRES JUSQU'AU CID.

PREMIER ARTICLE.

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Si ce n'était une phrase toute faite, fléau contre lequel on ne saurait former de trop épais cordons sanitaires, cet article commencerait par ces quelques lignes stéréotypées au front de tous les ouvrages qui traitent de nos origines dramatiques. « L'origine des représentations théâtrales, en France, se perd dans la nuit du moyen-âge. Puis viendrait Thespis barbouillé de lie, avec ses tombereaux, ses taureaux et ses tonneaux, qui roulent depuis cent cinquante ans dans tous les discours académiques, en faisant `éprouver au public le supplice de Régulus, aux pointes près. Arrière ces oripeaux littéraires qui n'ont que trop souvent désho

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noré des élucubrations consciencieuses! arrière ces formes surannées faites pour dégoûter le public de recherches utiles, que l'on couvre ainsi d'un indélébile vernis d'ennui en même temps qu'on les imprègne d'un fumet pédantesque, à donner le tétanos! Parce qu'on est savant, ce n'est pas une raison pour empêcher qu'on ne vous lise. L'érudition doit avoir aussi sa coquetterie, et son premier artifice est de dissimuler tout ce qui rappelle l'étude et décèle les fatigues de la composition.

Disons donc, le plus simplement possible, que, beaucoup plus ancienne qu'il ne serait possible de le démontrer au moyen de témoignages historiques, l'origine de nos représentations théâtrales se rattache peut-être sans interruption à la civilisation romaine. Bien qu'on ne puisse dire positivement ce que Charlemagne entendait par ces histrions, dont il supprimait les jeux à cause des obscénités qui s'y commettaient, il est probable que ceux-ci exécutaient des espèces de représentations scéniques. Pour les trois siècles suivans, lacune complète; puis Raoul Tortaire, dans la relation d'un voyage exécuté en 1120, parle des spectacles que le duc Henri Ier, de Normandie, donnait à Caen à ses sujets.

Vers le milieu du même siècle, parurent un certain nombre de tragédies en rimes latines; dans l'une d'elles, dont le héros est saint Martial de Limoges, Virgile, associé aux prophètes, vient avec eux à l'adoration du Messie, et chante un long benedicamus rimé par lequel finit la pièce. On rapporte également à cette époque une tragédie de Flaura et Marco, et une comédie, Alda, composées par Guillaume de Blois, mais qui ne nous sont point par

venues.

On n'a pu malheureusement retrouver de preuves qu'on fit représenter ces pièces avec appareil scénique. Mais si les documens positifs manquent pour établir ce fait, on peut facilement se le rendre probable en apprenant qu'à cette même époque, de véritables représentations dramatiques faisaient déjà les délices des Anglais. Ce fut Geoffroy, abbé de Saint-Alban, qui en introduisit le goût en Angleterre, vers le commencement du douzième siècle; c'est à Londres qu'elles obtinrent le plus de succès. Ces compositions, appelées miracles, et toutes en général, du genre tragique, rou

laient sur le martyre de quelques saints de la primitive église. Les représentations avaient quelquefois lieu sur les places publiques, mais plus ordinairement dans les cimetières. Les acteurs empruntaient les ornemens de l'église pour décorer leur théâtre, et les vêtemens sacerdotaux pour se travestir; on sait en outre qu'ils se masquaient. Ces spectacles avaient ordinairement lieu le dimanche, vers la fin de la journée, et se terminaient par des danses, des luttes et divers autres exercices gymnastiques. Les clercs, acteurs ordinaires des miracles, en étaient en même temps les auteurs; et plus il y avait de merveilleux dans leurs productions, plus ils recueillaient d'applaudissemens (1). Destinées, avant tout, aux plaisirs de l'aristocratie normande, ces pièces furent composées pour la plupart dans la langue de la conquête, exclusivement employée, d'ailleurs, dans les actes publics, au profond mécontentement des nationaux, dont les chroniques anglaises expriment les amers regrets:

« Ce fut ainsi que l'Angleterre tomba aux mains des Normands. Et les Normands ne pouvaient parler que leur propre langue; ils parlèrent le français, comme ils faisaient chez eux, et l'enseignérent à leurs enfans.

Delà vint que les grands de ce pays, qui descendaient des Normands, parlèrent tous la langue de leurs pères, et que les gens du peuple parlent encore aujourd'hui la langue anglaise (2). »

L'Allemagne n'en était alors encore qu'aux chants des Minesingers, aux lazzis des spræchspreker; et lorsque, vers 1480, quelques moines du Brisgaw imaginèrent d'imiter les mystères français, ces pastiches ascétiques, composés en latin, furent exclusivement représentés dans les cloîtres ou à la cour des princes ecclésiastiques du saint empire. Là, comme partout, le théâtre naquit dans l'église, empruntant à la liturgie ses sujets et ses solennités; vagues et ternes reflets des pompes prestigieuses et des séduisantes theogonies que le paganisme prodiguait à ses sectateurs.

Bornée aux exercices des bouffons, des truands et des jongleurs,

(1) Ancient mysteries described, especially the english miracles plays. in-8° avec fig. London, 1823.

(2) Robert's Glocester chronicle.

l'Espagne ne vit paraître que trois siècles après les Autos sacramentales, pièces tirées de la légende, et, plus tard encore, les Comedias de capa y espada (de cape et d'épée), dont le titre indique que le sujet était tout mondain. La Péninsule connut cependant, dès le xn° siècle, les poésies des troubadours (trobadores), dont beaucoup de pièces portent le nom de comédies et de tragédies, mais ne sont point parvenues jusqu'à nous, de sorte qu'on ne peut affirmer si le sujet correspondait réellement au titre. D'après une analogie résultant d'un passage de l'Histoire littéraire d'Angleterre du docteur Henri, on doit supposer que ces pièces n'avaient de la tragédie et de la comédie que le titre; du temps de Chaucer et antérieurement, on appelait, chez les Anglais, tragédie, une narration en vers, sur un sujet tragique, et comédie une histoire facétieuse.

C'est d'un autre côté pendant le x1° siècle que ces cérémonies bizarres, ces processions burlesques, appelées fêtes des foux, fête de l'âne, procession du renard, étaient arrivées à leur apogée d'extravagance et de scandale; or, on ne peut s'empêcher de les considérer comme des espèces de représentations théâtrales, d'après les descriptions qui nous en restent.

Vers la même époque, commençaient également à fleurir les trouvères, qui ne se bornaient point à conter dans les châteaux où on les accueillait, mais qui devaient représenter aussi des espèces de pièces. Jehan Bodel, d'Arras, Adam de la Hale, et Rutebœuf, trouvères du XIIIe siècle, contemporains de saint Louis, ont composé quelques-unes de ces pièces où l'on trouve déjà presque tous les élémens d'un théâtre complet : Une pastorale, pleine de fraîcheur et de grace (Robin et Marion); une farce (le Jeu du pélerin); deux drames à spectacles (le Miracle de Théophile et le Jeu de saint Nicolas); enfin deux pièces morales (le Mariage ou le jeu d'Adam, et la Dispute du croisé et du décroisé).

Il n'est point resté de documens historiques attestant que ces pièces fussent représentées; mais leur forme ne permet pas douter. Ainsi, le Jeu de saint Nicolas est précédé d'un prologue dans lequel l'acteur s'adresse en ces termes aux spectate urs: « Seigneurs et dames, écoutez-nous, nous voulons vous entretenir au

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