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BULLETIN LITTÉRAIRE.

LE BARON D'HOLBACH, PAR CLAUDON (1).

La critique a ses soleils d'Austerlitz et ses brouillards de Waterloo; elle sillonne rapidement un terrain volcanique où croissent çà et là quelques épis vigoureux, où s'épanouissent quelques fleurs fraiches et virginales, mais où plus souvent encore l'ivraie et les plantes parasites couvrent de leurs débiles et inextricables rameaux un sol pierreux où ils ne peuvent prendre racine. Certes, M. de Vigny, le peintre naïf et savant de ces douleurs fatales, de ces lentes absorptions qui usent dans des duels obscurs les facultés généreuses de tant d'ames actives et impatientes du joug, est bien une de ces fleurs pudiques et fières, écloses sous le double rayon de l'inspiration et de la méditation. Certes, M. Victor Hugo est un de ces épis robustes, élancés, aux teintes jaunissantes, hérissés de longues barbes qui blessent les mains délicates, mais qui, broyés sous le marteau de la critique la moins bienveillante, rendent le plus pur froment dont puisse se nourrir l'intelligence. Ce sont là de bonnes fortunes pour la critique, et elle ne peut s'empêcher de revenir involontairement sur des jouissances dont elle a usé largement, et où elle a convié le public.

Le livre de M. Claudon, le Baron d'Holbach, n'est cependant rien moins qu'une de ces plantes parasites dont nous parlions tout à l'heure, c'est un fruit suffisamment savoureux. La lecture de ce roman ne laisse après elle aucun regret; elle est attachante, instructive, sérieuse, pleine d'observations et de faits; on est content de soi après avoir achevé cette laborieuse digestion. C'est à proprement parler un tableau du XVIIIe siècle peu flatté, mais vrai et bien accusé. Le développement, des passions et des caractères y tient peu de place; les personnages sont nombreux, variés, revêtus de noms historiques; mais aucun ne domine, aucune figure ne tranche fortement; il se fait une effroyable consommation de noms connus, et qui réveillent trop puissamment l'attention

(1) 2 vol. in-8°, chez Allardín.

pour pouvoir être satisfaits d'une simple mention; l'intérêt diminue pour avoir trop embrassé. C'est un défaut de composition que nous aurons souvent à reprocher aux romanciers modernes qui subissent tous plus ou moins l'influence de Walter Scott.

Le philosophe que nous retrouverons le plus souvent en scène après le baron d'Holbach qui donne son nom au livre, c'est Diderot, la téte la plus allemande de ce siècle, si exclusivement français. Voici Diderot chez son père, le vieux coutelier de Langres, tout émerveillé d'avoir un fils qui fait des livres. De retour à Paris, Diderot se rend chez le baron, qu'il trouve en compagnie de sa spirituelle et gracieuse bellesœur, Mme d'Aine; Diderot est triste, il plie sous le poids des préoccupations philosophiques et des tracasseries de parti; cependant, peu à peu son naturel énergique et bouillant reprend le dessus; le nombre des conviés se grossit; Marmontel lit les nouvelles à la main. Diderot lâche la bride à sa verve d'improvisation. Ces tirades sont fort belles, le pastiche était aisé : l'auteur a parfaitement réussi.

Or, l'étincelle électrique qui a mis ainsi en mouvement l'éloquence de Diderot, n'est autre que l'aventure qui forme le fond même du roman. Un jeune homme, nommé Marcelin, neveu du comte de Rolampont, s'est épris d'amour pour une jeune fille d'une condition obscure, nommée Suzanne, et qui se trouve par la suite être la fille de Mme d'Epinay et de Grimm. Refus du comte, fuite des deux amans. Ils arrivent à Paris sans ressources; mais l'aventure a circulé, et les deux pauvres enfans vont former l'enjeu que se disputeront d'une part les philosophes, de l'autre le comte de Rolampont aidé des lettres de cachet du duc de la Vrillère. C'est dans le salon de Mme Geoffrin, au milieu de la plus spirituelle conversation, dont Mile de l'Espinasse, Mmes d'Epinay, d'Houdetot, Necker, et le beau chevalier de Trenitz, soutiennent le feu roulant, que se prépare la délivrance des deux prisonniers, car Marcelin et Suzanne ont été arrêtés par la police comme vagabonds. Le chevalier de Trenitz se fait leur caution, obtient leur liberté, et les introduit dans la synagogue, chez le baron d'Holbach. Voici le portrait de Suzanne; c'est en même temps un échantillon du style assez substantiel, mais souvent pénible et laborieux de M. Claudon. «... Beauté jeune, mais déjà faite; tout humaine, mais cependant chaste; candide autant qu'on peut l'être quand on a assez réfléchi pour se défier des illusions; innocente comme l'est encore quiconque a entrevu un autre état; vierge de plaisirs, mais non plus de passions; son visage ne respirait point cette limpide émanation d'une ame qu'un sentiment tranquille tient constamment occupée; mais la scintillante réfraction de toutes les idées qui se choquaient dans sa tête; mais le brûlant magnétisme de toutes les émotions qu'elle avait éprouvées; car si chacune n'avait pas encore laissé là sa trace, elles avaient du moins développé dans son cœur autant de manières de sentir, toujours promptes à entrer en exercice dès qu'elles étaient provoquées; de là une physionomie étrangement riche et mobile. »

Suzanne est placée chez le baron, qui lui donne pour asile la terre de Grandval; une réconciliation entre l'oncle et le neveu est tentée par la Guimard, la célèbre danseuse de l'Opéra; elle échoue, et le comte de Rolampont, plus exaspéré que jamais, implore une lettre de cachet du duc de la Vrillière. Marcelin n'a d'autre moyen de fuir l'orage que de partir en håte avec Diderot pour la Russie. L'absence de Marcelin est habilement exploitée par le chevalier de Trenitz, amant non moins empressé auprès de Suzanne, et plus prompt à s'apercevoir des piéges qu'on lui tend et des dangers qu'elle court; car Suzanne est le début de plusieurs intrigues qui se croisent, et que nous ne pouvons meler dans cette analyse succincte; l'une, entre autres, imaginée par Mme la marquise du Deffant, ne tend à rien moins qu'à prostituer cette fraiche et virginale beauté aux derniers embrassemens de Louis XV mourant; l'autre, conduite par un prêtre, est sur le point de la replonger pour toujours dans le couvent, dont l'arracha jadis Marcelin. Enfin le mariage se conclut entre les deux amans. Un mensonge grossier, auquel se prête Suzanne, fait croire à Marcelin qu'il est déshonoré; il fuit, il s'éloigne de cette épouse, vierge encore, et le chevalier de Trenitz reste maître de la place; mais Suzanne, qui comprend enfin toute l'horreur de sa position, rejoint Marcellin, et l'on perd à tout jamais leurs traces.

VIERGE ET MARTYRE, PAR MICHEL MASSON (1).

Ce qui déparait singulièrement à nos yeux la composition de M. Claudon, c'était le manque de poésie, l'absence d'unité, je ne sais quel pêlemele de faits et de noms propres, traduits en un style terne et prosaïque. Le roman est un poème bourgeois qui doit plutôt tendre à l'idéalisation que se rapprocher de la forme d'une chronique, ou copier les mémoires historiques. M. Michel Masson n'a jamais peint dans ses romans que la vie réelle, ni analysé autre chose que le jeu des passions; il suit le cours d'une idée qui lui appartient en propre, il ne la perd jamais de vue au milieu des combinaisons dramatiques et des ambages de la narration; il ne s'égare point dans les digressions et les anecdotes; ses héros portent le frac et le chapeau rond; vous les coudoyez dans la rue; c'est lui, c'est vous, c'est moi. Ecoutez donc, tous, comment l'adultère peut avoir des suites plus graves qu'on ne le croirait au premier abord; et si c'est tout plaisir de faire des enfans, comment ce n'est pas tout profit d'être père.

Le drame de M. Michel Masson se divise naturellement en trois actes précédés d'un prologue. Dans le prologue, qui a pour théâtre l'Espagne à l'époque de l'invasion du duc d'Angoulême, Gustave de Chatenay et Henri de Montlieu sont deux officiers assiégés d'une profonde tristesse, que poursuit un souvenir fatal, qu'environnent des bruits sinistres et

(1) 2 vol. in-8., chez Werdet, rue de Seine, 49.

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calomnieux. Un jour Henri de Montlieu reçoit de Gustave Chatenay un billet ainsi conçu : « Je sais, à deux lieues d'ici, une belle occasion pour mourir; venez me trouver, nous irons ensemble. » Montlieu accepte avec empressement; mais un seul succombe: c'est Gustave de Chatenay, et Montlieu lui survit, afin de pouvoir raconter, quatre ans après, son histoire au capitaine Laboissière. Les tristes circonstances qui ont amené ce lugubre dénouement, les voici.

Henri de Montlieu a une fille, produit d'un commerce adultère avec Sophie d'Argeles. M. D'Argeles est un monstre froidement atroce, qui a acheté sa femme, puis qui l'a revendue après lui avoir donné son nom, qui l'a frappée brutalement, parce qu'un homme vicieux est toujours lâche, et a ainsi avancé l'heure de sa mort; que dis-je? il l'étouffe dans de monstrueuses caresses, au moment où cette infortunée allait revéler, du haut de son lit de mort, les turpitudes de son infame époux. Sophie est morte en recommandant sa fille Clémentine à Henri de Montlieu. Ces dernières paroles d'une femme aimée, extrema morientis, rappellent à Henri tous ses devoirs de père ; il prend la résolution de se consacrer tout entier au bonheur de Clémentine. Certes, ce n'est pas trop de toute la vigilance, de toutes les ressources dont il dispose, de l'amour qu'il porte à ce fruit de ses entrailles, pour soustraire la pauvre Clémentine à la barbarie de M. d'Argeles. Clémentine, retirée de pension aussitôt après la mort de sa mère, a été reléguée dans une ferme de Vauxjours; on lui met des robes de paysanne, on l'emploie aux plus ignobles travaux. M. d'Argeles pousse la cruauté jusqu'à refuser de remplacer ses grossiers vêtemens qui tombent en lambeaux par de nouveaux haillons, lorsque Henri de Montlieu parvient à découvrir sa retraite; il se fait passer pour l'homme d'affaires de M. d'Argeles, il double le prix de la pension de Clémentine, il lui donne des livres, lui achète une robe pareille à celle que portait sa mère, il lui rend le repos et le bonheur; tout à coup M. d'Argeles rappelle sa fille à Paris : il veut la marier au baron de Gavardin, vieillard trois fois divorcé et espion diplomatique. Au moment de la signature du contrat, Henri de Montlieu, qui a fait de vains e forts pour détourner d'Argeles de vendre la fille, comme il avait acheté la mère, Henri de Montlieu tombe à l'improviste au milieu des fiancés; il démasque le baron de Gavardin, il lui crache à la face la vérité tout entière, il l'expulse ignominieusement; mais avant de s'éloigner, celui-ci divulgue le secret de la présence de Henri à Vauxjours, et le dénonce comme le séducteur de Clémentine. D'Argeles feint de croire cette calomnie, il annonce à Henri qu'il n'a d'autre moyen de réparer sa faute que d'épouser Clémentine; il le presse, il le sollicite, il le menace d'un procès; la jeune fille joint ses prières aux siennes; Henri refuse obstinément, il propose sa fortune, sa vie; d'Argeles est inexorable. Enfin, poussé dans ses derniers retranchemens, Henri s'enveloppe dans sa fatale destinée, et donne tête baissée dans le précipice. Lorsque Henri de Montlieu eut signé le contrat qui le liait indissolublement à Clémentine, d'Argeles l'attira à lui.

il

- Il y a, dit-il à voix basse, des gens qui se vengent par le scandale, d'autres qui s'en rapportent au sort des armes; moi je n'aime ni les duels, ni le bruit; le sang versé, aussi bien que les mauvais propos, ne peuvent satisfaire un homme offensé.

Eh bien, que voulez-vous dire? demanda Henri.

Je veux dire, mon gendre, que tu viens d'épouser ta fille, car c'est ta fille; voilà pourquoi je te hais, et voilà comment je me venge. Pour la première fois de sa vie, Henri eut la pensée d'assassiner un homme.

Clémentine restera vierge et martyre. Quelques fragmens de son journal nous révèlent les angoisses, les incertitudes, les tristesses, les soupçons, les tortures morales, les souffrances physiques de cette jeune femme. Mais un jour elle rencontre un jeune homme, M. Gustave de Chatenay. Henri de Montlieu, loin de ressentir aucune jalousie, leur facilite les occasions de se rencontrer; par un don généreux et qui reste un secret pour Gustave, il lui fournit les moyens de se fixer auprès d'eux; enfin, au moment où un amour mutuel a pris possession de ces deux jeunes cœurs, il lègue la totalité de sa fortune et la main de Clémentine à Gustave de Chatenay, et arme ses pistolets; mais un sommeil inattendu s'empare de lui. Clémentine qui, cette nuit même, devait prendre la fuite avec Gustave, pénètre dans sa chambre, jette les yeux sur ses dernières volontés; elle pousse un cri, et Montlieu ne pressait plus bientôt dans ses bras qu'un corps inanimé.

- Je dis, répliqua Laboissière quand Montlieu eut achevé son récit, qu'il y a là-dedans un grand malheur et une bien mauvaise action. – Oui, de la part de d'Argeles, n'est-ce pas?

- Non; de la vôtre. Mes principes ne sont pas sévères, vous le savez, mais je commence à croire que l'adultère est un grand crime, non à cause du mari, il peut l'ignorer; non à cause de la femme: on l'entraîne au mal, elle s'y laisse aller, et puis elle a les remords qui vengent le contrat méconnu.... mais l'enfant !

Ce récit, on le voit, est bien accentué; la touche en est ferme, et le développement se poursuit avec habileté; mais le style de M. Michel Masson est malheureusement fort au-dessous de son génie d'invention, il s'y rencontre fréquemment des solécismes, des locutions triviales, de dialogue est vulgaire. Quand on est homme de cœur, d'esprit et de talent, comme M. Masson, on doit au public et surtout à soi-même de faire quelques études de style.

NI JAMAIS NI TOUJOURS, PAR CH. PAUL DE KOCK (1).

Nous ne venons ni trop tôt ni trop tard pour parler du dernier livre de M. Paul de Kock; ni trop tôt, parce que nous n'avions pas besoin de ce nouveau chef-d'œuvre pour porter sur l'auteur de vingt autres romans dont le nom est devenu populaire, un jugement impar(1) Deux volumes in-8° avec vignettes, chez Barba, rue Mazarine, 4.

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