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point votre réputation, et vous ne perdrez point l'affection que vous devez avoir pour la douceur et l'humilité du cœur.

ou

Plaignez-vous le moins que vous pourrez du tort qu'on vous aura fait: car il est rare qu'on se plaigne sans pécher, notre amour-propre grossissant toujours à nos yeux et dans notre cœur les injures que nous avons reçues. S'il est nécessaire de vous plaindre, pour calmer votre douleur, ou pour demander conseil, ne vous plaignez jamais à des personnes qui prennent feu aisément, et qui facilement parlent mal ou pensent mal des autres; mais plaignez-vous à des personnes qui aient de la modération et de l'amour de Dieu; bien loin de calmer votre âme, les premières vous troubleraient davantage, et au lieu de vous arracher l'épine du cœur elles l'y enfonceraient encore plus.

Il y a des gens qui, étant malades ou affligés de quelque manière que ce soit, se gardent bien de se plaindre et de montrer de la délicatesse, parce qu'ils savent (et cela est très-vrai) que c'est une faiblesse et une lâcheté; mais ils désirent et font en sorte qu'on les plaigne, qu'on ait compassion d'eux, qu'on les regarde non-seulement comme affligés, mais comme patients et courageux. Je l'avoue, voilà de la patience, mais une fausse patience, qui n'est autre chose qu'un orgueil très-subtil et une vanité trèsraffinée. Oui, comme dit l'Apôtre, «ils ont de la

gloire, mais non pas aux yeux de Dieu. Le chrétien véritablement patient ne se plaint point de son mal et ne désire point qu'on le plaigne: s'il en parle, c'est avec simplicité et naïveté, sans le faire plus grand qu'il n'est; si on le plaint, il souffre patiemment ces plaintes, à moins qu'on ne le plaigne d'un mal qu'il n'a pas; car alors il en désabuse modestement les autres ainsi il conserve la tranquillité de son âme entre la vérité et la patience, déclarant ingénument son mal et ne se plaignant point.

Dans les contradictions que la dévotion vous attirera (car elles ne vous manqueront pas), souvenezvous de cette comparaison de Jésus-Christ: «Le travail de l'enfantement cause bien des douleurs à une « pauvre mère; mais dès qu'elle voit son enfant, elle « les oublie, et la joie d'avoir mis un homme au << monde dissipe toute sa tristesse, » Eh bien! Philothée, vous voulez absolument travailler, comme dit l'Apôtre, à former Jésus-Christ dans votre cœur et dans vos œuvres, par un amour sincère de sa doctrine et par une parfaite imitation de sa vie il vous en coûtera quelques douleurs, n'en doutez pas, mais elles passeront, et la présence de Jésus, qui vivra en vous, remplira votre âme d'une joie ineffable, que personne ne vous ravira jamais.

Quand vous serez malades, offrez vos douleurs, votre langueur et toutes vos peines à Jésus-Christ, le suppliant de les recevoir en union des mérites de sa passion. Souvenez-vous surtout du fiel qu'il prit pour l'amour de vous, et, obéissant au médecin, prenez et faites tout ce qu'il voudra, pour l'amour de Dieu. Désirez la guérison pour le servir; mais ne refusez point de languir longtemps dans votre mal pour lui obéir; et même disposez-vous à mourir, s'il le veut ainsi, pour aller jouir de sa glorieuse présence. Souvenez-vous, Philothée, que les abeilles vivent d'une nourriture fort amère pendant qu'elles font leur miel, et que pour nous, nous ne pouvons jamais mieux remplir notre cœur de la sainte suavité qui est le fruit des vertus que quand nous mangeons avec patience le pain amer des tribulations que Dieu nous envoie; plus elles sont humiliantes, plus notre vertu devient excellente et douce à notre cœur.

Pensez souvent à Jésus crucifié, considérez-le couvert de plaies, accablé d'opprobres et de douleurs, pénétré de tristesse jusqu'au fond de l'âme, dépouillé de tout, abandonné de tous, chargé de calomnies et de malédictions: alors vous avouerez que vos souffrances ne sont comparables aux siennes ni en qualité ni en quantité, et que jamais vous n'endurerez rien pour lui qui approche tant soit peu de ce qu'il a souffert pour vous.

Comparez-vous encore aux martyrs, ou, sans aller si loin, à tant de personnes qui souffrent actuellement plus que vous, et dites en bénissant Dieu: Hélas! mes épines me paraissent des roses, et mes douleurs des consolations, quand je me compare à ceux qui, sans secours, sans assistance, sans soulagement, vivent dans une mort continuelle, accablés d'afflictions plus grandes que les miennes.

CHAPITRE IV

De l'humilité dans la conduite extérieure.

Le prophète Elisée dit à une pauvre veuve d'emprunter de ses voisines tous les vases qu'elle pourrait, et que le peu d'huile qui lui restait dans sa maison coulerait toujours tant qu'elle en aurait à remplir. Cela nous apprend que Dieu demande des cœurs bien vides pour y faire couler sa grâce avec l'onction de son esprit: c'est, Philothée, de notre propre gloire qu'il faut absolument les bien vider.

On dit qu'un certain oiseau que l'on nomme crécerelle a une vertu secrète dans son cri et dans son regard pour chasser les oiseaux de proie, et l'on veut que ce soit la raison de la sympathie que les colombes ont pour lui. Nous pouvons dire aussi que l'humilité est la terreur de Satan, le roi de l'orgueil; qu'elle conserve en nous la présence et les dons du SaintEsprit, et que c'est pour cela qu'elle a été chérie par les saints et par les saintes, comme elle a fait les délices du cœur de Jésus et de sa sainte Mère.

Nous appelons vaine gloire celle que nous nous donnons, soit pour les choses qui ne sont pas en nous, soit pour celles qui; étant en nous, ne sont pas proprement à nous, ne viennent pas de nous, soit pour beaucoup d'autres qui, étant en nous et à nous, ne méritent pas que nous nous en fassions honneur. La noblesse de la naissance, l'amitié des grands, - la faveur populaire, tout cela est hors de nous, dans nos ancêtres ou dans l'estime des autres hommes: pourquoi s'en glorifier? Il y a des gens à qui la richesse des habits, l'éclat d'un brillant équipage, l'élégance d'un ameublement, la beauté d'un cheval, donnent de la fierté qui ne voit que c'est là de la folie? S'il y a de la gloire en cela, n'appartient-elle pas plutôt au cheval qu'on admire, au tapissier qui a fait les meubles, au tailleur qui a vendu l'habit? Combien qui montrent une vaine complaisance pour leurs beaux cheveux, leurs belles dents, leurs belles mains, un avantage au jeu, une voix agréable, unc manière gracieuse de danser! Mais quelle bassesse d'esprit et de cœur de vouloir établir l'honneur sur des choses si frivoles! Combien d'autres à qui un peu de science jointe à beaucoup de vanité donne tant de ridicule, que le nom de pédant est tout l'honneur qu'ils en reçoivent! En vérité, tout cela est bien superficiel, bien bas et bien impertinent. Cependant, Philothée, c'est sur tout cela que roule la vaine gloire.

On connaît le vrai bien à la même épreuve que le vrai baume. On fait l'essai du baume en le distillant dans de l'eau: s'il va au fond, on juge qu'il est pur, très-fin et d'un grand prix; au contraire, s'il surnage, on juge qu'il est altéré ou contrefait. Voulezvous donc savoir si un homme est véritablement sage, savant, noble, généreux? examinez si ces qualités sont accompagnées d'humilité, de modestie, de soumission envers ceux qui sont au-dessus de le car alors ce sont vraiment de bonnes qualités; m si vous y découvrez de l'affectation à faire paraître qu'il croit avoir de bon, dites que cet homme n' qu'un homme superficiel, et que ses qualités so d'autant moins réelles en lui, qu'il affecte de montrer. Les perles qui ont été formées dans temps d'orage n'ont que l'écorce, et sont entiè ment vides; de même toutes les vertus et les p belles qualités d'un homme qui les enflc de son orgu

et de sa vanité n'ont que la seule apparence du bien, sans aucune solidité.

On a raison de comparer les honneurs au safran, qui se fortifie et qui vient plus abondamment quand il a été foulé aux pieds. Une personne qui est fière de sa beauté en perd la gloire; celle qui la néglige lui donne plus d'agrément. La science déshonore dès qu'elle enfie l'esprit; elle dégénère en une ridicule pédanterie,

Si nous sommes pointilleux pour des préséances, pour des rangs et des titres, outre que nous aurons le chagrin de faire examiner nos qualités et de les voir contestées, nous les rendrons encore méprisables. Car, comme il n'y a rien de plus beau que l'honneur quand on le reçoit comme un présent, il n'y a rien aussi de plus honteux quand on l'exige comme un droit: il est semblable à une belle fleur qu'on ne peut ni cueillir ni toucher sans la flétrir. On dit que la mandragore donne, sentie de loin, une odeur fort douce, mais ceux qui veulent la sentir de près et longtemps éprouvent un assoupissement dangereux. C'est ainsi que les honneurs font une douce impression sur le cœur de ceux qui les reçoivent comme ils se présentent, sans empressement ni attachement, mais sont funestes à ceux qui les recherchent et s'y attachent avec empressement.

L'amour et la recherche de la vertu commencent à nous rendre vertueux, mais la passion et l'empressement pour la gloire commencent à nous faire mépriser. Les grandes âmes ne s'amusent pas à toutes ces bagatelles de préséance, de rang, de salut; elles se font des occupations plus nobles: cela ne convient qu'à de petits esprits qui n'ont rien de bon à faire. Comme celui qui peut faire un riche commerce de perles, ne se charge pas de coquilles, celui aussi qui s'attache à la pratique des vertus recherche peu les honneurs. J'avoue que chacun peut conserver son rang sans blesser l'humilité, pourvu que ce soit sans affectation et sans prétention; car, comme ceux qui viennent du Pérou dans des vaisseaux chargés d'or

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