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CHAPITRE X

Il faut s'appliquer aux affaires avec soin,
mais sans inquiétude ni empressement.

Il y a une grande différence entre le soin des affaires et l'inquiétude, entre la diligence et l'enipressement. Les anges procurent notre salut avec autant de soin et de diligence qu'ils peuvent, parce que cela convient à leur charité et n'est pas incompatible avec la tranquillité et la paix de leur bienheureux état; mais, comme l'empressement et l'inquiétude seraient entièrement contraires à leur félicité, ils n'en ont jamais pour notre salut, quelque grand que soit leur zèle.

Prenez donc soin des affaires dont vous êtes chargée; car Dieu, qui vous les a confiées, veut que vous y apportiez toute la diligence nécessaire. Mais n'y apportez jamais, s'il est possible, de l'empressement et de l'inquiétude; car l'empressement trouble la raison et nous empêche de bien faire la chose même pour laquelle nous nous empressons.

Quand Notre-Seigneur reprit sainte Marthe, il lui dit: Marthe, Marthe, vous vous inquiétez et vous « vous troublez pour beaucoup de choses. » Pre bien garde à cela. Si elle n'eût eu qu'un soin raisonnable, elle ne se fût pas troublée; mais parce qu'elle s'inquiétait beaucoup, elle se troubla, et c'est de q...... Notre - Seigneur la blama. Les fleuves qui roul doucement et également leurs eaux à travers les ca pagnes portent de grands bateaux et de riches m chandises; les pluies douces et modérées donnent fécondité à la terre; au lieu que les torrents et rivières rapides qui courent à grands flots ruin et désolent tout, et sont inutiles au commer. comme les pluies violentes et orageuses ravagent champs et les prairies. Jamais ouvrage fait avec

impétueuse précipitation et empressement ne fut bien fait.

Il faut se hâter lentement, comme dit l'ancien proverbe. Celui qui court vite, dit Salomon, s'expose à tomber à chaque pas; nous avons toujours fait assez tôt ce que nous avons à faire, quand nous l'avons bien fait. Les bourdons, qui font beaucoup plus de bruit et sont beaucoup plus empressés que les abeilles, ne font que de la cire, et jamais de miel; ainsi ceux qui, dans leurs affaires, font grand

ait et montrent tant d'empressement, ne font

jamais que peu de chose, et encore fort mal. Les mouches ne nous importunent que par leur altitude, et non pas par leur force ; ainsi nsi les grandes aires ne nous troublent pas tant par leur imporuce que les petites par leur nombre. Prenez donc les affaires avec une douce tranquillité

prit, comme elles viendront, et appliquez-vous-y on l'ordre dans lequel elles se présentent; car si us voulez faire tout en même temps et dans la fusion, vous ferez de grands efforts d'esprit qui is fatigueront, et vous n'obtiendrez pas ordinairent d'autres effets que l'accablement sous lequel vons succomberez.

En toutes vos affaires, appuyez-vous uniquement sur la divine providence, qui seule peut les faire réussir: agissez cependant, de votre côté, avec une raisonnable application et une sage prudence, pour y travailler sous sa conduite. Après cela, croyez que, si vous avez une vraie confiance en Dieu, le succès sera toujours heureux pour vous, soit qu'il paraisse bon, soit qu'il semble mauvais à votre jugement particulier.

Dans le maniement et dans l'acquisition des biens temporels, imitez les petits enfants, qui, se tenant d'une main à leur père, cueillent de l'autre quelques fruits ou quelques fleurs: servez-vous aussi de l'une de vos mains pour cueillir les biens de la terre, mais tenez-vous toujours de l'autre à votre Père céleste, vous tournant de temps en temps vers lui pour voir si vos occupations lui sont agréables: prenez garde surtout que le désir des richesses ne vous fasse quitter sa main et négliger sa protection; car s'il vous abandonne, vous ne ferez pas un pas sans tomber. Ainsi, Philothée, dans les occupations ordinaires qui ne demandent pas beaucoup d'application, pensez plus à Dieu qu'à vos affaires; et quand elles seront d'une si grande importance qu'elles mériteront toute votre attention, ne laissez pas de tourner de temps en temps les yeux vers Dieu, comme ceux qui, étant sur mer, regardent plus le ciel que la mer pour conduire leur vaisseau. Si vous agissez ainsi, Dieu travaillera avec vous, en vous et pour vous, et votre travail sera suivi de mille consolations.

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CHAPITRE XI

De l'obéissance.

La seule charité constitue la perfection; mais l'obéissance, la chasteté et la pauvreté sont les principales vertus qui nous aident à l'acquérir; car l'obéissance consacre notre esprit à l'amour et au service de Dieu; la chasteté, notre corps; la pauvreté, nos biens. Elles sont comme les trois branches de la croix spirituelle sur laquelle nous sommes crucifiés avec Jésus-Christ; et elles sont en même temps fondées sur une quatrième vertu, qui est la sainte humilité. Je ne veux vous parler de ces trois vertus ni par rapport aux vœux solennels de religion, ni même par rapport aux vœux simples qu'on peut faire dans le monde; je les considèrerai seulement en ellesmêmes; car, si le vœu attache beaucoup de grâces et de mérites à ces vertus, leur pratique, sans aucun vœu, suffit absolument pour nous conduire à la perfection. Il est vrai que les vœux, et surtout les vœux solennels, établissent une personne dans l'état de

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perfection: mais il y a une grande différence entre l'état de perfection et la perfection, puisque tous les évêques et les religieux sont dans l'état de perfection, et que tous néanmoins n'ont pas la perfection, comme on ne le voit que trop. Tâchons done, Philothée, de nous appliquer à la pratique de ces vertus, mais chacun selon notre vocation. Car, bien qu'elles ne nous mettent pas elles-mêmes dans l'état de perfection, elles nous donneront cependant la perfection: et d'ailleurs, nous sommes tous obligés de pratiquer ces trois vertus, quoique nous ne soyons pas tous obligés de les pratiquer d'une même manière.

Il y a deux sortes d'obéissance l'une est nécessaire, l'autre volontaire. Par les lois de l'obéissance nécessaire, vous devez obéir humblement à vos supérieurs ecclésiastiques, comme au pape, à votre évêque, à votre curé, et à ceux qui les représentent. Vous devez encore obéir à vos supérieurs politiques, c'est-à-dire au prince et aux magistrats qu'il a établis dans ses Etats. Vous devez enfin obéir à vos supérieurs domestiques, c'est-à-dire à votre père et à votre mère, à votre maître et à votre maîtresse. Or cette obéissance s'appelle nécessaire, parce que nul ne peut s'exempter d'obéir à ses supérieurs, Dien leur ayant communiqué son autorité pour gouverner, par voie d'empire et de commandement, ceux dont il leur a confié la conduite. Obéissez donc à leurs ordres, c'est en cela que consiste l'obéissance, qui est de nécessité indispensable. Mais, pour être parfaits, suivez encore leurs conseils, et même leurs désirs et leurs inclinations, autant que la charité et la prudence vous le permettront. Obéissez quand ils vous commanderont quelque chose d'agréable, comme de manger et de vous divertir; et, bien qu'il ne semble pas y avoir une grande vertu à obéir en de semblables choses, ce serait un grand vice que de désobéir. Obéissez en tout ce qui paraît indifférent, comme de porter tel ou tel habit, d'aller par un chemin ou par un autre, de parler ou de se taire, et votre obéissance sera déjà un grand mérite. Obéissez dans les choses difficiles, rebutantes ou laborieuses, et votre obéissance sera parfaite. Obéissez enfin sans réplique et même avec douceur, sans délai et même avec ferveur, sans chagrin et même avec joie. Surtout obéissez avec amour, et pour l'amour de Celui qui par amour pour nous se rendit obéissant jusqu'à la mort de la croix, et aima mieux, comme dit saint Bernard, perdre la vie que l'obéissance.

Pour apprendre à obéir aisément à vos supérieurs, conformez-vous facilement aux volontés de vos égaux, cédez à leurs sentiments sans aucun esprit de contestation, lorsque vous n'y verrez rien de mauvais; et, de plus, conformez-vous volontiers aux désirs raisonnables de vos inférieurs, sans exercer votre autorité sur eux d'une manière impérieuse, tant qu'ils se tiendront dans l'ordre. C'est un abus de croire que, si l'on était en religion, on obéirait facilement, quand on sent de la difficulté et de la répugnance à obéir aux personnes que Dieu a mises au-dessus de nous.

Nous appelons obéissance volontaire celle qui ne nous est pas imposée de droit, et à laquelle nous nous obligeons nous-mêmes volontairement et par choix. On ne peut choisir son père et sa mère; on ne choisit pas ordinairement son prince, ni son évêque, ni même souvent son mari; mais on choisit son confesseur et son directeur. Or, soit que dans ce choix on fasse vœu de lui obéir, comme sainte Thérèse, qui, outre l'obéissance qu'elle avait vouée solennellement au supérieur de son ordre, s'obligea par un vœu simple à obéir au Père Gratien; soit que, sans aucun vœu, on veuille humblement obéir à un confesseur, cette obéissance s'appelle volontaire, parce qu'elle dépend dans son principe de notre volonté et de notre élection. Il faut obéir à tous nos supérieurs, mais à chacun en particulier dans les choses sur lesquelles son autorité s'étend aux princes, pour tout ce qui est de la police et du gouvernement de leurs Etats; aux prélats, en tout ce qui regarde la discipline ecclésiastique; à un père, à un maître,

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