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de la couronne de France; et comme le calme de la mer ne se trouble jamais si elle n'est agitée par les orages et par les vents, ainsi cette contrée recueilloit les fruicts d'une profonde paix, lorsque les Espagnols, par leurs secrètes pratiques, y ont allumé la flamme des divisions civiles, lesquelles ils ont depuis entretenues par des conspirations ouvertes, ou plustost par des tempestes pleines de violence qui ont pensé opprimer sa liberté ; de quoy ils ont treuvé l'occasion sur le subject de la guerre des Vénitiens et des Uscoqs. Car le Roy d'Espagne et Léopold, archiduc d'Austriche, ayant pris la protection des Uscoqs, ils sont entrés d'un costé dans la Valteline, et les Vénitiens de l'autre, et à force d'argent y ont suscité des troubles et formé des factions, lesquelles ont produit les séditions, les mouvemens et les rébellions qui, ayant fait prendre neuf diverses fois les armes, ont causé la perte de la pluspart des habitans, divisez en deux partys, qui estoient soustenus d'armes et d'argent par l'Espagnol et l'archiduc d'Austriche d'une part, et par les Vénitiens de l'autre. Ainsi la Valteline estoit un théatre sur lequel les hommes jouoient une estrange tragédie; et comme l'on voit ordinairement que, pendant un temps plein de confusion, on se deffie de tout, et mesme que la foy des amys et des voisins est suspecte, les Valtelins redoutoient esgalement les richesses, la haine et la domination de l'Espagnol et de l'archiduc d'Austriche, et des Vénitiens, estimans que de tous costez il y avoit du danger, et que l'ambition et la convoitise de régner aveuglent les esprits jusques à ce point qu'ils leur font oublier tous les respects de l'amitié. Mais à la fin le Roy très chrestien, voyant qu'ils estoient prests de fléchir et de se rendre à l'effort que les Espagnols et les Vénitiens fai

soient sur eux, il s'est entremis de les accommoder, et a esteint toute leur deffiance en réunissant deux familles nommées les Salies et les Plantines, qui par leurs querelles ont plus causé de mal à la Valteline que les Frégoses et les Adornes n'ont jamais fait à Gennes, les Guelphes et les Gibelins en Italie, et, relevant les affaires de ceste province dont il est le protecteur, qui estoient comme désespérées, a fait assembler les estats que l'on nomme dans le pays le Pittac, où, pour reprendre l'usage ancien de la liberté, toute alliance et mesme toute communication de commerce et de traffic a esté deffendue avec les Espagnols et les Vénitiens. Néantmoins, depuis ils ont fait naistre d'autres subjects de divisions, et les Espagnols se mettans du party des factieux, et les Vénitiens prenans la défense de quelques autres, diverses assemblées ont esté faites, pendant lesquelles l'on a veu commettre un nombre infiny de crimes horribles et exécrables dont le cours a esté prudemment arresté par les ambassadeurs du Roy Louys-le-Juste. Toutesfois, ils n'ont sceu si bien faire que les Espagnols n'ayent pris le dessus pendant que la France estoit affligée de guerres civiles; car alors ils sont entrez dans la Valteline, et, par les pratiques du gouverneur de Milan, ils ont disposé les Valtelins à une rébellion ouverte, leur fournissant armes et argent pour se défendre contre les Grisons, leurs seigneurs, et se saisissant à mainforte de ceste province, ils se sont deffaits par trahison de ses principaux habitans, et y ont basty plusieurs forteresses, ausquelles ils ont mis des garnisons. Il a esté bien facile aux Espagnols de se rendre maistres d'un pays qui estoit despourveu de force et de secours, et ils ont l'obligation de ceste conqueste plustost à la bonne fortune qui les a assistez qu'à leur valeur; car ils n'eus

sent pas fait ceste entreprise si les François n'eussent point esté empeschez chez eux, parce que leur coustume est de ne dire mot lorsque leurs voisins ont la paix et de monstrer de l'audace et de la témérité quand ils voyent qu'ils ont des affaires domestiques. Or, les Espagnols, pour establir leur usurpation, ont trouvé moyen de diviser les trois ligues et de séparer la ligue Grise des deux autres, et dès lors ont commencé à traiter impérieusement les peuples, et à tesmoigner leur orgueil et leur arrogance de fait et parelles, tant en la Rhétie qu'en la Valteline. Cependant tous les Roys et princes de l'Europe, touchez de ceste invasion, se plaignent de l'Espagnol comme d'un usurpateur; l'Espagnol dit pour s'excuser qu'ils a pris la protection des Valtelins pour les maintenir en l'exercice de la religion catholique, dont il prétend que les protestans procurent la ruine, et promet de restablir toutes choses en leur premier estat dans peu de temps; mais le Roy Louys-leJuste, estant justement esmeu des prières de tant de princes et de peuples, n'a peu moins faire que de se joindre à eux en ceste occasion, qui le regardoit plus que personne. C'est pourquoy il s'est employé pour remettre en liberté ceste province qui plioit sous le joug de la tyrannie espagnole, employ digne de Sa Majesté, parce que la meilleure action que puisse faire un prince est de soulager les affligez; et il n'y a pas tant de gloire d'avoir sceu tousjours mener un mesme train de vie, et de s'estre maintenu en une perpétuelle prospérité, que de n'avoir pas abandonné ses amis en leur mauvaise fortune, et l'on ne fait pas tant d'estat de ceux qui ont suivi le vent de la faveur, et qui se sont attachez d'affection avec les grands, que de ceux qui ont donné la main aux misérables. Ainsi le Roy très chrestien en

voye en Espagne monsieur de Bassompierre, mareschal de France, qui, faisant paroistre l'excellence de son esprit en ceste négociation, oblige l'Espagnol de promettre pour la seconde fois la restitution de la Valteline; mais en mesme temps arriva la mort de Philippes III, Roy d'Espagne, laquelle différa l'exécution de ceste parolle. Cependant la Rhétie et la Valteline voyent respandre en divers combats le sang de leurs citoyens qui, devenus sages à leurs despens, réunissent la ligue Grise avec les deux autres et renoncent à la faction espagnole. Comme les affaires estoient en cest estat, monsieur le mareschal de Bassompierre trouve moyen de les accommoder, et par le traité qu'il fait en la ville de Madrit (1), au nom du Roy Louys-le-Juste, avec le Roy d'Espagne, il est accordé que la Valteline sera rendue aux Grisons, à la caution des ligues catholiques des Suisses; qu'aucun autre prince que le Roy très chrestien ne pourra avoir passage par la Valteline, et qu'en ceste province il y aura exercice de la religion catholique et romaine en toute liberté. Mais les Suisses catholiques, gagnez et déceuz par les Espagnols, négligent de ratifier ce traitté, et d'autre part les Espagnols refusent de sortir de la Valteline; les Grisons se plaignent de ce manquement de foy et s'efforcent de remettre les rebelles Valtelins en leur

(1) Cet accord fut signé à Madrid le 25 avril 1621. Le 3 mai de l'année suivante, un second traité vint modifier les articles du premier dans un sens favorable aux intérêts de l'Espagne; mais, dit l'auteur de la vie de Richelieu que nous avons cité précédemment, «Sa Majesté Chrestienne n'eut garde de le ratifier et désadvoua nettement son ambassadeur, le sieur de Fargis, comte de la Rochepot, qui l'avoit signé sans en avoir le pouvoir et sans ordre, et qui s'estoit laissé prendre en un entretien familier par le comte d'Olivarez, premier ministre et chef du conseil d'Estat d'Espagne.»>

devoir. Le gouvernement de Milan vient au-devant d'eux et se saisit du comté de Chiavene, de Poschiane, de Bergalle et de tous les autres passages des Grisons en Italie, et establit partout des garnisons; et en mesme temps Léopold, archiduc d'Austriche, se rend maistre par force de la ligue des Prevostez, comme il estoit convenu entre les Espagnols et luy; et pour avoir un prétexte, se couvre du traité de Lindaue, qui avoit esté extorqué des Grisons avec violence. Cependant la France estoit affligée de guerres civiles, et le Roy Louys-le-Juste, désirant appaiser les mouvemens de son Estat pour donner ordre aux affaires estrangères, accorde la paix à ses subjets rebelles, et, estant sur le poinct de retourner à Paris, donne jusques à Avignon, où il est receu avec une joye incroyable et un infiny applaudissement du peuple. Là se treuvent le sérénissime duc de Savoye et les ambassadeurs des Vénitiens et des Grisons, qui, joignant leurs vœux ensemble, conjurent Sa Majesté d'imiter les belles actions de ses prédécesseurs, dont la mémoire durera autant que le monde pour avoir tousjours travaillé à conserver la paix publicque et le repos de leurs voisins. Ils luy mettent devant les yeux le misérable estat auquel les affaires sont réduites en la Rhétie et en la Valțeline, et luy représentent qu'il n'y a que son authorité qui puisse les rétablir; que la dignité de son nom peut faire cesser tous ces désordres, et que Dieu favorisera un si louable dessein, et donnera un heureux succès aux vœux de tant de peuples. Ainsi la ligue se conclud entre le Roy très chrestien et eux pour contraindre l'Espagnol d'exécuter le traité de Madrit (1); mais

(1) Le traité entre la France, Venise, les Grisons et le duc de Savoie, fut arrêté à Paris le 7 février 1623.

<<< Sa Sainteté alors fit agréer au commandeur de Sillery, pour

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