Images de page
PDF
ePub

Italie.

néral Chabran, avec sa division, pénétrait dans la vallée d'Aoste 1800 – an VIII par le petit Saint-Bernard; enfin 5,000 hommes conduits par le général Thureau étaient descendus du mont Cénis et du mont Genèvre pour se trouver en mesure de marcher sur Turin.

que la rangée de trous dans lesquels avait été engagée l'une des extrémités de chaque pièce de bois : un des soldats les plus hardis s'offre à mettre les deux pieds dans les deux premiers trous, puis à tendre une corde à hauteur d'homme, en marchant de cavité en cavité, et lorsqu'il est parvenu à fixer la corde jusqu'à l'autre extrémité de l'intervalle entièrement vide au-dessus de l'abime, c'est le général Béthencourt qui donne l'exemple de passer ainsi suspendu par les bras à une corde même très-peu forte; et c'est ainsi que près de mille Français ont franchi un intervalle d'environ dix toises, chargés de leurs armes, chargés de leurs sacs. On les avait vus se servir de leurs baionnettes, employer des crochets pour pouvoir gravir des montagnes dont l'escarpement semblait avoir banni à jamais les humains. Je crois vous les présenter ici, citoyen général, luttant contre les plus affreux périls, dans une attitude nouvelle, suspendus entre le ciel et le plus effroyable abime, par l'unique espoir de vaincre, par l'unique envie de vous obéir.

[ocr errors]

Si quelque chose peut aider à concevoir quel a été le péril des hommes, c'est le sort des chiens. Cinq seulement suivaient la colonne. L'amour de leurs maîtres ne leur a pas permis, ici plus qu'ailleurs, de s'en séparer. Ces animaux, dont l'histoire offre tant d'actions de morale et de courage plus ou moins touchantes, après avoir vu partir leurs maîtres pour placer leurs pieds dans les trous où des pieds d'hommes pouvaient seulement entrer; après les avoir vus se pendre à la corde que des mains d'hommes seules pouvaient encore saisir, se précipitent dans le gouffre comme d'un commun accord. Trois sont à l'instant entraînés pour jamais dans les flots du torrent qui coulait au fond du précipice; mais deux sont assez vigoureux pour lutter contre le torrent, pour se tirer de ses eaux écumantes, pour triompher des roches à pic qui les séparaient du chemin redevenu praticable, pour arriver enfin moins mouillés encore que meurtris jusqu'aux pieds de leurs maîtres.

« Je reviens à nos combattants: il est temps de vous rappeler, citoyen général, que c'étaient des détachements de la 44 et 102° demi-brigade, auxquels se joignaient quelques compagnies de l'infanterie helvétienne. Les noms du général, des officiers de son état-major, tant français qu'helvétiens, qui ont donné l'exemple d'une telle audace, sont déjà gravés sur le roc qui leur avait refusé le passage. Ils trouveront là sans doute le plus beau temple de mémoire; mais ils y trouveront de plus cette force d'élan, qui leur a fait ensuite renverser, surprendre les postes autrichiens avec tant de bonheur; ceux-ci dormaient, pour ainsi dire, appuyés sur cette barrière. Avec quelle stupeur ils ont vu arriver les Français sur leur front, sur leur flanc, et descendre le Simplon, lorsqu'ils les croyaient loin de pouvoir le gravir, etc. »

1800-an VIII Italie

Les deux divisions d'avant-garde étaient à peine arrivées à Étroubles, que le général Lannes s'empressa de réunir et de diriger six bataillons et quelques pièces de campagne contre la petite ville d'Aoste, occupée par les Autrichiens. Il n'y avait point de temps à perdre, et il devenait indispensable de faire des progrès rapides, avant que l'ennemi fût en mesure d'arrêter l'armée de réserve à l'entrée de la vallée. Les troupes qui défendaient Aoste s'étaient établies sur les hauteurs qui dominent cette ville: Lannes les fit attaquer à la baïonnette, tandis qu'un bataillon de la 6o légère tournait les hauteurs sur la droite. Les Autrichiens abandonnèrent Aoste, après avoir perdu un assez bon nombre d'hommes : leur commandant fut blessé grièvement dans cette affaire. Le 19 mai, les Français arrivèrent devant Chatillon, bourg défendu par 1,500 Croates, auxquels s'étaient joints les débris du détachement battu à Aoste. Quoiqu'il fût presque nuit, et que l'ennemi occupât, à l'embranchement de deux vallées, une position resserrée et bien appuyée à la gauche de la Doria, le général Lannes ordonna aux grenadiers d'un bataillon de la 32o demi-brigade' de s'avancer la baïonnette en avant. Repoussés d'abord par les grand'gardes ennemies, ces braves revinrent à la charge, soutenus par cent hussards du douzième régiment, à la tête desquels se mirent les généraux Watrin, Mainoni, et plusieurs officiers d'état-major. Cette seconde attaque eut un succès complet. L'ennemi fut déposté et prit la fuite, avec perte de 300 prisonniers, cent hommes tués ou blessés, et trois pièces de canon. Les Français poursuivirent le reste des troupes jusque sous le fort de Bard. Ces deux affaires n'avaient coûté aux Français que la perte de quelques hommes : l'adjudant général Noguès avait été blessé assez dangereusement dans la dernière.

Bonaparte était resté quelques jours à Lausanne, et il y avait travaillé sans relâche ( ainsi que le prouve sa correspondance) à régulariser les différents services, à accélérer les transports de l'artillerie, des munitions et des vivres. Il quitta cette ville le 19, pour joindre l'armée, et reçut au village de Martigny des

C'était un bataillon formé au dépôt de cette demi-brigade, alors en Egypte.

Italie.

dépêches du général Suchet, par lesquelles celui-ci, en lu! 1800-an vi rendant compte de la suite des événements survenus depuis la séparation de l'aile droite d'avec la gauche de l'armée d'Italie, lui apprenait que le général Mélas, repoussé dans ses attaques sur la tête de pont du Var, et informé des premiers mouvements de l'armée de réserve, s'était borné à détacher un corps de 5,000 hommes par le col de Tende, vers le Piémont, et se trouvait, le 14 mai, à Vintimiglia. Ces nouvelles étaient, saus doute, les plus favorables que le premier consul pût espérer dans la conjoncture présente. Après avoir passé le Saint-Bernard avec l'arrière-garde de l'armée, Bonaparte établit son quartier général, le 21, dans la ville d'Aoste.

Cependant l'avant-garde française était arrêtée devant la ville. et le château de Bard, situés sur le chemin qui conduit d'Aoste à Ivrée. Le général Berthier s'y était porté de sa personne pour reconnaître cet obstacle, qu'on ne croyait pas d'abord aussi difficile à surmonter. Le fort est construít sur un rocher de forme pyramidale, qui, se trouvant détaché et isolé sur la rive gauche de la Dora-Baltea, dont le cours, en cet endroit, est plus rapide et le lit plus profond, ferme la vallée d'Aoste, et présente une barrière formidable. Son tracé est irrégulier comme la coupe du terrain. Il a un bon revêtement et presque partout une double enceinte. Les batteries sont placées de manière à ne laisser, ni dans la petite ville, bâtie au-dessous et à l'extrémité du platcau au bord de la rivière, ni sur aucun des endroits qui paraissent accessibles, un point qui ne soit vu et ne puisse être atteint par l'artillerie : elles étaient alors garnies de vingt-deux pièces. Comme le fort est dominé, à la portée du fusil, par les pointes et les anfractuosités les plus avancées d'une montagne appelée Albaredo, d'où le rocher a été détaché, la garnison, forte d'environ 400 hommes, était logée bien à couvert dans les casernes formant le terre-plein, et prenant jour par les créneaux dont le revêtement était percé. Ces casernes se trouvaient en outre blindées, chargées et recouvertes avec de larges pierres.

Berthier avait ordonné au général Marescot de faire une reconnaissance exacte de la position; et ce chef du génie déclara que le fort ne pouvait être enlevé de vive force, si le commandant voulait opposer une résistance convenable.

400-an VII

Malie.

Le général Lannes ayant fait replier les postes qui défendaient les hauteurs, Berthier ordonna que la ville fût attaquée en conséquence le général Watrin s'avança à la tête de quatre compagnies de grenadiers et de deux autres de sapeurs. Les pontslevis furent baissés, les portes brisées à coups de hache, les troupes ennemies chassées de la ville, poursuivies et forcées de se réfugier dans le fort qui, dès ce moment, fut bloqué étroitement. Les grenadiers français se logèrent dans les maisons les plus rapprochées du fort, d'où ils tiraient sur les embrasures et les créneaux. Berthier voulut, dès le même jour, essayer une attaque, qui fut repoussée avec perte. Cette tentative, qui permit de voir de plus près la force de l'obstacle et la nécessité de le surmonter, acheva de démontrer la justesse de l'observation faite par le général Marescot, quand il avait rapporté que la possession du fort dépendait de la plus ou moins grande fermeté du commandant autrichien. L'armée se trouvait dans une position fort cri- . tique. Resserrée dans un petit espace, elle ne vivait que des approvisionnements si difficilement amassés au delà du mont Saint-Bernard, et plus difficilement encore charriés en deçà. Aussi l'inquiétude et l'impatience du premier consul étaient elles extrêmes. Il écrivait, de son quartier général d'Aoste, lettre sur lettre au général Berthier; et celui-ci, n'osant plus hasarder une nouvelle attaque, mais voulant toutefois satisfaire Bonaparte, donna l'ordre de travailler sans délai à ouvrir un passage aux troupes à travers les rochers d'Albaredo, et dans une distance assez éloignée pour que les feux du fort ne pussent y porter empêchement. 1,500 hommes furent employés à cette opération, et travaillèrent avec tant d'activité qu'en moins de deux jours elle fut terminée. Des escaliers furent taillés dans les endroits où la pente était trop rapide; dans ceux où le sentier, étroit et fortement incliné, était bordé à droite et à gauche par des précipices, on éleva des murs en pierre sèche pour garantir des chutes; là où les rochers se trouvaient séparés par des crevasses trop profondes, on jeta des ponts pour les réunir. L'avant-garde, les autres divisions et même la cavalerie purent défiler par ce sentier périlleux, qui offrait de bien plus grandes difficultés que celles qu'on avait rencontrées au passage du Saint-Bernard. Toutefois, comme l'artillerie ne pouvait pas être transportée par

[ocr errors]

cette voie nouvelle, les deux chefs de l'artillerie et du génie, 1800-an vi Marmont et Marescot, étudièrent le terrain, et cherchèrent, avec toute l'attention que réclamait impérieusement le succès de l'entreprise, les points les plus avantageux pour battre le fort et en éteindre les feux. Ils parvinrent avec des peines inouïes à faire placer quelques pièces qui dominaient le rocher, mais dont l'effet fut peu satisfaisant'. Le commandant du fort, sommé de se rendre, répondit en homme qui connaissait toute l'importance de son poste et les moyens de défense qu'il avait à sa disposition.

Le retard éprouvé par l'armée française dans sa marche avait déterminé le premier consul à se rendre sur les lieux. Il avait visité à différentes reprises les environs du fort et les travaux entrepris pour frayer le passage dont nous avons parlé plus haut'. Montrant en cette occasion la même opiniâtreté qu'il avait manifestée l'année précédente au siége de Saint-Jean d'Acre, Bonaparte voulut, contre l'opinion des généraux Berthier et Marescot, tenter de nouveau l'attaque de la première enceinte palissadée, l'escalade et l'assaut du corps de la place. Berthier ordonna, à cet effet, les dispositions nécessaires; et, dans la nuit du 23 au 24 mai, trois colonnes, de 300 grenadiers chacune, se mirent en mouvement, soutenues par des réserves. Deux de ces

Jusque-là une seule pièce de canon, placée dans le clocher de la petite ville de Bard, avait pu tirer sur le fort. Les canons qui venaient d'être mis en batterie sur les hauteurs y avaient été transportés avec des efforts extraordinaires. Des soldats avaient chargé sur leur dos des pièces de 4, et, marchant à travers les rochers du col de la Coul, étaient venus les placer dans les positions désignées par les généraux Marescot et Marmont. Si d'abord ces batteries ne produisirent pas l'effet qu'on en espérait, elles n'en furent pas moins d'une grande utilité pour la reddition postérieure du fort de Bard.

2

* Il était monté à pied, avec le général Berthier, sur le sommet de la montagne d'Albaredo, pour avoir un coup d'œil complet de la position du château de Bard; fatigué de ce trajet pénible et accablé par la chaleur de la journée, il s'endormit sous un sapin; les deux divisions d'avant-garde défilaient en ce moment, et les soldats, pour ne point interrompre le sommeil du premier consul, marchèrent avec précaution et dans le plus grand silence, jetant un regard d'intérêt sur le chef qui partageait ainsi leurs fatigues et dont ils savaient apprécier toute l'activité. Cette scène a été retracée par le pinceau de l'un de nos artistes célèbres.

« PrécédentContinuer »