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priés ni aux mœurs ni au caractère des habitants, étaient deve- 1802
nus d'inépuisables sujets de dissensions civiles. Deux membres
du directoire helvétique, Dolder et Savary, entreprirent, sous
les auspices et à l'instigation de l'envoyé du premier consul, le
citoyen Verninac, de faire une révolution également dans le
genre de celle opérée le 18 brumaire en France. Ils firent en-
tourer, par des hommes dévoués, la salle des séances du corps
législatif, annoncèrent que cette assemblée était dissoute, et an-
nulerent de leur pleine autorité la constitution alors en vigueur.
Ces deux dictateurs organisèrent ensuite un sénat provisoire de
vingt-cinq membres, qui fut appelé à concourir avec eux à don-
ner une nouvelle forme de gouvernement à l'Helvétie. Dans
une lettre ostensible, adressée à l'envoyé Verninac, ils décla-
rèrent « que l'unique but de ce mouvement politique était de
seconder les vœux du peuple suisse, auquel le premier consul
Bonaparte daignait prendre un intérêt si vif, et de lui frayer la
route vers la modération et la sagesse, par lesquelles la France
était parvenue à assurer sa tranquillité intérieure et sa pros-
périté. »

Il restait encore à fixer le gouvernement définitif de l'état que Bonaparte avait créé lui-même sous la dénomination de république cisalpine. En abandonnant aux habitants de ce pays le soin de se constituer eux-mêmes d'une manière indépendante, le premier consul craignait de perdre l'influence qu'il y avait acquise et de voir une révolution intérieure préparer le retour de la domination autrichienne. Afin donc d'éviter ces inconvénients, il résolut de diriger la formation du gouvernement cisalpin et de régler le sort de cette république de manière à la conserver toujours dans la dépendance de la France, ou plutôt dans la sienne propre. Le gouvernement qu'il avait établi provisoirement à Milan rendit, à son instigation, un décret portant qu'il serait convoqué à Lyon une assemblée extraordinaire, chargée d'asseoir les nouvelles bases de la république cisalpine, sous les auspices et en présence du premier magistrat de la république française. Quoique ce fût une idée assez bizarre que celle d'appeler sur un sol étranger les mandataires d'une nation pour y délibérer sur la constitution de leur pays, tel était cependant l'enthousiasme que

an x

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1802an Bonaparte avait inspiré à cette portion de la nation italienne, que les hommes les plus considérés parmi les Cisalpins briguèrent à l'envi l'honneur de faire partie de cette assemblée constituante (consulta), dont les membres furent nommés par les autorités alors existantes.

L'ouverture de la consulte cisalpine fut fixée au 31 décembre et eut lieu ce jour-là avec toute la pompe et la solennité requises pour une opération de cette importance. Le premier consul avait choisi pour présider l'assemblée, composée de 452 membres, le conseiller d'État Petiet, ministre extraordinaire de France à Milan. Cet administrateur général de la république cisalpine, pendant le gouvernement provisoire, s'était acquis par sa belle conduite et ses talents l'estime générale des Lombards, et il eût été difficile de faire un choix plus distingué. Bonaparte, accompagné des ministres de l'intérieur et des relations extérieures, s'était rendu à Lyon pour assurer par sa présence le résultat attendu des délibérations de l'assemblée, qui se divisa en cinq sections. Il assista à la première séance, dans une tribune placée en face du fauteuil du président et qu'on avait ornée de trophées d'armes en mémoire des victoires remportées par lui en Italie et en Égypte.

Une commission de 30 membres nommés au scrutin présenta à l'acceptation de l'assemblée un projet de constitution qui fut adopté presque sans discussion. Cet acte établissait un corps législatif, un conseil d'État et un président de la république, en qui seul devait résider le pouvoir exécutif. En communiquant son projet à l'assemblée, cette commission avait annoncé que les circonstances lui paraissaient trop graves pour que le nouvel État put se passer de tout secours étranger, et qu'elle croyait utile de supplier le général Bonaparte de vouloir bien honorer la république cisalpine en continuant de la gouverner, et en associant à la direction des affaires de la France le soin de la conduire elle-même pendant tout le temps qu'il croirait nécessaire pour réduire toutes les parties du territoire à l'uniformité des mêmes principes et pour faire reconnaître le nouvel État par toutes les puissances de l'Europe. Cette proposition fut consacrée par l'assemblée, qui décida que le premier consul de la république française serait supplié de vouloir bien

accepter la dignité de président de la république cisalpine, 1802-anx qui lui était offerte par la reconnaissance et les vœux unanimes de l'assemblée.

Bonaparte n'avait garde de refuser un poste qu'il avait sollicité en quelque sorte par des mesures préparatoires. Le lendemain de cette délibération, 26 janvier 1802, il se rendit en grand cortège à la consulte, et prononça en italien un discours dont voici quelques passages remarquables :

« La république cisalpine, reconnue depuis Campo-Formio, a déjà éprouvé bien des vicissitudes. Les derniers efforts faits pour la constituer ont mal réussi. Envahie depuis par des armées ennemies, son existence ne paraissait plus probable, lorsque le peuple français, pour la seconde fois, chassa les ennemis de votre territoire. Depuis ce temps, on a tout tenté pour vous démembrer; la protection de la France vous a sauvés. Vous avez été reconnus à Lunéville; accrus d'un cinquième, vous existez plus puissants, plus consolidés, avec plus d'espérance..... Vous m'avez donné les renseignements nécessaires pour remplir la noble tâche que mon devoir m'impose comme premier magistrat du peuple français et comme l'homme qui a le plus contribué à votre création en corps de nation.

« Les choix que j'ai faits pour remplir vos premières magistratures l'ont été indépendamment de toute idée de parti, de tout esprit de localité; quant à celle de président, je n'ai trouvé personne parmi vous qui eût assez de droit sur l'opinion publique, qui fût assez indépendant de l'esprit de localité, et qui eût rendu d'assez grands services à son pays pour la lui confier. Le procès-verbal que vous m'aviez fait remettre par votre comité des trente, où sont analysées avec autant de vérité que de précision les circonstances extérieures et intérieures dans lesquelles se trouve votre patrie, m'a vivement pénétré. J'adhère à votre vœu; je conserverai encore, pendant le temps que ces circonstances le voudront, la grande pensée de vos affaires, etc. »>

C'est après ce discours, qui fut souvent interrompu par les applaudissements de tous les assistants, qu'on procéda, en présence du premier consul, à la lecture solennelle de l'acte constitutionnel de la république cisalpine. Tous les membres

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de la consulte se levèrent, par un mouvement spontané, pour demander que le mot cisalpine fût remplacé par le mot italienne, plus conforme au véritable génie et aux espérances de Ja nation. Bonaparte se rendit à ce vœu; et ce grand et hardi changement, qui devait avoir une influence marquante sur les destinées futures du nouvel État, fut proclamé sur-le-champ. Le vice-président et les autres grands magistrats, qui devaient gouverner la république sous la direction de Napoléon Bonaparte, furent aussi proclamés dans cette séance. Melzi était vice-président, Guicciardi secrétaire d'État, Spanocchi grandjuge, etc. Afin de terminer d'une manière aussi pathétique que solennelle cette journée, qui fixait les destins de la Lombardie, Bonaparte invita l'ex-comte de Melzi à venir s'asseoir auprès de lui, et l'embrassa. Cette scène émut d'autant plus fortement l'assemblée, que Melzi, issu d'une ancienne famille, et l'un des personnages les plus considérables de l'ancien duché de Milan, s'était toujours montré opposé à Bonaparte, dont il redoutait et blåmait hautement les vues ambitieuses. Le premier consul, ayant ainsi terminé au gré de ses désirs les affaires de l'Italie, partit presque aussitôt pour Paris, où il fut reçu avec les mêmes acclamations qui signalaient toujours sa rentrée dans cette capitale.

Traité d'Amiens. Les soins divers donnés par Bonaparte aux opérations politiques dont nous venons de rendre compte n'avaient point ralenti les négociations du traité définitif de paix avec l'Angleterre. Le génie actif et fécond du premier consul, parvenu alors à son plus haut degré d'énergie, étendait partout sa puissante influence, et aucun des vastes intérêts dont il s'était chargé n'était négligé. En conformité de l'article 15 des préliminaires signés à Londres, les plénipotentiaires français, anglais, espagnols et hollandais, Joseph Bonaparte, lord Cornwallis, le chevalier d'Azara et M. Schimmelpenninck, s'étaient réunis dans la ville d'Amiens, et s'y étaient sérieusement occupés du soin de donner une paix stable à l'Europe: de grandes et intéressantes discussions eurent lieu à cet égard; mais les négociations diplomatiques n'ayant qu'un rapport éloigné avec ce qui nous occupe, nous n'entrerons dans aucun détail à ce sujet, et nous dirons seulement que la possession de l'ile de

- an x France.

Malte, qui devait être un jour la cause du renouvellement de 1802
la guerre, fut alors même comme une pierre d'achoppement
dans ce congrès ouvert à Amiens. Après être tombés d'accord
que l'ile serait rendue aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusa-
lem, les plénipotentiaires français et anglais passèrent près de
deux mois à discuter quelle serait la nation qui exercerait la
haute suzeraineté sur cette île, et combien de troupes y seraient
envoyées par elle jusqu'à ce que l'ordre fût assez fort par lui-
même pour se passer de secours étrangers; enfin, après bien
des disputes et des chicanes diplomatiques presque intermi-
nables, les quatre plénipotentiaires arrêtèrent et signèrent le
traité suivant, si connu sous le nom de traité de paix d'Amiens :
Traité définitif de paix entre la république française, Sa Ma-
jesté le roi d'Espagne et des Indes, et la république batave,
d'une part; et Sa Majesté le roi du royaume uni de la
Grande-Bretagne et d'Irlande, d'autre part.

Le premier consul de la république française, au nom du peuple français, et Sa Majesté le roi du royaume uni de la GrandeBretagne et d'Irlande, également animés du désir de faire cesser les calamités de la guerre, ont posé les articles de la paix par les articles préliminaires, signés à Londres, le 9 vendémiaire an x (1er octobre 1801 ).

Et comme, par l'article 15 desdits préliminaires, il a été convenu qu'il serait nommé, de part et d'autre, des plénipotentiaires qui se rendraient à Amiens pour y procéder à la rédaction du traité définitif, de concert avec les alliés des puissances contractantes :

Le premier consul de la république française, au nom du peuple, a nommé le citoyen Joseph Bonaparte, conseiller d'État ;

Et Sa Majesté le roi du royaume uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, le marquis de Cornwallis, chevalier de l'ordre très-illustre de la Jarretière, conseiller privé de Sa Majesté, général des armées;

Sa Majesté le roi d'Espagne et des Indes, et le gouvernement d'État de la république batave, ont nommé pour leurs plénipotentiaires; savoir, Sa Majesté Catholique, don Joseph-Nicolas d'Azara,; son conseiller d'État, chevalier grand-croix de l'ordre

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