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ceffion même la femme les enfans & la maison. On eft obligé, pour éluder la plus cruelle difpofition de cette loi, de marier les enfans à huit, neuf ou dix ans, & quelquefois plus jeunes, afin qu'ils ne fe trouvent pas faire une malheureufe partie de la fucceffion du père.

Dans les états où il n'y a point de loix fondamentales, la fucceffion à l'empire ne fauroit être fixe. La couronne y eft élective par le prince dans fa famille ou hors de fa famille. En vain feroit-il établi que l'aîné fuccéderoit; le prince en pourroit toujours choisir un autre. Le fucceffeur eft déclaré par le prince lui-même, ou par les miniftres, ou par une guerre civile. Ainfi cet état a une raifon de diffolution de plus qu'une monarchie.

Chaque prince de la famille royale ayant une égale capacité pour être élu, il arrive que celui qui monte fur le trône fait d'abord étrangler fes frères, comme en Turquie; ou les fait aveugler, comme en Perfe; ou les rend fous, comine chez le Mogol; ou fi l'on ne prend point ces précautions, comme à Maroc, chaque vacance du trône eft fuivie d'une affreufe guerre civile.

Par les conftitutions de Mofcovie, le czar peut choisir qui il veut pour fon fucceffeur, foit dans fa famille, foit hors de fa famille. Un tel établiffement de fucceffion caufe mille révolutions, & rend le trône auffi chancelang que la fucceffion eft arbitraire. L'ordre de fuc

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ceffion étant une des chofes qu'il importe le plus au peuple de favoir, le meilleur eft celui qui frappe le plus les yeux, comme la naiffance, & un certain ordre de naiffance. Une telle difpofition arrête les brigues, étouffe l'ambition; on ne captive plus l'efprit d'un prince foible, &c l'on ne fait point parler les mourans.

Lorfque la fucceffion eft établie par une loi fondamentale, un feul prince eft le fucceffeur, & fes frères n'ont aucun droit réel ou apparent de lui difputer la couronne. On ne peut préfumer ni faire valoir une volonté particulière du père. Il n'eft donc pas plus question d'arrêter ou de faire mourir le frère du roi, que quel❤ qu'autre fujet que ce foit.

Mais dans les états defpotiques, où les frères du prince font également fes efclaves & fes rivaux, la prudence veut que l'on s'affure de leurs perfonnes; fur-tout dans les pays mahométans, où la religion regarde la victoire ou le fuccès comme un jugement de Dieu; de forte que perfonne n'y eft fouverain de droit, mais feulement de fait.

L'ambition eft bien plus irritée dans des états où des princes du fang voient que, s'ils ne montent pas fur le trône, ils feront enfermés ou mis à mort, que parmi nous où les princes du fang jouiffent d'une condition qui, fi elle n'eft pas fi fatisfaifante pour l'ambition, l'eft peut-être plus pour les defirs modérés.

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Les princes des états defpotiques ont toujours abufé du mariage. Ils prennent ordinairement plufieurs femmes, fur tout dans la partie du monde où le defpotisme est, pour ainsi dire, naturalisé, qui eft l'Afie. Ils en ont tant d'enfans, qu'ils ne peuvent guère avoir d'affection pour eux, ni ceux-ci pour leurs frères.

La famille régnante reffemble à l'état; elle eft trop foible, & fon chef eft trop fort; elle paroît étendue, & elle fe réduit à rien. Arta xerxès fit mourir tous fes enfans pour avoir conjuré contre lui. Il n'eft pas vraisemblable que cinquante enfans confpirent contre leur père; & encore moins qu'ils confpirent, parce qu'il n'a pas voulu céder fa concubine à fon fils aîné. Il est plus fimple de croire qu'il y a là quelque intrigue de ces ferrails d'Orient; de ces lieux où l'artifice, la méchanceté, la rufe régnent dans le filence, & fe couvrent d'une épaiffe nuit; où un vieux prince, devenu tous les jours plus imbécille, eft le premier prifonnier du palais.

Après tout ce que nous venons de dire, il fembleroit que la nature humaine fe foulèveroit fans ceffe contre le gouvernement defpotique. Mais, malgré l'amour des hommes pour la liberté, malgré leur haine contre la violence, la plupart des peuples y font foumis. Cela eft aifé à comprendre. Pour former un gouvernement modéré, il faut combiner les puiffances, les régler, les

tempérer, les faire agir, donner, pour ainsi dire, un left à l'une, pour la mettre en état de résister à une autre; c'eft un chef-d'œuvre de légiflation, que le hafard fait rarement, & que rarement on laiffe faire à la prudence. Un gouvernement defpotique, au contraire, faute, pour ainsi dire, aux yeux; il eft uniforme par-tout; comme il ne faut que des paffions pour l'établir, tout le monde eft bon pour cela.

CHAPITRE X V. Continuation du même fujet.

DANS les climats chauds

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où règne ordi

mairement le defpotifme, les paffions fe font plutôt fentir, & elles font auffi plutôt amorties; l'efprit y eft plus avancé; les périls de la diffipation des biens y font moins grands; il y a moins de facilité de fe diftinguer, moins de commerce entre les jeunes gens renfermés dans la maifon; on s'y marie de meilleure heure. On y peut donc être majeur plutôt que dans nos climats d'Europe. En Turquie, la majorité commence à quinze ans.

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La ceffion de biens n'y peut avoir lieu dans un gouvernement où perfonne n'a de fortune affurée, on prête plus à la perfonne qu'aux biens.

Elle entre naturellement dans les gouvernemens modérés, & fur - tout dans les républiques, * caufe de la plus grande confiance que l'on doit avoir dans la probité des citoyens, & de la douceur que doit inspirer une forme de gouvernement que chacun femble s'être donnée lui-même.

Si dans la république romaine les législateurs avoient établi la ceffion de biens, on ne feroit pas tombé dans tant de féditions & de difcordes civiles, & on n'auroit point effuyé les dangers des maux, ni les périls des remèdes.

La pauvreté & l'incertitude des fortunes dans les états defpotiques, y naturalifent l'ufure, chacun augmentant le prix de fon argent à proportion du péril qu'il y a à le prêter. La misère vient donc de toutes parts dans ces pays malheureux; tout y eft ôté, jufqu'à la reffource des emprunts.

Il arrive de-là qu'un marchand n'y fauroit faire un grand commerce; il vit au jour la journée s'il fe chargeoit de beaucoup de mar chandises, il perdroit plus par les intérêts qu'il donneroit pour les payer, qu'il ne gagneroit fur les marchandifes. Auffi les loix fur le commerce n'y ont-elles guère de lieu; elles fe réduifent à la fimple police.

Le gouvernement ne fauroit être injufte, fans avoir des mains qui exercent fes injuftices: or i eft impoffible que ces mains ne s'emploient

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