Images de page
PDF
ePub

1

CHAPITRE XVIII.

Des récompenfes que le fouverain donne. DANS

ANS les gouvernemens defpotiques, où, comme nous l'avons dit, on n'eft déterminé à agir que par l'efpérance des commodités de la vie, le prince qui récompenfe n'a que de l'argent à donner. Dans une monarchie, où l'honneur régne feul, le prince ne récompenferoit que par des diftinctions, fi les diftinctions que l'honneur établit n'étoient jointes à un luxe qui donne néceffairement des befoins: le prince y récom penfe donc par des honneurs qui mènent à la fortune. Mais dans une république où la vertu régne, motif qui fe fuffit à lui-même, & qui exclut tous les autres, l'état ne récompenfe que par des témoignages de cette vertu.

C'eft une règle générale, que les grandes récompenfes, dans une monarchie & dans une république, font un figne de leur décadence; parce qu'elles prouvent que leurs principes font corrompus; que d'un côté l'idée de l'honneur n'y a plus tant de force, que de l'autre la qualité de citoyen s'eft affoiblie.

Les plus mauvais empereurs romains ont été ceux qui ont le plus donné, par exemple, Caligula, Claude, Néron, Othon, Vitellius,

Commode, Héliogabale & Caracalla. Les meilleurs, comme Augufle, Vefpafien, Antonin-Pie, Marc Aurèle & Pertinax, ont été économes. Sous les bons empereurs l'état reprenoit fes principes ; le tréfor de l'honneur fuppléoit aux autres trésors.

CHAPITRE XIX. Nouvelles conféquences des principes des trois gouvernemens.

J

E ne puis me réfoudre à finir ce livre, fans faire encore quelques applications de mes trois principes.

PREMIÈRE QUESTION. Les loix doivent-elles forcer un citoyen à accepter les emplois publics? Je dis qu'elles le doivent dans le gouvernement républicain, & non pas dans le monarchique. Dans le premier, les magiftratures font des témoignages de vertu, des dépôts que la patrie confie à un citoyen, qui ne doit vivre, agir & penfer que pour elle; il ne peut donc pas les refufer. Dans le fecond, les magiftratures font des témoignages d'honneur: or telle eft la bizarrerie de l'honneur, qu'il fe plaît à n'en accepter aucun que quand il veut, & de la manière

qu'il veut.

Le feu roi de Sardaigne (Victor-Amédée )

puniffoit ceux qui refufoient les dignités & les emplois de fon état; il fuivoit, fans le favoir, des idées républicaines. Sa manière de gouverner affez que ce n'étoit pas là fon

d'ailleurs intention.

prouve

SECONDE QUESTION. Eft-ce une bonne maxime, qu'un citoyen puiffe être obligé d'accepter dans l'armée une place inférieure à celle qu'il a occupée ? On voyoit fouvent, chez les Romains, le capitaine fervir, l'année d'après, fous fon lieutenant. C'eft que, dans les républiques, la vertu demande qu'on faffe à l'état un facrifice continuel de foi-même & de fes répugnances, Mais dans les monarchies, l'honneur vrai ou faux ne peut fouffrir ce qu'il appelle fe dégrader.

Dans les gouvernemens defpotiques, où l'on abufe également de l'honneur, des poftes & des rangs, on fait indifféremment d'un prince un goujat, & d'un goujat un prince.

TROISIÈME QUESTION. Mettra-t-on fur une même tête les emplois civils & militaires? Il faut les unir dans la république, & les féparer dans la monarchie. Dans les républiques, il feroit bien dangereux de faire de la profeffion des armes un état particulier, diftingué de celui qui a les fonctions civiles; & dans les monarchies, il n'y auroit pas moins de péril à donner les deux fonctions à la même perfonne.

On ne prend les armes dans la république qu'en qualité de défenfeur des loix & de la patrie; c'est parce que l'on cft citoyen qu'on le fait

pour un tems foldat. S'il y avoit deux états diftingués, on feroit fentir à celui qui fous les armes fe croit citoyen, qu'il n'est que foldat.

Dans les monarchies, les gens de guerre n'ont pour objet que la gloire, ou du moins l'honneur ou la fortune. On doit bien fe garder de donner les emplois civils à des hommes pareils : il faut au contraire qu'ils foient contenus par les magiftrats civils; & que les mêmes gens n'aient pas en même tems la confiance du peuple, & la force pour en abufer.

Voyez dans une nation où la république fe cache fous la forme de la monarchie, combien l'on craint un état particulier de gens de guerre; & comment le guerrier refte toujours citoyen, ou même magiftrat, afin que ces qualités foient un gage pour la patrie, & qu'on ne l'oublie jamais.

Cette divifion de magiftratures en civiles & militaires, faite par les Romains après la perte de la république, ne fut pas une chofe arbitraire. Elle fut une fuite du changement de la conftitution de Rome : elle étoit de la nature du gouvernement monarchique ; & ce qui ne fut que commencé fous Augufte, les empereurs fuivans furent obligés de l'achever, pour tempérer le gouvernement militaire.

Ainfi Procope, concurrent de Valens à l'empire, n'y entendoit rien, lorfque donnant à Hormifdas, prince du fang-royal de Perfe, la dignité de proconful, il rendit à cette mag

giftrature le commandement des armées qu'elle avoit autrefois; à moins qu'il n'eût des raifons particulières. Un homme qui afpire à la fouve raineté, cherche moins ce qui eft utile à l'état, que ce qui l'eft à fa caufe.

QUATRIÈME QUESTION. Convient-il que les charges foient vénales? Elles ne doivent pas l'être dans les états defpotiques, où il faut que les fujets foient placés ou déplacés dans un inftant par le prince.

Cette vénalité eft bonne dans les états monarchiques, parce qu'elle fait faire comme un métier de famille ce qu'on ne voudroit pas entreprendre pour la vertu ; qu'elle deftine chacun à fon devoir, & rend les ordres de l'état plus permanens. Suidas dit très bien qu'Anaftafe avoit fait de l'empire une espèce d'ariftocratie,. en vendant toutes les magiftratures.

Platon ne peut fouffrir cette vénalité. « C'eft, dit-il, comme fi dans un navire on "faifoit quelqu'un pilote ou matelot pour fon

"

argent. Seroit-il poffible que la règle fût maue vaife dans quelqu'autre emploi que ce fût de la vie, & bonne feulement pour conduire une république ?» Mais Platon parle d'une république fondée fur la vertu, & nous parlons d'une monarchie. Or dans une monarchie où, quand les charges ne fe vendroient pas par un réglement public, l'indigence & l'avidité des courgifans les vendroient tout de même; le hafard

« PrécédentContinuer »