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Un des privilèges le moins à charge à la fociété, & fur-tout à celui qui le donne, c'est de plaider devant un tribunal, plutôt que devant un autre. Voilà de nouvelles affaires; c'eft-àdire, celles où il s'agit de favoir devant quel tribunal il faut plaider.

Les peuples des états defpotiques font dans un cas bien différent. Je ne fais fur quoi, dans ces pays, le législateur pourroit ftatuer, ou le magiftrat juger. Il fuit, de ce que les terres appartiennent au prince, qu'il n'y a presque point de loix civiles fur la propriété des terres. I fuit, du droit que le fouverain a de fuccéder, qu'il n'y en a pas non plus fur les fucceffions. Le négoce exclufif qu'il fait dans quelques pays, rend inutiles toutes fortes de loix fur le commerce. Les mariages que l'on y contracte avec des filles esclaves font qu'il n'y a guère de loix civiles fur les dots & fur les avantages des femmes. Il réfulte encore de cette prodigieufe multitude d'efclaves, qu'il n'y a prefque point de gens qui aient une volonté propre, & qui pir conféquent doivent répondre de leur conduite devant un juge. La plupart des actions morales, qui ne font que les volontés du père, du mari, du maître, fe réglent par eux, & non par les magiftrats.

J'oubliois de dire que ce que nous appellons Phonneur, étant à peine connu dans ces états, toutes les affaires qui regardent cet honneur,

qui

qui eft un fi grand chapitre parmi nous, n'y ont point de lieu. Le defpotifme fe fuffit à lui-même ; tout eft vuide autour de lui. Auffi, lorfque les voyageurs nous décrivent les pays où il régne, rarement nous parlent-ils de loix civiles.

Toutes les occafions de difpute & de procès y font donc ôtées. C'eft ce qui fait en partie qu'on y maltraite fi fort les plaideurs : l'injustice de leur demande paroît à découvert, n'étant pas cachée, palliée, où protégée par une infinité de loix.

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CHAPITRE II

De la fimplicité des loix criminelles dans les divers gouvernemens.

ON entend dire fans ceffe qu'il faudroit que

la juftice fût rendue par-tout comme en Turquie. Il n'y aura donc que les plus ignorans de tous les peuples, qui auront vu clair dans la chofe du monde qu'il importe le plus aux hommes de Lavoir ?

Si vous examinez les formalités de la juftice, par rapport à la peine qu'a un citoyen de fe faire rendre fon bien ou à obtenir fatisfaction de quelque outrage, vous en trouverez fans doute trop: fi vous les regardez dans le rapport Tome I.

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qu'elles ont avec la liberté & la sûreté des citoyens, vous en trouverez fouvent trop peu; & vous verrez que les peines, les dépenfes, les longueurs, les dangers même de la justice, font le prix que chaque citoyen donne pour fa liberté.

En Turquie, où l'on fait très-peu d'attention à la fortune, à la vie, à l'honneur des fujers, on termine promptement d'une façon ou d'une autre toutes les difputes. La manière de les finir eft indifférente, pourvu qu'on finiffe. Le bacha d'abord éclairci, fait diftribuer à fa fantaifie des coups de bâton fur la plante des pieds des plaideurs, & les renvoie chez eux.

Et il feroit bien dangereux que l'on y eût les paffions des plaideurs; elles fuppofent un defir ardent de fe faire rendre juftice, une haine, une action dans l'efprit, une conftance à pourfuivre. Tout cela doit être évité dans un gouvernement où il ne faut avoir d'autre fentiment que la crainte, & où tout mène tout-à-coup, & fans qu'on le puiffe prévoir, à des révolutions. Chacun doit connoître qu'il ne faut point que le magiftrat entende parler de lui, & qu'il ne tient fa sûreté que de fon anéantiffement.

Mais dans les états modérés, où la tête du moindre citoyen eft confidérable, on ne lui ôte fon honneur & fes biens qu'après un long examen: on ne le prive de la vie que lorfque la patrie elle-même l'attaque; & elle ne l'attaque

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qu'en lui laiffant tous les moyens poffibles de la

défendre.

Auffi, lorfqu'un homme fe rend plus abfolu, fonge-t-il d'abord à fimplifier les loix. On commence dans cet état à être plus frappé des inconvéniens particuliers, que de la liberté des fujets dont on ne fe foucie point du tout.

On voit que dans les républiques il faut pour le moins autant de formalités que dans les monarchies. Dans l'un & dans l'autre gouvernement, elles augmentent, en raifon du cas que l'on y fait de l'honneur, de la fortune, de la vie, de la liberté des citoyens.

Les hommes font tous égaux dans le gouver nement républicain; ils font égaux dans le gouvernement defpotique : dans le premier, c'eft parce qu'ils font tout; dans le fecond, c'eft parcequ'ils ne font rien.

5.

3

CHAPITRE III.

Dans quels gouvernemens, & dans quels
cas on doit juger felon un texte précis
de la loi.

PLUS
Lus le gouvernement approche de la répu
blique, plus la manière de juger devient fixe
& c'étoit un vice de la république de Lacédé

mone, que les éphores jugeaffent arbitrairement, fans qu'il y eût des loix pour les diriger. A Rome, les premiers confuls jugèrent comme les éphores; on en fentit les inconvéniens, & l'on fit des loix précifes.

Dans les états defpotiques, il n'y a point de loi; le juge eft lui-même fa règle. Dans les états monarchiques, il y a une loi; & là où elle eft précife, le juge la fuit; là où elle ne l'eft pas, il en cherche l'efprit. Dans le gouvernement répu blicain, il eft de la nature de la conftitution, que les juges fuivent la lettre de la loi. Il n'y a point de citoyen contre qui on puiffe interpréter une loi, quand il s'agit de fes biens, de fon honneur ou de fa vie.

A Rome, les juges prononçoient feulement que l'accufé étoit coupable d'un certain crime; & la peine fe trouvoit dans la loi, comme on le voit dans diverfes loix qui furent faites. De même, en Angleterre, les jurés décident fi l'accufé eft coupable ou non du fait qui a été porté devant eux; & s'il eft déclaré coupable, le juge prononce la peine que la loi inflige pour ce fait : &, pour cela, il ne lui faut que des

yeux,

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