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Chinois, que plus dans leur empire on voyoit augmenter les fupplices, plus la révolution étoit prochaine. C'eft qu'or augmentoit les fupplices mefure qu'on manquoit de moeurs.

Il feroit aifé de prouver que, dans tous ou prefque tous les états d'Europe, les peines ont diminué ou augmenté à mesure qu'on s'eft plus approché ou plus éloigné de la liberté.

Dans les pays defpotiques, on est si malheueux, que l'on y craint plus la mort qu'on ne regrette la vie; les fupplices y doivent done être plus rigoureux. Dans les états modérés, on craint plus de perdre la vie qu'on ne redoute la mort en elle-même; les fupplices qui ôtent implement la vie y font donc fuffifans.

Les hommes extrêmement heureux, & les hommes extrêmement malheureux, font également portés à la dureté; témoins les moines & les conquérans. Il n'y a que la médiocrité & le mêlange de la bonne & de la mauvaise fortune qui donnent de la douceur & de la pitié.

Ce que l'on voit dans les hommes en particulier, fe trouve dans les diverfes nations. Chez les peuples fauvages qui mènent une vie trèsdure, & chez les peuples des gouvernemens defpotiques où il n'y a qu'un homme exorbi tamment favorifé de la fortune, tandis que tout le refte en eft outragé, on est également cruel. La douceur régne dans les gouvernemens modérés. Lorfque nous lifons dans les hiftoires les

exemples de la justice atroce des fultans, nous fentons, avec une efpèce de douleur, les maux de la nature humaine.

Dans les gouvernemens modérés, tout pour un bon législateur, peut fervir à former des peines. N'est-il pas bien extraordinaire qu'à Sparte, une des principales fût de ne pouvoir prêter fa femme à un autre. ni recevoir celle d'un autre, de n'être jamais dans fa maifon qu'avec des vierges? En un mot, tout ce que la loi appelle une peine, eft effectivement une peine.

CHAPITRE X.

Des anciennes Loix françoifes.

C'EST

'EST bien dans les anciennes loix françoifes que l'on trouve l'efprit de la monarchie. Dans le cas où il s'agit de peines pécuniaires, les non-nobles font moins punis que les nobles. C'est tout le contraire dans les crimes; le noble perd l'honneur & réponse en cour; pendant que le vilain qui n'a point d'honneur eft puni en fon corps.

CHAPITRE XI.

Que lorsqu'un peuple eft vertueux, il faut peu de peines.

LE peuple Romain avoit de la probité. Cette

probité eut tant de force, que fouvent le légifiateur n'eut befoin que de lui montrer le bien pour le lui faire fuivre; il fembloit qu'au lieu d'ordonnances, il fuffifoit de lui donner des confeils.

Les peines des loix royales & celles des loix des douze tables furent prefque toutes ôtées dans la république, foit par une fuite de la loi Valérienne, foit par une conféquence de la loi Porcie. On ne remarqua pas que la république en fut plus mal réglée, & il n'en résulta aucune léfion de police.

Cette lol Valérienne, qui défendoit aux magiftrats toute voie de fait contre un citoyen qui avoit appellé au peuple, n'infligeoit à celui qui y contreviendroit, que la peine d'être réputé méchant,

CHAPITRE XI I.

De la puiffance des peines.

L'EXPÉRIENCE a fait remarquer que dans les

pays où les peines font douces, l'efprit du citoyen en eft frappé, comme il l'eft ailleurs par les grandes.

Quelqu'inconvénient fe fait-il fentir dans un état? un gouvernement violent veut foudain le corriger; & au lieu de fonger à faire exécuter les anciennes loix, on établit une peine cruelle qui arrête le mal fur le champ. Mais on ufe le reffort du gouvernement; l'imagination fe fait à cette grande peine, comme elle s'étoit faite à la moindre; & comme on diminue la crainte pour celle-ci, l'on eft bientôt forcé d'établir l'autre dans tous les cas. Les vols fur les grands chemins étoient communs dans quelques états; on voulut les arrêter on inventa le fupplice

de la roue, qui les fufpendit pendant quelque tems. Depuis ce tems, on a volé comme aupa ravant fur les grands chemins.

De nos jours, la défertion fut très-fréquente; on établit la peine de mort contre les déferteurs, & la défertion n'est pas diminuée. La raison en eft bien naturelle un foldat, accoutumé tous les jours à expofer fa vie, en méprife ou fe

flatte d'en méprifer le danger. Il est tous les jours accoutumé à craindre la honte; il falloit donc laiffer une peine qui faifoit porter une flétriffure pendant la vie; on a prétendu augmenter la peine, & on l'a réellement diminuée.

Il ne faut point mener les hommes par les voies extrêmes; on doit être ménager des moyens que la nature nous donne pour les conduire. Qu'on examine la caufe de tous les relâchemens, on verra qu'elle vient de l'impunité des crimes, & non pas de la modération des peines.

Suivons la nature, qui a donné aux hommes la honte comme leur fléau; & que la plus grande partie de la peine, foit l'infamie de la fouffrir.

Que s'il fe trouve des pays où la honte ne foit pas une fuite du fupplice, cela vient de la tyrannie, qui a infligé les mêmes peines aux fcélérats & aux gens de bien.

Et fi vous en voyez d'autres, où les hommes ne font retenus que par des fupplices cruels, comptez encore que cela vient en grande partie de la violence du gouvernement, qui a employé ces fupplices pour des fautes légères.

Souvent un légiflateur, qui veut corriger un mal, ne fonge qu'à cette correction; fes yeux font ouverts fur cet objet, & fermés fur les inconvéniens. Lorfque le mal eft une fois corzigé, on ne voit plus que la dureté du législateur; Mais il refte un vice dans l'état que cette durere

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