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peines tiennent à la nature du gouvernement, lorfque je vois ce grand peuple changer à cet égard de loix civiles, à mesure qu'il changeoit de loix politiques.

Les loix royales, faites pour un peuple compofé de fugitifs, d'esclaves & de brigands, furent très-févères. L'efprit de la république auroit demandé que les décemvirs n'euffent pas mis ces loix dans leurs douze tables; mais des gens qui afpiroient à la tyrannie, n'avoient garde de fuivre l'efprit de la république.

Tite-Live dit, fur le fupplice de Métius Suffétins, dictateur d'Albe, qui fut condamné par Tullus Hoftilius à être tiré par deux chariots, que ce fut le premier & le dernier fupplice où l'on témoigna avoir perdu la mémoire de l'humanité. Il fe trompe la loi des douze tables eft pleine de difpofitions très-cruelles,

Celle qui découvre le mieux le deffein des décemvirs, eft la peine capitale prononcée contre les auteurs des libelles & les poëtes. Cela n'eft guère du génie de la république, où le peuple aime à voir les grands humiliés. Mais des gens qui vouloient renverser la liberté, craignoient des écrits qui pouvoient rappeller l'efprit de la liberté.

Après l'expulfion des décemvirs, prefque toutes les loix qui avoient fixé les peines furent ôtées. On ne les abrogea pas expreffément mais la loi Porcia, ayant défendu de mettre à mort un Tome 1,

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xitoyen Romain, elles n'eurent plus d'application. Voilà le tems auquel on peut rappeller ce que Tite-Live dit des Romains, que jamais peuple n'a plus aimé la modération des peines.

Que fi l'on ajoute à la douceur des peines, le droit qu'avoit un accufé de fe retirer avant le jugement, on verra bien que les Romains avoient fuivi cet efprit que j'ai dit être naturel à la république.

Sylla, qui confondit la tyrannie, l'anarchie & la liberté, fit les loix Cornéliennes. Il fembla ne faire des réglemens que pour établir des crimes. Ainfi qualifiant une infinité d'actions du nom de meurtre, il trouva par-tout des meurtriers, & par une pratique qui ne fut que trop fuivie, il tendit des pièges, fema des épines, ouvrit des abymes fur le chemin de tous les citoyens.

Prefque toutes les loix de Sylla ne portoient que l'interdiction de l'eau & du feu. Céfar y ajouta la confifcation des biens, parce que les riches, gardant dans l'exil leur patrimoine, il étoient plus hardis à commettre des crimes.

Les empereurs ayant établi un gouvernement militaire, ils fentirent bientôt qu'il n'étoit pas moins terrible contr'eux que contre les fujets; ils cherchèrent à le tempérer; ils crurent avoir befoin des dignités & du refpect qu'on avoit pour elles.

On s'approcha un peu de la monarchie, &

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l'on divifa les peines en trois claffes ; celles qui regardoient les premières perfonnes de l'état, & qui étoient affez douces; celles qu'on infligeoit aux perfonnes d'un rang inférieur, & qui étoient plus févères; enfin celles qui ne concernoient que les conditions baffes, & qui furent les plus rigoureuses.

, pour

Le féroce & infenfé Maximin irrita ainfi dire, le gouvernement militaire qu'il auroit fallu adoucir. Le fénat apprenoit, dit Capitolin, que les uns avoient été mis en croix, & les autres expofés aux bêtes, ou enfermés dans des peaux de bêtes récemment tuées, fans aucun égard pour les dignités. Il fembloit vouloir exercer la difcipline militaire, fur le modèle de laquelle il prétendoit régler les affaires civiles.

On trouvera dans les Confidérations fur la grandeur des Romains & leur décadence, comment Conftantin changea le defpotifme militaire en un defpotifme militaire & civil, & s'approcha de la monarchie. On y peut fuivre les diverfes e révolutions de cet état; & voir comment on y paffa de la rigueur à l'indolence, & de l'indo❤ Menfe à l'impunité.

CHAPITRE XVI.

De la jufte proportion des peines avec

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le crime.

Left effentiel que les peines aient de l'harmonie entr'elles, parce qu'il eft effentiel que l'on évite plutôt un grand crime qu'un moindre; ce qui attaque plus la fociété, que ce qui la choque moins.

Un impofteur, qui fe difoit Confiantin Ducas, » fufcita un grand foulèvement à Conftantinople. » Il fut pris & condamné au fouet; mais, ayant » accufé des perfonnes confidérables, il fut condamné, comme calomniateur, à être brûlé. » Il eft fingulier qu'on eût ainfi proportionné les peines entre le crime de lèfe-majefté & celui de calomnie.

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Cela fait fouvenir d'un mot de Charles II, roi d'Angleterre. Il vit, en paffant, un homme au pilori il demanda pourquoi il étoit là. Sire, lui dit-on, c'est parce qu'il a fait des libelles contre vos miniftres. Le grand fot, dit le roi, que ne les écrivoit-il contre moi? on ne lui auroit rien fait.

Soixante-dix perfonnes confpirèrent contre l'empereur Bafile; il les fit fuftiger; on leur "brûla les cheveux & le poil. Un cerf l'ayans

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par

la ceinture, quelqu'un

» de fa fuite tira fon épée, coupa fa ceinture, » & le délivra. Il lui fit trancher la tête,

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parce

qu'il avoit, difoit-il, tiré l'épée contre lui. » Qui pourroit penfer que, fous le même prince, on eût rendu ces deux jugemens?

C'est un grand mal parmi nous de faire fubir la même peine à celui qui vole fur un grand chemin, & à celui qui vole & affaffine. Il est vifible, que, pour la sûreté publique, il faudroit mettre quelque différence dans la peine.

A la Chine, les voleurs cruels font coupés en morceaux les autres non: cette différence fait que l'on y vole, mais que l'on n'y affaffine pas.

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En Mofcovie, où la peine des voleurs & celle des affaffins font les mêmes, on affaffine toujours. Les morts, y dit-on, ne racontent rien.

Quand il n'y a point de différence dans la peine, il faut en mettre dans l'efpérance de la grace. En Angleterre, on n'affaffine point, parce que les voleurs peuvent espérer d'être transportés dans les colonies, non pas les affaffins.

C'eft un grand reffort des gouvernemens modé rés, que les lettres de grace. Ce pouvoir que le prince a de pardonner, exécuté avec fageffe, peut avoir d'admirables effets. Le principe du gouvernement defpotique, qui ne pardonne pas, & à qui on ne pardonne jamais, le prive de ces avantages.

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