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CHAPITRE XVII.

De la torture ou queftion contre les criminels.

PARCE

ARCE que les hommes font méchans, la loi eft obligée de les fuppofer meilleurs qu'ils ne font. Ainfi la dépofition de deux témoins fuffit dans la punition de tous les crimes. La loi les croit, comme s'ils parloient par la bouche de la vérité. L'on juge auffi que tout enfant conçu pendant le mariage, eft légitime : la loi a confiance en la mère, comme fi elle étoit la pudicité même. Mais la question contre les criminels n'est pas dans un cas forcé comme ceux-ci. Nous voyons aujourd'hui une nation très-bien policée la rejetter fans inconvénient. Elle n'eft donc pas néceffaire par fa nature.

Tant d'habiles gens & tant de beaux génies ont écrit contre cette pratique, que je n'ofe parler après eux. J'allois dire qu'elle pourroit convenir dans les gouvernemens defpotiques, où tout ce qui inspire la crainte entre plus dans les refforts du gouvernement: j'allois dire que les esclaves, chez les Grecs & chez les Romains... Mais j'entends la voix de la nature qui crie contre moi,

CHAPITRE XVIII.

Des peines pécuniaires, & des peines corporelles.

Nos pères, les Germains, n'admettoient guère

que des peines pécuniaires. Ces hommes guerriers & libres eftimoient que leur fang ne devoit être verfé que les armes à la main. Les Japonois, au contraire, rejettent ces fortes de peines, fous prétexte que les gens riches éluderoient la punition. Mais les gens riches ne craignent-ils pas de perdre leurs biens? les peines pécuniaires ne peuvent-elles pas fe proportionner aux fortunes? Et enfin, ne peut-on pas joindre l'infamie à ces peines ?

Un bon législateur prend un juste milieu; il n'ordonne pas toujours des peines pécuniaires, il n'inflige pas toujours des peines corporelles.

CHAPITRE X I X.

De la loi du talion.

LES Es états defpotiques qui aiment les loix fimples, ufent beaucoup de la loi du talion,

Les états modérés la reçoivent quelquefois; mais il y a cette différence, que les premiers la font exercer rigoureufement,

&

que les autres lui donnent prefque toujours des tem❤ péramens.

La loi des douze tables en admettoit deux; elle ne condamnoit au talion que lorfqu'on n'avoit pu appaifer celui qui fe plaignoit. On pouvoit, après la condamnation, payer les dommages & intérêts, & la peine corporelle fe convertiffoit en peine pécuniaire.

CHAPITRE

XX.

De la punition des pères pour leurs enfans. ON punit à la Chine les pères pour les fautes

de leurs enfans. C'étoit l'ufage du Pérou. Ceci eft encore tiré des idées defpotiques.

On a beau dire qu'on punit à la Chine les pères pour n'avoir pas fait ufage de ce pouvoir paternel que la nature a établi, & que les loix même y ont augmenté. Cela fuppofe toujours qu'il n'y a point d'honneur chez les Chinois. Parmi nous les pères dont les enfans font condamnés au fupplice, & les enfans dont les pères ont fubi Le même fort, font auffi punis par la honte, qu'ils le feroient à la Chine par la perte de la vie.

CHAPITRE X X I.

De la clémence du Prince.

LA clémence eft la qualité distinctive des monar

ques. Dans la république où l'on a pour prin cipe la vertu, elle eft moins néceffaire. Dans l'état defpotique où règne la crainte, elle eft moins en ufage, parce qu'il faut contenir les grands de l'état par des exemples de sévérité. Dans les monarchies où l'on eft gouverné par l'honneur, qui fouvent exige ce que la loi défend, elle eft plus néceffaire. La difgrace y eft un équivalent à la peine les formalités même des jugemens y font des punitions. C'eft là que la honte vient de tous côtés pour former des genres particuliers de peines.

Les grands y font fi fort punis par la difgrace, par la perte fouvent imaginaire de leur fortune, de leur crédit, de leurs habitudes, de leurs plaifirs, que la rigueur à leur égard eft inutile; elle ne peut fervir qu'à ôter aux fujets l'amour qu'ils ont pour la perfonne du prince, & le refpect qu'ils doivent avoir pour les places.

Comme l'inftabilité des grands est de la nature du gouvernement defpotique, leur sûreté entre dans la nature de la monarchie.

Les monarques ont tant à gagner par la clé

Gs

mence, elle eft fuivie de tant d'amour, ils en tirent tant de gloire, que c'eft prefque toujours un bonheur pour eux d'avoir l'occafion de l'exercer; & on le peut prefque toujours dans nos contrées.

On leur difputera peut-être quelque branche de l'autorité, prefque jamais l'autorité entière; &, fi quelquefois ils combattent pour la couronne, ils ne combattent point pour la vie.

Mais, dira-t-on, quand faut-il punir? quand faut-il pardonner? C'est une chose qui se fait mieux fentir qu'elle ne peut fe prefcrire. Quand la clémence a des dangers, ces dangers font trèsvisibles; on la diftingue aifément de cette foi bleffe qui mène le prince au mépris, & à l'im puiffance même de punir.

L'empereur Maurice prit la réfolution de ne verfer jamais le fang de fes fujets. Anaftafe ne puniffoit point les crimes. Ifaac l'Ange jura que de fon règne il ne feroit mourir perfonne. Les empereurs Grecs avoient oublié que ce n'étoit pas en vain qu'ils portoient l'épée.

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