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pourroit ignorer fi le peuple a parlé, ou feulement une partie du peuple. A Lacédémone, Il falloit dix mille citoyens. A Rome, née dans la petiteffe pour aller à la grandeur; à Rome, faite pour éprouver toutes les viciffitudes de la fortune; à Rome, qui avoit tantôt presque tous fes citoyens hors de fes murailles, tantôt toute l'Italie & une partie de la terre dans fes murailles, on n'avoit point fixé ce nombre; & ce fut une des grandes caufes de fa ruine.

Le peuple qui a la fouveraine puiffance, doit faire par lui-même tout ce qu'il peut bien faire; & ce qu'il ne peut pas bien faire, il faut qu'il le faffe par fes miniftres.

Ses miniftres ne font point à lui, s'il ne les nomme c'est donc une maxime fondamentale de ce gouvernement, que le peuple nomme fes miniftres, c'est-à-dire, fes magiftrats.

Il a befoin, comme les monarques, & même plus qu'eux, d'être conduit par un confeil ou fénat. Mais pour qu'il y ait confiance, il faut qu'il en élife les membres; foit qu'il les choififfe lui-même, comme à Athènes; ou par quelque magiftrat qu'il a établi pour les élire, comme cela fe pratiquoit à Rome dans quelques occafions.

Le peuple eft admirable pour choisir ceux à qui il doit confier quelque partie de fon autorité. Il n'a à fe déterminer que par des chofes qu'il ne peut ignorer, & des faits qui tombent fous les fens. Il fait très-bien qu'un homme a

été fouvent à la guerre, qu'il y a eu tels ou tels fuccès: il eft donc très-capable d'élire un général. Il fait qu'un juge eft affidu, que beaucoup de gens fe retirent de fon tribunal contens de lui, qu'on ne l'a pas convaincu de corruption; en voilà affez pour qu'il élife un préteur. Il a été frappé de la magnificence ou des richeffes d'un citoyen; cela fuffit pour qu'il puiffe choisir un édile. Toutes ces chofes font des faits dont il s'inftruit mieux dans la place publique, qu'un monarque dans fon palais. Mais, faura-t-il conduire une affaire, connoître les lieux, les occa fions, les momens, en profiter? Non il ne le faura pas.

Si l'on pouvoit douter de la capacité naturelle qu'a le peuple pour difcerner le mérite, il n'y auroit qu'à jetter les yeux fur cette fuite continuelle de choix étonnans que firent les Athéniens & les Romains; ce qu'on n'attribuera pas fans doute au hasard.

On fait qu'à Rome, quoique le peuple fe fût donné le droit d'élever aux charges les plébéiens il ne pouvoit fe réfoudre à les élire; & quoiqu'à Athènes on pût, par la loi d'Ariftide, tirer les magiftrats de toutes les claffes, il n'arriva jamais, dit Xénophon, que le bas-peuple demandât celles qui pouvoient intéreffer fon falut ou fa gloire.

Comme la plupart des citoyens, qui ont affez de fuffifance pour élire, n'en ont pas affez pour être élus; de même le peuple, qui a affez de

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capacité pour fe faire rendre compte de la geftion des autres, n'eft pas propre à gérer par

lui-même.

Il faut que les affaires aillent, & qu'elles aient un certain mouvement qui ne foit ni trop lent ni trop vite. Mais le peuple a toujours trop d'action, ou trop peu. Quelquefois avec cent mille bras il renverfe tout; quelquefois avec cent mille pieds il ne va que comme les infectes.

Dans l'état populaire, on divife le peuple en de certaines claffes. C'eft dans la manière de faire cette divifion, que les grands légiflateurs fe font fignalés; & c'eft de-là qu'ont toujours dépendu la durée de la démocratie, & fa prospérité.

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Servius-Tullius fuivit, dans la compofition de fes claffes, l'efprit de l'ariftocratie. Nous voyons dans Tite-Live & dans Denis d'Halicarnaffe, comment il mit le droit de fuffrage entre les mains des principaux citoyens. Il avoit divifé le peuple de Rome en cent quatre-vingt-treize centuries, qui formoient fix claffes. Et mettant les riches, mais en plus petit nombre, dans les premières centuries; les moins riches, mais en plus grand nombre, dans les fuivantes; il jetta toute la foule des indigens dans la dernière : & chaque centurie n'ayant qu'une voix, c'étoient les moyens & les richeffes qui donnoient le fuffrage, plutôt que les perfonnes.

Solon divifa le peuple d'Athènes en quatre

claffes. Conduit par l'efprit de la démocratie, il ne les fit pas pour fixer ceux qui devoient' élire, mais ceux qui pouvoient être élus : & laiffant à chaque citoyen le droit d'élection, il voulut que dans chacune de ces quatre claffes on pût élire des juges; mais que ce ne fût que dans les trois premières, où étoient les citoyens aifés, qu'on pût prendre les magiftrats.

Comme la divifion de ceux qui ont droit de fuffrage eft dans la république une loi fondamentale; la manière de le donner eft une autre log fondamentale.

Le fuffrage par le fort eft de la nature de la démocratie; le fuffrage par choix eft de celle de l'aristocratie.

Le fort eft une façon d'élire qui n'afflige per fonne; il laiffe chaque citoyen une espérance raifonnable de fervir fa patrie.

Mais, comme il eft défectueux. par lui-même, c'eft à le régler & à le corriger que les grands légiflateurs fe font furpaffés.

Solon établit à Athènes , que l'on nommeroit par choix à tous les emplois militaires, & que les fénateurs & les juges feroient élus par le fort. Il voulut que l'on donnât par choix les magiftra tures civiles qui exigeoient une grande dépense, & que les autres fuffent données par le fort.

Mais , pour corriger le fort, il régla qu'on ne pourroit élire que dans le nombre de ceux qui le préfenteroient; que celui qui auroit été

élu, feroit examiné par des juges, & que chacun pourroit l'accufer d'en être indigne : cela tenoit en même tems du fort & du choix. Quand on avoit fini le tems de fa magiftrature, il falloit effuyer un autre jugement fur la manière dont on s'étoit comporté. Les gens fans capacité devoient avoir bien de la répugnance à donner leur nom pour être tirés au fort.

La loi qui fixe la manière de donner les billets de fuffrage, eft encore une loi fondamentale dans la démocratie. C'est une grande queftion, fi les fuffrages doivent être publics ou fecrets. Cicéron écrit que les loix qui les rendirent fecrets dans les derniers tems de la république romaine, furent une des grandes caufes de fa chûte. Comme ceci fe pratique diversement dans différentes républiques, voici, je crois, ce qu'il en faut penfer.

Sans doute que, lorfque le peuple donne fes fuffrages, ils doivent être publics ; & ceci doit être regardé comme une loi fondamentale de la démocratie. Il faut que le petit peuple foit éclairé par les principaux & contenu par la gravité de certains perfonnages. Ainfi dans la république romaine, en rendant les fuffrages fecrets, on détruifit tout; il ne fut plus poffible d'éclairer une populace qui fe perdoit. Mais lorsque dans une aristocratie le corps des nobles donne les fuffrages, ou dans une démocratie le fénat; comme il n'est là queftion que de prévenir les

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