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vivre. En Angleterre le fol produit beaucoup plus de grains qu'il ne faut pour nourrir ceux qui cultivent les terres, & ceux qui procurent les vêtemens: il peut donc y avoir des arts frivoles, & par conféquent du luxe. En France il croft affez de blé pour la nourriture des laboureurs & de ceux qui font employés aux manufactures. De plus, le commerce avec les étrangers peut rendre pour des chofes frivoles tant de chofes néceffaires, qu'on n'y doit guère craindre le luxe.

A la Chine, au contraire, les femmes font fi fécondes, & l'efpèce humaine s'y multiplie à un tel point, que les terres, quelque cultivées qu'elles foient, fuffifent à peine pour la nourriture des habitans. Le luxe y eft donc pernicieux, & l'efprit de travail & d'économie y eft auffi requis que dans quelques républiques que ce foit. Il faut qu'on s'attache aux arts néceffaires, & qu'on fuie ceux de la volupté.

Voilà l'efprit des belles ordonnances des empereurs Chinois. «Nos anciens, dit un empereur » de la famille des Tang, tenoient pour maxime, » que s'il y avoit un homme qui ne labourât point, une femme qui ne s'occupât point à filer, quelqu'un fouffroit le froid ou la fain » dans l'empire. .... » Et fur ce principe il fit détruire une infinité de monaftères de bonzes.

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Le troisième empereur de la vingt- unième dynastie, à qui on apporta des pierres précieufes

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trouvées dans une mine, la fit fermer, ne voulant pas fatiguer fon peuple à travailler pour une chofe qui ne pouvoit ni le nourrir ni le vêtir. Notre luxe eft fi grand, dit Kiayventi, que » le peuple orne de broderies les fouliers des jeunes garçons & des filles, qu'il eft obligé » de vendre. " Tant d'hommes étant occupés à faire des habits pour un feul, le moyen qu'il n'y ait bien des gens qui manquent d'habits?

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y a dix hommes qui mangent le revenu des terres, contre un laboureur : le moyen qu'il n'y ait pas bien des gens qui manquent d'alimens?

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Fatale conféquence du luxe à la Chine.
On voit dans l'hiftoire de la Chine, qu'elle

a eu vingt-deux dynasties qui se font fuccédées,
c'est-à-dire, qu'elle a éprouvé vingt-deux révo-
lutions générales, fans compter une infinité de
particulières. Les trois premières dynasties durè-
rent affez long-tems, parce qu'elles furent fage-
ment gouvernées, & que l'empire étoit moins
étendu qu'il ne le fut depuis. Mais on peut dire
en général que toutes ces dynasties commence-
rent affez bien. La vertu, l'attention, la vigi
lance font néceffaires à la Chine; elles Y étoient

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dans le commencement des dynafties, & elles
manquoient à la fin. En effet, il etoit naturel
que des empereurs, nourris dans les fatigues de
la guerre, qui parvenoient à faire defcendre du
trône une famille noyée dans les délices, con-
fervaffent la vertu qu'ils avoient éprouvée fi utile,
& craigniffent les voluptés qu'ils avoient vues
fi funeftes. Mais, après ces trois ou quatre pre-
miers princes, la corruption, le luxe, l'oisiveté,
les délices, s'emparent des fucceffeurs : ils s'en-
ferment dans le palais, leur efprit s'affoiblit, leur
vie s'accourcit, la famille décline; les grands.
s'élèvent, les eunuques s'accréditent, on ne met
fur le trône que des enfans, le palais devient
ennemi de l'empire, un peuple oifif qui l'habite
ruine celui qui travaille, l'empereur est tué ou
détruit par un ufurpateur, qui fonde une famille,
dont le troifième ou quatrième fucceffeur va dans
le même palais fe renfermer encore.

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CHAPITRE VIII.

De la continence publique.

IL ya tar
ya tant d'imperfections attachées à la perte de
la vertu dans les femmes, toute leur ame en eft fi
fort dégradée, ce point principal ôté en fait
tomber tant d'autres, que l'on peut regarder dana

un état populaire l'incontinence publique comme le dernier des malheurs & la certitude d'un changement dans la conftitution.

Auffi les bons légiflateurs y ont-ils exigé des femmes une certaine gravité de mœurs. Ils ont profcrit de leurs républiques non-feulement le vice, mais l'apparence même du vice. Ils ont banni jufqu'à ce commerce de galanterie qui produit l'oifiveté, qui fait que les femmes corrompent avant même d'être corrompues, qui donne un prix à tous les riens, & rabaiffe ce qui eft important, & qui fait que l'on ne se conduit plus que fur les maximes du ridicule que les femmes entendent fi bien à établir.

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CHAPITRE IX.

De la condition des femmes dans les divers gouvernemens.

LES

Is femmes ont peu de retenue dans les monarchies; parce que la diftinction des rangs les appellant à la cour, elles y vont prendre cet efprit de liberté qui eft à peu près le feul qu'on y tolère. Chacun fe fert de leurs agrémens & de leurs paffions pour avancer fa fortune; & comme leur foibleffe ne leur permet pas

l'orgueil

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l'orgueil, mais la vanité, le luxe y régne toujours avec elles.

Dans les états defpotiques les femmes n'introduifent point le luxe; mais elles font elles-mêmes un objet du luxe. Elles doivent être extrêmement efclaves. Chacun fuit l'efprit du gouvernement, & porte chez foi ce qu'il voit établi ailleurs. Comme les loix y font févères & exécutées far le champ, on a peur que la liberté des femmes n'y faffe des affaires. Leurs brouilleries, leurs indifcrétions, leurs répugnances, leurs penchans, leurs jaloufies, leurs piques, cet art qu'ont les petites ames d'intéreffer les grandes, n'y fauroient être fans conféquence.

De plus, comme dans ces états les princes fe jouent de la nature humaine, ils ont plufieurs femmes, & mille confidérations les obligent de les renfermer.

Dans les républiques les femmes font libres par les loix, & captivées par les mœurs ; le luxe en eft banni, & avec lui la corruption & les vices.

Dans les villes grecques, où l'on ne vivoit pas fous cette religion qui établit que chez les hommes même la pureté des moeurs eft une partie de la vertu; dans les villes grecques, où un vice aveugle régnoit d'une manière effrénée, où l'amour n'avoit qu'une forme que l'on n'ofe dire, tandis que la feule amitié s'étoit retirée dans les mariages; la vertu, la fimplicité, la Tome I

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