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CHAPITRE IV.

Continuation du même sujet.

LA démocratie & l'aristocratie ne font point des états libres par leur nature. La liberté politique ne fe trouve que dans les gouvernemens modérés. Mais elle n'eft pas toujours dans les états modérés. Elle n'y eft que lorsqu'on n'abuse pas du pouvoir: mais c'eft une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir eft porté à en abufer; il va jufqu'à ce qu'il trouve des limites. Qui le diroit ! la vertu même a befoin de limites.

Pour qu'on ne puiffe abufer du pouvoir, il faut que, par la difpofition des chofes, le pou voir arrête le pouvoir. Une conftitution peut être telle, que perfonne ne fera contraint de faire les chofes auxquelles la loi ne l'oblige pas, & à ne point faire celles que la loi lui permet.

CHAPITRE V.

De l'objet des états divers.

UOIQUE tous les états aient en général un même objet, qui eft de fe maintenir, chaque

état en a pourtant un qui lui eft particulier, L'agrandiffement étoit l'objet de Rome; la guerre, celui de Lacédémone; la religion, celui des loix Judaïques; le commerce, celui de Marfeille; la tranquillité publique, celui des loix de la Chine la navigation, celui des loix des Rhodiens; la liberté naturelle, l'objet de la police des Sauvages; en général, les délices du prince, celu des états defpotiques; fa gloire & celle de l'état, celui des monarchies; l'indépendance de chaque particulier eft l'objet des loix de Pologne; & ce qui en réfulte, l'oppreffion de tous.

Il y a auffi une nation dans le monde qui a pour objet direct de fa conftitution la liberté politique. Nous allons examiner les principes fur lefquels elle la fonde. S'ils font bons, la liberté y paroîtra comme dans un miroir.

Pour découvrir la liberté politique dans la conftitution, il ne faut pas tant de peine. Si on peut la voir où elle eft, fi on l'a trouvée pourquoi la chercher ?

CHAPITRE VI.

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De la conftitution d'Angleterre.

Ly a dans chaque état trois fortes de pou voirs, la puiffance légiflative, la puiffance

exécutrice des chofes qui dépendent du droit des gens, & la puiffance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil.

Par la première, le prince ou le magiftrat fait des loix pour un tems ou pour toujours, & corrige ou abroge celles qui font faites. Par la feconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambaffades, établit la sûreté, prévient les invafions. Par la troisième, il punit les crimes, ou juge les différens des particuliers. On appellera cette dernière la puiffance de juger; & l'autre, fimplement la puiffance exécutrice de l'état.

La liberté politique dans un citoyen eft cette tranquillité d'efprit qui provient de l'opinion que chacun a de fa sûreté, & pour qu'on ait cette liberté, il faut que le gouvernement foit tel, qu'un citoyen ne puiffe pas craindre un autre citoyen.

Lorfque dans la même perfonne ou dans le même corps de magiftrature, la puiffance légiflative eft réunie à la puiffance exécutrice, il n'y a point de liberté; parce qu'on peut craindre que le même monarque ou le même fénat ne faffe des loix tyranniques, pour les exécuter tyranniquement.

Il n'y a point encore de liberté, fi la puiffance de juger n'eft pas féparée de la puiffance légiflative & de l'exécutrice. Si elle étoit jointe à la puiffance légiflative, le pouvoir fur la vie & la liberté

des citoyens feroit arbitraire; car le juge feroit légiflateur. Si elle étoit jointe à la puiffance exécutrice, le juge pourroit avoir la force d'un oppreffeur.

Tout feroit perdu, fi le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçoient ces trois pouvoirs : celui de faire des loix, celui d'exécuter les réfolutions publiques, & celui de juger les crimes ou les différens des particuliers.

. Dans la plupart des royaumes de l'Europe, le gouvernement eft modéré ; parce que le prince qui a les deux premiers pouvoirs, laisse à fes fujets l'exercice du troifième. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs font réunis fur la tête du fultan, il régne un affreux defpotifme.

Dans les républiques d'Italie, où ces trois pouvoirs font réunis, la liberté fe trouve moins que dans nos monarchies. Auffi le gouvernement a-t-il befoin, pour fe maintenir, de moyens auffi violens que le gouvernement des Turcs; témoins les inquifiteurs d'état, & le tronc, où tout délateur peut, à tous les momens, jetter avec un billet fon accufation."

Voyez quelle peut être la fituation d'un citoyen dans ces républiques. Le même corps de magiftrature a, comme exécuteur des loix, toute la puiffance qu'il s'eft donnée comme législateur. Il peut ravager l'état par fes volontés générales; &, comme il a encore la puiffance

de juger, il peut détruire chaque citoyen par Les volontés particulières.

Toute la puiffance y eft une; &, quoiqu'il n'y ait point de pompe extérieure qui découvre un prince defpotique, on le fent à chaque inftant.

Auffi les princes qui ont voulu fe rendre defpotiques, ont-ils toujours commencé par réunir en leur perfonne toutes les magiftratures, & plufieurs rois d'Europe toutes les grandes charges de leur état.

Je crois bien que la pure aristocratie héréditaire des républiques d'Italie ne répond pas précisément au defpotifme de l'Afie. La multitude des magiftrats adoucit quelquefois la magif trature; tous les nobles ne concourent pas toujours aux mêmes deffeins; on y forme divers tribunaux qui fe tempèrent. Ainfi à Venife le grand confeil a la légiflation; le prégady, l'exé¬ cution, les quaranties, le pouvoir de juger. Mais le mal eft, que ces tribunaux différens font formés par des magiftrats du même corps; ce qui ne fait guère qu'une même puiffance. La puiffance de juger ne doit pas être donnée à un fénat mais exercée par des perpermanent, fonnes tirées du corps du peuple, dans certains tems de l'année, de la manière prefcrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu'autant que la néceffité le requiert.

De cette façon, la puiffance de juger, fi terrible parmi les hommes, n'étant attachée ni à

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