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la faculté d'empêcher puiffe avoir auffi le droit d'approuver, pour lors cette approbation n'eft autre chofe qu'une déclaration qu'il ne fait point d'ufage de fa faculté d'empêcher, & dérive de cette faculté.

La puiffance exécutrice doit être entre les mains d'un monarque; parce que cette partie du gouvernement, qui a prefque toujours befoin d'une action momentanée, eft mieux administrée par un que par plufieurs; au lieu que ce qui dépend de la puiffance législative, est souvent mieux ordonné par plufieurs que par un seul.

Que s'il n'y a point de monarque, & que la puiffance exécutrice fût confiée à un certain nombre de perfonnes tirées du corps législatif, il n'y auroit plus de liberté; parce que les deux puiffances feroient unies, les mêmes perfonnes ayant quelquefois, & pouvant toujours avoir part à l'une & à l'autre.

Si le corps législatif étoit un tems confidérable fans être affemblé, il n'y auroit plus de liberté. Car il arriveroit de deux chofes l'une; ou qu'il n'y auroit plus de réfolution légiflative, & l'état tomberoit dans l'anarchie, ou que ces réfolutions feroient prifes par la puiffance exé, cutrice, & elle deviendroit abfolue.

Il feroit inutile que le corps légiflatif. fût toujouts affemblé. Cela feroit incommode pour les repréfentans, & d'ailleurs occuperoit trop la puiffance exécutrice, qui ne penferoit poing

à exécuter, mais à défendre fes prérogatives, & le droit qu'elle a d'exécuter.

De plus, fi le corps législatif étoit continuellement affemblé, il pourroit arriver que l'on ne feroit que fuppléer de nouveaux députés à la place de ceux qui mourroient; & dans ce cas fi le corps législatif étoit une fois corrompu; le mal feroit fans remède. Lorfque divers corps légiflatifs fe fuccèdent les uns aux autres, le peuple qui a mauvaise opinion du corps légiflatif actuel, porte avec raison fes efpérances fur celui qui viendra après. Mais fi c'étoit toujours le même corps, le peuple le voyant une fois corrompu n'efpéreroit plus rien de fes loix; il deviendroit furieux ou tomberoit dans l'indolence.

Le corps législatif ne doit point s'affembler lui-même " car un corps n'eft cenfé avoir de volontés, que lorfqu'il eft affemblé, & s'il ne s'affembloit pas unanimement, on ne fauroit dire quelle partie feroit véritablement le corps législatif, celle qui feroit affemblée, ou celle qui ne le feroit pas. Que s'il avoit droit de fe proroger lui-même, il pourroit arriver qu'il ne fe prorogeroit jamais; ce qui feroit dangereux dans le cas où il voudroit attenter contre la puiffance exécutrice. D'ailleurs il y a des tems plus convenables les uns que les autres, pour l'affemblée du corps légiflatif; il faut donc que ce foit la puiffance exécutrice qui règle le tems

de la tenue & de la durée de ces affemblées, par rapport aux circonftances qu'elle connoît.

Si la puiffance exécutrice n'a pas le droit d'arrêter les entre prifes du corps législatif, celui-ci fera defpotique; car comme il pourra fe donner tout le pouvoir qu'il peut imaginer, il anéantira toutes les autres puiffances.

Mais il ne faut pas que la puiffance législative ait réciproquement la faculté d'arrêter la puiffance exécutrice. Car l'éxécution ayant fes limites par fa nature, il eft inutile de la borner; outre que la puiffance exécutrice s'exerce toujours fur des chofes momentanées. Et la puiffance des tribuns de Rome étoit vicieufe, en ce qu'elle arrêtoit non-feulement la législation, mais même l'éxécution; ce qui caufoit de grands

maux.

Mais fi dans un état libre la puiffance légiflative ne doit pas avoir le droit d'arrêter la puiffance exécutrice, elle a droit & doit avoir la faculté d'examiner de quelle manière les loix qu'elle a faites ont été exécutées; & c'est l'avantage qu'a ce gouvernement fur celui de Crète & de Lacédémone, où les cofmes & les éphores ne rendoient point compte de leur adminiftration.

Mais quelque foit cet examen, le corps législatif ne doit point avoir le pouvoir de juger la perfonne, & par conséquent la conduite de celui qui exécute. Sa perfonne doit être facrée parce qu'étant néceffaire à l'état pour que le

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corps législatif n'y devienne pas tyrannique dès le moment qu'il feroit accufé ou jugé, il n'y auroit plus de liberté.

Dans ce cas, l'état ne feroit point une mo narchie, mais une république non libre. Mais comme celui qui exécute ne peut exécuter mal fans avoir des confeillers méchans, & qui haiffent les loix comme miniftres, quoiqu'elles les favorifent comme hommes; ceux-ci peuvent être recherchés & punis. Et c'eft l'avantage de ce gouvernement fur celui de Gnide, où la loi ne permettant point d'appeller en jugement les amimones même après leur adminiftration, le peuple ne pouvoit jamais fe faire rendre raifon des injuftices qu'on lui avoit faites.

Quoiqu'en général la puiffance de juger ne doive être unie à aucune partie de la législative, cela eft fujet à trois exceptions, fondées fur l'intérêt particulier de celui qui doit être jugé.

Les grands font toujours expofés à l'envie; & s'ils étoient jugés par le peuple, ils pourroient être en danger & ne jouiroient pas du privilège qu'a le moindre des citoyens dans un état libre d'être jugé par fes pairs. Il faut donc que les nobles foient appellés, non pas devant les tribunaux ordinaires de la nation mais devant cette partie du corps légiflatif, qui eft compofée de nobles.

Il pourroit arriver que la loi, qui eft en même tems clairvoyante & aveugle, feroit en de

certains cas trop rigoureuse. Mais les juges de la nation ne font, comme nous avons dit, que la bouche qui prononce les paroles de la loi; des êtres inanimés, qui n'en peuvent modérer ni la force ni la rigueur. C'est donc la partie du corps législatif, que nous venons de dire être, dans une autre occafion, un tribunal néceffaire, qui l'eft encore dans celle-ci; c'eft à fon autorité fuprême à modérer la loi, en faveur de la loi même, en prononçant moins rigoureufement qu'elle.

Il pourroit encore arriver que quelque citoyen, dans les affaires publiques, violeroit les droits du peuple, & feroit des crimes que les magiftrats établis ne fauroient ou ne voudroient pas punir. Mais, en général, la puiffance législative ne peut pas juger; & elle le peut encore moins dans ce cas particulier où elle repréfente la partie intéreffée, qui eft le peuple. Elle ne peut donc être qu'accufatrice. Mais devant qui accufera-t-elle ? Ira-t-elle s'abaiffer devant les tribunaux de la loi qui lui font inférieurs, & d'ailleurs compofés de gens, qui, étant peuple comme elle, feroient entraînés par l'autorité d'un fi grand accufateur? Non, il faut, pour conferver la dignité du peuple & la sûreté du particulier, que la partie légiflative du peuple accufe devant la partie législative des nobles; laquelle n'a, ni les mêmes intérêts qu'elle, ni les mêmes paffions. C'eft l'avantage qu'a ce gouvernement fur la

plupart

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