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plupart des républiques anciennes, où il y avoit cet abus , que le peuple étoit en même tems & juge & accufateur.

La puiffance exécutrice, comme nous avons dit, doit prendre part à la légiflation par fa faculté d'empêcher, fans quoi elle fera bientôt dépouillée de fes prérogatives. Mais fi la puiffance législative prend part à l'exécution, la puiffance ⚫exécutrice fera également perdue.

Si le monarque prenoit part à la législation par la faculté de ftatuer, il n'y auroit plus de liberté. Mais comme il faut pourtant qu'il ait part à la législation pour fe défendre, il faut qu'il y prenne part par la faculté d'empêcher.

Ce qui fut caufe que le gouvernement changea à Rome, c'eft que le fénat qui avoit une partie de la puiffance exécuttice, & les magiftrats qui avoient l'autre, n'avoient pas, comme le peuple, la faculté d'empêcher.

Voici donc la conftitution fondamentale du gouvernement dont nous parlons. Le corps législatif y étant compofé de deux parties, P'une enchaînera l'autre par fa faculté mutuelle d'empêcher. Toutes les deux feront liées par la puiffance exécutrice, qui le fera elle-même par la législative.

Ces trois puiffances devroient former un repos ou une inaction. Mais comme, par le mouvement néceffaire des chofes, elles font Tome I.

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Contraintes d'aller, elles feront forcées d'aller de concert.

La puiffance exécutrice ne faifant partie de Ja legislative que par fa faculté d'empêchér, elle ne fauroit entrer dans le débat des affaires. Il n'eft pas même néceffaire qu'elle propofe; Parce que, pouvant toujours défapprouver les réfolutions, elle peut rejetter les décifions des propofitions qu'elle auroit voulu qu'on n'eût pas faites.

il

Dans quelques républiques anciennes, où le peuple en corps avoit le débat des affaires, étoit naturel que la puiffance exécutrice les proposât & les débattît avec lui; fans quoi il auroit eu dans les réfolutions une confufion étrange.

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Si la puiffance exécutrice ftatue fur la levée fon des deniers publics, autrement que par confentement, il n'y aura plus de liberté; parce qu'elle deviendra légiflative, dans le point le plus important de la légiflation.

d'année

Si la puiflance législative statue, non pas en année, mais pour toujours, fur la levée des deniers publics, elle court rifque de perdre fa liberté, parce que la puiffance exécutrice ne dépendra plus d'elle; & quand on tient un pareil droit pour toujours, il eft affez indifférent qu'on Je tienne de foi ou d'un autre. Il en eft de même,

elle ftatue, non pas d'année en année, mais

pour toujours, fur les forces de terre & de mer qu'elle doit confier à la puiffance exécutrice.

Pour que celui qui exécute ne puiffe pas opprimer, il faut que les armées qu'on lui confie foient peuple, & aient le même efprit que le peuple, comme cela fut à Rome jufqu'au tems de Marius. Et pour que cela foit ainfi, il n'y a que deux moyens, ou que ceux que l'on emploie dans l'armée aient affez de bien pour répondre de leur conduite aux autres citoyens, & qu'ils ne foient enrôlés que pour un an, comme il fe pratiquoit à Rome; ou fi on a un corps de troupes permanent, & où les foldats foient une des plus viles parties de la nation, il faut que la puiffance légiflative puiffe le caffer fitôt qu'elle le defire; que les foldats habitent avec les citoyens; & qu'il n'y ait ni camp féparé, ni cafernes, ni places de guerre.

L'armée étant une fois établie, elle ne doit point dépendre immédiatement du corps légiflatif, mais de la puiffance exécutrice, & cela par la nature de la chofe; fon fait confiftant plus en action qu'en délibération.

Il eft dans la manière de penfer des hommes, que l'on faffe plus de cas du courage que de la timidité; de l'activité, que de la prudence; de la force, que des confeils. L'armée mépri fera toujours un sénat, & respectera fes officiers. Elle ne fera point cas des ordres qui lui feront envoyés de la part d'un corps compofé de gens

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qu'elle croira timides, & indignes par-là de lui commander. Ainfi, fitôt que l'armée dépendra uniquement du corps législatif, le gouvernement deviendra militaire; & fi le contraire eft jamais arrivé, c'est l'effet de quelques circonftances extraordinaires. C'est que l'armée y est toujours féparée; c'est qu'elle eft compoiée de plusieurs corps qui dépendent chacun de leur province particulière; c'eft que les villes capitales font des places excellentes, qui fe défendent par leur fituation feule, & où il n'y a point de troupes.

La Hollande eft encore plus en sûreté que Venife; elle fubmergeroit les troupes révoltées, elle les feroit mourir de faim; elles ne font point dans les villes qui pourroient leur donner la fubfiftance; cette fubfiftance eft donc précaire.

Que fi dans le cas où l'armée eft gouvernée par le corps législatif, des circonftances particulières empêchent le gouvernement de devenir militaire, on tombera dans d'autres inconvéniens: de deux chefes l'une; ou il faudra que l'armée détruise le gouvernement, ou que le gouvernement affoibliffe l'armée.

Et cet affoibliffement aura une caufe bien fatale, il naîtra de la foibleffe même du gou.

vernement.

Si l'on veut lire l'admirable ouvrage de Tacite fur les mœurs des Germains, on verra que c'est d'eux que les Anglois ont tiré l'idée de leur gouvernement politique. Ce beau fystéme a été trouvé dans les bois.

Comme toutes les chofes humaines ont une fin, l'état dont nous parlons perdra fa liberté i périra. Rome, Lacédémone & Carthage ont bien péri. I périra, lorfque la puiffance légiflative fera plus corrompue que l'exécutrice.

Ce n'eft point à moi à examiner files Anglois jouiffent actuellement de cette liberté, ou non. Il me fuffit de dire qu'elle est établie par leurs loix, & je n'en cherche, pas davantage.

Je ne prétends point par-là ravaler les autres gouvernemens, ni dire que cette liberté politique extrême doive mortifier ceux qui n'en ont qu'une modérée. Comment dirois-je cela, moi qui crois que l'excès même de la raifon n'eft pas toujours desirable; & que les hommes s'accommodent prefque toujours mieux des milieux que des extrêmités.

Arrington, dans fon Oceana, a auffi examiné quel étoit le plus haut point de liberté où la conftitution d'un état peut être portée. Mais on peut dire de lui, qu'il n'a cherché cette liberté qu'après l'avoir méconnue ; & qu'il a bâti Chalcédoine, ayant le rivage de Bisance devant yeux.

les

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