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CHAPITRE XVIII.

De la puissance de juger, dans le gouver→ nement de Rome.

L

A puiffance de juger fut donnée au peuple,'au fénat, aux magiftrats, à de certains juges. Il faut voir comment elle fut diftribuée. Je commence par les affaires civiles.

comme

Les confuls jugèrent après les rois les prêteurs jugèrent après les confuls. Servius Tullius s'étoit dépouillé du jugement des affaires civiles; les confuls ne les jugerent pas non plus, fi ce n'eft dans des cas très-rares, que l'on appella, pour cette raifon, extraordinaires. Ils fe contentèrent de nommer les juges, & de former les tribunaux qui devoient juger. Il paroît, par le difcours d'Appius Claudius dans Denys d'Halicarnasse, que dès l'an de Rome 259, ceci étoit regardé comme une coutume établie chez les Romains; & ce n'eft pas la faire remonter bien haut, que de la rapporter à Servius Tullius,

Chaque année, le prêteur formoit une lifte ou tableau de ceux qu'il choififfoit pour faire la fonction de juges pendant l'année de fa magiftrature. On en prenoit le nombre fufhfant pour chaque affaire. Cela fe pratique à peu près de même en Angleterre. Et ce qui étoit très-favorable à la

liberté, c'eft que le prêteur prenoit les juges du confentement des parties. Le grand nombre de récufations que l'on peut faire aujourd'hui en Angleterre, revient à peu près à cet ufage.

Ces juges ne décidoient que des questions de fait par exemple, fi une fomme avoit été payée, ou non; fi une action avoit été commife, ou non. Mais pour les queftions de droit, comme elles demandoient une certaine capacité, elles étoient portées au tribunal des centumvirs.

Les rois fe réfervèrent le jugement des affaires criminelles, & les confuls leur fuccédèrent en cela. Ce fut en conféquence de cette autorité, que le conful Brutus fit mourir fes enfans & tous ceux qui avoient conjuré pour les Tarquins. Ce pouvoir étoit exorbitant. Les confuls ayant déjà la puiffance militaire, ils en portoient l'exercice même dans les affaires de la ville; & leurs procédés dépouillés des formes de la juftice, étoient des actions violentes, plutôt que des jugemens.

Cela fit faire la loi Valérienne, qui permit d'appeller au peuple de toutes les ordonnances des confuls qui mettoient en péril la vie d'un citoyen. Les confuls ne purent plus prononcer une peine capitale contre un citoyen Romain, que par la volonté du peuple.

On voit dans la premiere conjuration pourle retour des Tarquins, que le conful Brutus juge

les coupables; dans la feconde on affemble le fénat & les commices pour juger.

Les loix qu'on appella facrées, donnèrent aux plébéiens des tribuns qui formèrent un corps qui eut d'abord des prétentions immenfes. On ne fait quelle fut plus grande, ou dans les plébéiens la lâche hardieffe de demander, ou dans le fénat la condefcendance & la facilité d'accorder. La loi Valérienne avoit permis les appels au peuple; c'eft-à-dire, au peuple compofé de fénateurs, de patriciens & de plébéiens. Les plébéiens établirent que ce feroit devant eux que les appellations feroient portées. Bientôt on mit en question, fi les plébéiens pourroient juger un patricien ; cela fut le sujet d'une difpute, que l'affaire de Coriolan fit naître, & qui finit avec cette affaire. Coriolan, accufé par les tribuns devant le peuple, foutenoit, contre l'efprit de la loi Valérienne, qu'étant patricien, il ne pouvoit être jugé que par les confuls : les plébéiens, contre l'efprit de la même loi, prétendirent qu'il ne devoit être jugé que par eux feuls, & ils le jugèrent.

La loi des douze tables modifia ceci. Elle ordonna qu'on ne pourroit décider de la vie d'un citoyen, que dans les grands états du peuple. Ainfi le corps des plébéiens, ou, ce qui eft la même chofe, les comices par tribus ne jugèrens plus que les crimes dont la peine n'étoit qu'une amende pécuniaire. Il falloit une loi pour infliger

une peine capitale : pour condamner à une peine pécuniaire, il ne falloit qu'un plébifcite.

Cette difpofition de la loi des douze tables fut très-fage. Elle forma une conciliation admirable entre le corps des plébéiens & le fénat. Car, comme la compétence des uns & des autres dépendit de la grandeur de la peine & de la nature du crime, il fallut qu'ils fe concertaffent ensemble.

La loi Valérienne ôta tout ce qui reftoit à Rome du gouvernement qui avoit du rapport à celui des rois Grecs des tems héroïques. Les confuls fe trouvèrent fans pouvoir pour la punition des crimes. Quoique tous les crimes foient publics, il faut pourtant diftinguer ceux qui intéreffent plus les citoyens entr'eux, de ceux qui intéreffent plus l'état dans le rapport qu'il a avec un citoyen. Les premiers font appellés privés, les feconds font les crimes publics. Le peuple jugea lui-même les crimes publics; &, à l'égard des privés, il nomma, pour chaque crime , par une commiffion particulière, un quefteur, pour en faire la pourfuite. C'étoit fouvent un des magiftrats, quelquefois un homme privé, que le peuple choififfoit. On l'appelloit quefleur du parricide. Il en eft fait mention dans la loi des douze tables.

.

Le quefteur nommoit ce qu'on appelloit le juge de la question, qui tiroit au fort les juges, formoit: le tribunal, & préfidoit sous lui au jugement.

eft bon de faire remarquer ici la part que

prenoit le fénat dans la nomination du quefteur, afin que l'on voie comment les puiffances étoient, à cet égard, balancées. Quelquefois le fénat faifoit élire un dictateur, pour faire la fonction de quefteur, quelquefois il ordonnoit que le peuple feroit convoqué par un tribun, pour qu'il nommât un quefteur; enfin le peuple nommois quelquefois un magiftrat, pour faire fon rapport au fénat fur un certain crime, & lui demander qu'il donnât un quefteur, comme on voit dans le jugement de Lucius Scipion, dans Tite-Live.

L'an de Rome 604, quelques-unes de ces commiffions furent rendues permanentes. On divifa peu à peu toutes les matières criminelles en diverfes parties, qu'on appella des questions perpétuelles. On créa divers préteurs, & on attribua à chacun d'eux quelqu'une de ces questions. On leur donna, pour un an, la puiffance de juger les crimes qui en dépendoient; & enfuite ils alloient gouverner leur province.

A Carthage, le fénat des cent étoit compofé de juges qui étoient pour la vie. Mais à Rome, les préteurs étoient annuels; & les juges n'étoient pas même pour un an, puisqu'on les prenoit pour chaque affaire. On a vu, dans le chapitre VI de ce livre, combien, dans de certains gouvernemens, cette difpofition étoit favorable à la liberté.

Les juges furent pris dans l'ordre des féna teurs, jufqu'au tems des Gracques. Tiberius

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