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Il permet la galanterie, lorfqu'elle eft unie à l'idée des fentimens du cœur, ou à l'idée de conquête Et c'eft la vraie raifon pour Jaquelle les mœurs ne font jamais fi pures dans les monarchies, que dans les gouvernemens républicains.

Il permet la rufe, lorfqu'elle eft jointe à l'idée de la grandeur de l'efprit ou de la grandeur des affaires; comme dans la politique, dont les fineffes ne l'offenfent pas.

Il ne défend l'adulation, que lorfqu'elle eft féparée de l'idée d'une grande fortune, & n'eft jointe qu'au fentiment de fa propre baffeffe.

A l'égard des mœurs, j'ai dit que l'éducation des monarchies doit y mettre une certaine franchife. On y veut donc de la vérité dans les difcours. Mais eft-ce par amour pour elle? point du tout. On la veut, parce qu'un homme qui eft accoutumé à la dire, paroît être hardi & libre. En effet, un tel homme femble ne dépendre que des chofes, & non pas de la manière dont un autre les reçoit.

C'eft ce qui fait qu'autant qu'on y recommande cette espèce de franchife, autant on y méprife celle du peuple, qui n'a que la vérité & la fimplicité pour objet.

Enfin, l'éducation dans les monarchies exige dans les manières une certaine politeffe. Les hommes nés pour vivre ensemble, font nés auffa pour fe plaire; & celui qui n'observeroit pas

les bienféances, choquant tous ceux avec qui il vivroit, fe décréditeroit au point qu'il deviendroit incapable de faire aucun bien.

Mais ce n'eft pas d'une fource fi pure que la politeffe a coutume de tirer fon origine. Elle naît de l'envie de fe diftinguer. C'est par orgueil que nous fommes polis: nous nous fentons flattés d'avoir des manières qui prouvent que nous ne fommes pas dans la baffeffe, & que nous n'avons pas vécu avec cette forte de gens que l'on a abandonnés dans tous les âges.

Dans les monarchies, la politeffe eft naturaralifée à la cour. Un homme exceffivement grand, rend tous les autres petits. De-là les égards que l'on doit à tout le monde; de-là naît la politeffe, qui flatte autant ceux qui font polis, que ceux à l'égard de qui ils le font; parce qu'elle fait comprendre qu'on eft de la cour, ou qu'on eft digne d'en être.

L'air de la cour confifte à quitter fa grandeur propre pour une grandeur empruntée. Celle-ci flatte plus un courtifan que la fienne même. Elle 2 donne une certaine modeftie fuperbe qui fe t répand au loin, mais dont l'orgueil diminue infenfiblement à proportion de la distance où l'on eft de la fource de cette grandeur.

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On trouve à la cour une délicateffe de goût

en toutes chofes, qui vient d'un ufage continuel des fuperfluités d'une grande fortune, de la wariété, & fur-tout de la laffitude des plaifirs

de la multiplicité, de la confufion même des fantaisies, qui, lorfqu'elles font agréables, y font toujours reçues.

C'eft fur toutes ces chofes que l'éducation fe porte, pour faire ce qu'on appelle l'honnêtehomme, qui a toutes les qualités & toutes les vertus que l'on demande dans ce gouvernement.

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Là, l'honneur fe mêlant par-tout, entre dans toutes les façons de penfer & toutes les manières de fentir, & dirige même les principes.

il met

Cet honneur bifarre fait que les vertus ne font que ce qu'il veut, & comme il les veut; de fon chef des règles à tout ce qui nous eft prefcrit; il étend ou il borne nos devoirs à fa fantaisie, foit qu'ils aient leur fource dans la religion, dans la politique, ou dans la morale.

Il n'y a rien dans la monarchie que les loix, Ja religion & l'honneur prefcrivent tant que l'obéiffance aux volontés du prince: mais cet honneur nous dicte , que le prince ne doit jamais nous prefcrire une action qui nous déshonore, parce qu'elle nous rendroit incapable de le fervir.

Crillon refufa d'affaffiner le duc de Guife, mais il offrit à Henri III de fe battre contre lui, Après la faint Barthelemi, Charles IX ayant écrit à tous les gouverneurs de faire maffacreries huguenots, le vicomte Dorte qui commandoit dans Bayonne, écrivit au Roi: SIRE, je n'ai trouvé parmi les habitans & les gens de guerre, que de bons citoyens, de braves foldats, & pas up

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bourreau: ainfi, eux & moi fupplions votre » Majefté d'employer nos bras & nos vies à chofes faifables. Ce grand & généreux courage regar◄ doit une lâcheté comme une chofe impoffible.

Il n'y a rien que l'honneur prefcrive plus à la nobleffe, que de fervir le prince à la guerre. En effet, c'est la profeffion diftinguée, parce que fes hafards, fes fuccès & fes malheurs même conduisent à la grandeur. Mais, en impofant cette loi, l'honneur veut en être l'arbitre; & s'il fe trouve choqué, il exige ou permet qu'on fe retire chez foi.

Il veut qu'on puiffe indifféremment afpirer aux emplois ou les refufer; il tient cette liberté au-deffus de la fortune même.

L'honneur a donc fes règles fuprêmes, & l'édu cation eft obligée de s'y conformer. Les principales font, qu'il nous eft bien permis de faire cas de notre fortune, mais qu'il nous eft fouverainement défendu d'en faire aucun de notre vie.

La feconde eft, que lorsque nous avons été une fois placés dans un rang, nous ne devons rien faire ni fouffrir qui faffe voir que nous nous tenons inférieurs à ce rang même.

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La troisième, que les chofes que l'honneur défend, font plus rigoureufement défendues, lorfque les loix ne concourent point à les profcrire; & que celles qu'il exige font plus forte. ment exigées, lorfque les loix ne les deman dent pas.

CHAPITRE III

De l'éducation dans le gouvernement defpotique.

COMME l'éducation dans les monarchies ne travaille qu'à élever le cœur, elle ne cherche qu'à l'abaiffer dans les états defpotiques. Il faut qu'elle y foit fervile. Ce fera un bien, même dans le commandement, de l'avoir eue telle ; perfonne n'y étant tyran, fans être en même tems efclave.

L'extrême obéiffance fuppofe de l'ignorance dans celui qui obéit ; elle en fuppofe même dans celui qui commande : il n'a point à délibérer, à douter, ni à raifonner; il n'a qu'à vouloir.

Dans les états defpotiques, chaque maifon eft un empire féparé. L'éducation qui confifte principalement à vivre avec les autres, y eft donc très-bornée : elle fe réduit à mettre la crainte dans le cœur, & à donner à l'efprit la connoiffance de quelques principes de religion fort fimples. Le favoir y fera dangereux, l'émulation funefte: & pour les vertus, Ariftote ne peut croire qu'il y en ait quelqu'une de propre aux efclaves; ce qui borneroit bien l'éducation dans ce gouvernement.

L'éducation Y eft donc en quelque façon nulle,

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