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réuffi. Elle a retiré des bois des peuples dif perfés, elle leur a donné une subsistance assurée, elle les a vêtus ; & quand elle n'auroit fait par-là qu'augmenter l'industrie parmi les hommes, elle auroit beaucoup fait.

Ceux qui voudront faire des inftitutions pareilles, établiront la communauté de biens de la république de Platon, ce respect qu'il deman doit pour les dieux, cette féparation d'avec les étrangers pour la confervation des mœurs, & la cité faifant le commerce & non pas les citoyens ; ils donneront nos arts fans notre luxe, & nos befoins fans nos defirs.

Ils profcriront l'argent, dont l'effet eft de groffir la fortune des hommes au-delà des bornes que la nature y avoit mifes, d'apprendre à con ferver inutilement ce qu'on avoit amaffé de même, de multiplier à l'infini les defirs, & de fuppléer à la nature, qui nous avoit donné des moyens très-bornés d'irriter nos paffions, & de nous corrompre les uns les autres.

«Les Epidamniens, fentant leurs mœurs fe corrompre par leur communication avec les "barbares, élurent un magiftrat pour faire tous » les marchés au nom de la cité & pour la cité. » Pour lors le commerce ne corrompt pas la conftitution, & la conftitution ne prive pas la fociété des avantages du commerce.

CHAPITRE VII.

En quel cas ces inftitutions fingulières peuvent être bonnes.

CEs fortes d'inftitutions peuvent convenie dans les républiques, parce que la vertu politique en eft le principe: mais, pour porter à l'honneur dans les moarchies, ou pour inspirer de la crainte dans les états defpotiques, il ne faut pas tant de foins.

Elles ne peuvent d'ailleurs avoir lieu que dans un petit état, où l'on peut donner une éducation générale, & élever tout un peuple comme une famille.

Les loix de Minos, de Lycurgue & de Platon fuppofent une attention fingulière de tous les citoyens les uns fur les autres. On ne peut f promettre cela dans la confusion, dans les négli gences, dans l'étendue des affaires d'un grand peuple.

Il faut, comme on l'a dit, bannir l'argent dans ces inftitutions. Mais dans les grandes fociétés, le nombre, la variété, l'embarras, l'importance des affaires, la facilité des achats, la lenteur des échanges, demandent une mefure commune. Pour porter par-tout fa puiffance, ou la défendre par-tout, il faut avoir ce à quoi les hommes ont attaché par-tout la puiffance.

CHAPITRE VIII.

Explication d'un paradoxe des anciens; par rapport aux mœurs.

POLY BE, le judicieux Polybe, nous dit que

la mufique étoit néceffaire pour adoucir les mœurs des Arcades, qui habitoient un pays où l'air eft trifte & froid; que ceux de Cynète, qui négligèrent la musique, furpafsèrent en cruauté tous les Grecs, & qu'il n'y a point de ville où l'on ait vu tant de crimes. Platon ne craint point de dire que l'on ne peut faire de changement dans la mufique, qui n'en foit un dans la conftitution de l'état. Ariftote, qui femble n'avoir fait fa politique que pour oppofer fes fentimens à ceux de Platon, eft pourtant d'accord avec lui touchant la puiffance de la musique fur les mœurs. Théophrafte, Plutarque, Strabon, tous les anciens, ont penfé de même. Ce n'eft point une opinion jettée fans réflexion; c'est un des principes de leur politique. C'est ainsi qu'ils donnoient des loix, c'est ainsi qu'ils vouloient qu'on gouvernât les cités.

Je crois que je pourrois expliquer ceci. Il faut fe mettre dans l'efprit que dans les villes grecques, fur-tout celles qui avoient pour principal objet la guerre, tous les travaux & toutes les pro

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feffions qui pouvoient conduire à gagner de l'argent, étoient regardés comme indignes d'un homme libre. « La plupart des arts, dit Xénophon, corrompent le corps de ceux qui les exercent; ils obligent de s'affeoir à l'ombre ou près du » feu on n'a de tems ni pour fes amis, ni » pour la république. Ce ne fut que dans la corruption de quelques démocraties que les artifans parvinrent à être citoyens. C'est ce qu' Ariftote nous apprend ; & il foutient qu'une bonne répu blique ne leur donnera jamais le droit de cité.

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L'agriculture étoit encore une profeffion fer vile, & ordinairement c'étoit quelque peuple vaincu qui l'exerçoit; les Ilotes chez les Lacédémoniens, les Périéciens chez les Crétois, les Péneftes chez les Theffaliens, d'autres peuples efclaves dans d'autres républiques.

Enfin tout bas commerce étoit infame chez les Grecs; il auroit fallu qu'un citoyen eût rendu des fervices à un esclave, à un locataire, à un étranger: cette idée choquoit l'efprit de la liberté grecque; auffi Platon veut-il dans fes loix qu'on puniffe un citoyen qui feroit le commerce.

On étoit donc fort embarraffé dans les répu bliques grecques. On ne vouloit pas que les citoyens travaillaffent au commerce, à l'agri culture, ni aux arts; on ne vouloit pas non plus qu'ils fuffent oififs. Ms trouvoient une occupation dans les exercices qui dépendoient de la gymnastique, & dans ceux qui avoient

du rapport à la guerre. L'inftitution ne leur en donnoit point d'autres. Il faut donc regarder les Grecs comme une fociété d'athlètes & de combattans. Or, ces exercices fi propres à faire des gens durs & fauvages, avoient befoin d'être tempérés par d'autres qui puffent adoucir les mœurs. La mufique, qui tient à l'efprit par les organes du corps, étoit très-propre à cela. C'est un milieu entre les exercices du corps qui rendent les hommes durs, & les fciences de spéculation qui les rendent fauvages. On ne peut pas dire que la mufique infpirât la vertu; cela feroit inconcevable: mais elle empêchoit l'effet de la férocité de l'inftitution, & faifoit que l'ame avoit dans l'éducation une part qu'elle n'y auroit point eue.

Je fuppofe qu'il y ait parmi nous une fociété de gens fi paffionnés pour la chaffe, qu'ils s'en occupaffent uniquement; il est sûr qu'ils en contracteroient une certaine rudeffe. Si ces mêmes gens venoient à prendre encore du goût pour la mufique, on trouveroit bientôt de la différence dans leurs manières & dans leurs mœurs. Enfin les exercices des Grecs n'excitoient en eux qu'un genre de paffions, la rudeffe, la colère, la cruauté. La mufique les excite toutes, & peut faire fentir à l'ame la douceur, la pitié, la tendreffe, le doux plaifir. Nos auteurs de morale, qui, parmi nous, profcrivent fi fort les théatres, nous font affez fentir le pouvoir que la mufique a fur nos ames,

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