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Si à la fociété dont j'ai parlé, on ne donnoit que des tambours & des airs de trompette, n'est-il pas vrai que l'on parviendroit moins à fon but, que fi l'on donnoit une mufique tendre? Les anciens avoient donc raifon, lorfque, dans certaines circonftances, ils préféroient pour les mœurs un mode à un autre.

Mais, dira-t-on, pourquoi choifir la musique par préférence ? C'eft que, de tous les plaifirs des fens, il n'y en a aucun qui corrompe moins l'ame. Nous rougiffons de lire dans Plutarque, que les Thébains, pour adoucir les mœurs de leurs jeunes gens, établirent par les loix un amour qui devroit être profcrit par toutes les nations du monde.

LIVRE V.

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Que les Loix que le Législateur donne, doivent être relatives au principe du gouvernement.

CHAPITRE PREMIER.

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Idée de ce Livre.

us venons de voir que les loix de l'édu cation doivent être relatives au principe de chaque gouvernement. Celles que le législateur donne à toute la fociété, font de même. Ce rapport des loix avec ce principe, tend tous les refforts du gouvernement, & ce principe en reçoit à fon tour une nouvelle force. C'eft ainsi que, dans les mouvemens phyfiques, l'action eft toujours fuivie d'une réaction.

Nous allons examiner ce rapport dans chaque gouvernement; & nous commencerons par l'état républicain, qui a la vertu pour principe.

CHAPITRE

II.

Ce que c'eft que la vertu dans l'état

LA

politique.

A vertu dans une république eft une chofe très-fimple; c'est l'amour de la république ; c'est un fentiment, & non une fuite de connoiffance: le dernier homme de l'état peut avoir ce fentiment comme le premier. Quand le peuple a une fois de bonnes maximes, il s'y tient plus long-tems, que ce qu'on appelle les honnêtes gens. Il eft rare que la corruption commence par lui; fouvent il a tiré de la médiocrité de fes lumières un attachement plus fort pour ce qui eft établi.

L'amour de la patrie conduit à la bonté des mœurs, & la bonté des moeurs mène à l'amour de la patrie. Moins nous pouvons fatisfaire nos paffions particulières, plus nous nous livrons aux générales. Pourquoi les moines aiment-ils tant leur ordre? C'est justement par l'endroit qui fait qu'il leur eft infupportable. Leur règle les prive de toutes les chofes fur lefquelles les paffions ordinaires s'appuient: refte donc cette paffion pour la règle même qui les afflige. Plus elle eft auftère, c'est-à-dire, plus elle retranche de leurs pen chans, plus elle donne de force à ceux qu'elle leur laiffe.

CHAPITRE III.

Ce que c'eft que l'amour de la république

L'AMO

dans la démocratie.

'AMOUR de la république dans une démocratie eft celui de la démocratie; l'amour de la démocratie eft celui de l'égalité.

L'amour de la démocratie eft encore l'amour de la frugalité. Chacun devant y avoir le même bonheur & les mêmes avantages, y doit goûter les mêmes plaisirs & former les mêmes efpérances; chofe qu'on ne peut attendre que de lą frugalité générale.

L'amour de l'égalité dans une démocratie borne l'ambition au feul defir, au feul bonheur de rendre à fa patrie de plus grands fervices que les autres citoyens. Ils ne peuvent pas lui rendre tous des fervices égaux; mais ils doivent tous également lui en rendre. En naiffant, on contracte envers elle une dette immenfe, dont on ne peut jamais s'acquitter.

des

Ainfi les diftinctions y naiffent du principe de l'égalité, lors même qu'elle paroît ôtée par fervices heureux ou par des talens fupérieurs.

L'amour de la frugalité borne le defir d'avoir à l'attention que demande le néceffaire pour fa famille & même le fuperflu pour fa patrie, Les

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richeffes donnent une puiffance dont un citoyen ne peut pas ufer pour lui, car il ne feroit pas égal. Elles procurent des délices, dont il ne doit pas jouir non plus, parce qu'elles choqueroient l'égalité tout de même.

Auffi les bonnes démocraties, en établiffant la frugalité domeftique, ont-elles ouvert la porte aux dépenses publiques, comme on fit à Athènes & à Rome. Pour lors la magnificence & la profufion naiffoient du fond de la frugalité même ; & comme la religion demande qu'on ait les mains pures pour faire des offrandes aux dieux, les loix vouloient des mœurs frugales pour que l'on pût donner à fa patrie.

Le bon fens & le bonheur des particuliers confifte beaucoup dans la médiocrité de leurs taiens & de leurs fortunes. Une république où les loix auront formé beaucoup de médio gens cres, composée de gens fages, fe gouvernera fagement; compofée de gens heureux, elle fera très-heureufe,

de

des

fa

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