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CHAPITRE IV.

Comment on infpire l'amour de l'égalité & de la frugalité.

L'AMOU

'AMOUR de l'égalité & celui de la frugalité font extrêmement excités par l'égalité & la frugalité mêmes, quand on vit dans une fociété où les loix ont établi l'une & l'autre.

Dans les monarchies & les états defpotiques, perfonne n'afpire à l'égalité; cela ne vient pas même dans l'idée ; chacun y tend à la fupériorité. Les gens des conditions les plus baffes ne defirent d'en fortir, que pour être les maîtres des

autres.

Il en eft de même de la frugalité. Pour l'aimer, il faut en jouir. Ce ne feront point ceux qui font corrompus par les délices, qui aimeront la vie frugale; & fi cela avoit été naturel & ordinaire, Alcibiade n'auroit pas fait l'admiraration de l'univers. Ce ne feront pas non plus ceux qui envient ou qui admirent le luxe des autres, qui aimeront la frugalité; des gens qui n'ont devant les yeux que des hommes riches ou des hommes miférables comme eux, déteftent leur misère, fans aimer ou connoître ce qui -fait le terme de la misère,

C'est donc une maxime très-vraie, que pour que l'on aime l'égalité & la frugalité dans une république, il faut que les loix les y aient établies.

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CHAPITRE V.

Comment les Loix établissent l'égalité dans la démocratie.

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UELQUES légiflateurs anciens, comme Lycurgue & Romulus, partagèrent également les terres. Cela ne pouvoit avoir lieu que dans la fondation d'une république nouvelle; ou bien lorfque l'ancienne étoit fi corrompue & les efprits dans une telle difpofition, que les pauvres fe croyoient obligés de chercher, & les riches obligés de fouffrir un pareil remède.

Si, lorfque le législateur fait un pareil partage, il ne donne pas des loix pour le maintenir, il ne fait qu'une constitution paffagère; l'inégalité entrera par le côté que les loix n'auront pas défendu, & la république fera perdue.

Il faut donc que l'on règle dans cet objet les dots des femmes, les donations, les fucceffions, les teftamens; enfin toutes les manières de contracter. Car s'il étoit permis de donner fon bien à qui on voudroit & comme on voudroit, chaque

volonté particulière troubleroit la disposition de la loi fondamentale.

Solon, qui permettoit à Athènes de laiffer fon bien à qui on vouloit par teflament, pourvu qu'on n'eût point d'enfans, contredifoit les loix anciennes qui ordonnoient que les biens reftaffent dans la famille du teftateur. Il contredifoit les fiennes propres; 'car, en fupprimant les dettes, il avoit cherché l'égalité.

C'étoit une bonne loi pour la démocratie, que celle qui défendoit d'avoir deux hérédités. Elle prenoit fon origine du partage égal des terres & des portions données à chaque citoyen. La loi n'avoit pas voulu qu'un feul homme eût plufieurs portions.

La loi qui ordonnoit que le plus proche parent épousât l'héritière, naiffoit d'une fource pareille. Elle eft donnée chez les Juifs après un pareil partage. Platon, qui fonde fes loix fur ce par tage, la donne de même; & c'étoit une loi

athénienne.

Il y avoit à Athènes une loi, dont je ne fache pas que perfonne ait connu l'esprit. II étoit permis d'époufer fa four confanguine, & non pas fa fœur utérine. Cet ufage tiroit fon origine des républiques, dont l'efprit étoit de ne pas mettre fur la même tête deux portions de fonds de terre, & par conféquent deux hérédités. Quand un homme époufoit fa four du côté du père, il ne pouvoit avoir qu'une

hérédité

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hérédité, qui étoit celle de fon père mais, quand il époufoit fa foeur utérine, il pouvoit arriver que le père de cette foeur n'ayant pas d'enfans mâles, lui laifsât fa fucceffion; & que par conféquent fon frere, qui l'avoit épousée, en eût deux.

Qu'on ne m'objecte pas ce que dit Philon, 1 que quoiqu'à Athènes on épousât fa fœur confanguine, & non pas fa foeur utérine; on pouvoit à Lacédémone époufer fa foeur utérine, & non pas fa fœur confanguine. Car je trouve dans Strabon, que quand à Lacédémone une four époufoit fon frere, elle avoit pour fa dot la moitié de la portion du frere. Il eft clair que cette feconde loi étoit faite pour prévenir les mauvaises fuites de la première. Pour empêcher que le bien de la famille de la foeur ne pafsât dans celle du frere, on donnoit en dot à la foeur la moitié du bien du frère.

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Senèque parlant de Silanus, qui avoit épousé fa foeur, dit qu'à Athènes la permiflion étoic reftreinte, & qu'elle étoit générale à Alexandrie. Dans le gouvernement d'un feul, il n'étoit guère queftion de maintenir le biens.

partage des

Pour maintenir ce partage des terres dans la démocratie, c'étoit une bonne loi que celle qui vouloit qu'un pere qui avoit plufieurs enfans, en choisit un pour fuccéder à fa portion, & donnât les autres en adoption à quelqu'un qui Tome 1.

D

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n'eût point d'enfans, afin que le nombre des citoyens put toujours fe maintenir égal à celui des partages.

Phaléas de Calcédoine avoit imaginé une façon de rendre égales les fortunes dans une république où elles ne l'étoient pas. Il vouloit que les riches donnaffent des dots aux pauvres, & n'en reçuffent pas ; & que les pauvres reçuffent de l'argent pour leurs filles, & n'en donnaffent pas. Mais je ne fache point qu'aucune répu blique fe foit accommodée d'un réglement pareil." Il met les citoyens fous des conditions dont les différences font fi frappantes, qu'ils haïroient cette égalité même que l'on chercheroit à introduire. n eft bon quelquefois que les loix ne paroiffent pas aller fi directement au but qu'elles fe propofent.

Quoique dans la démocratie l'égalité réelle foit l'ame de l'état, cependant elle est fi difficile à établir, qu'une exactitude extrême à cet égard ne conviendroit pas toujours. Il fuffit que l'on établiffe un cens qui réduife ou fixe les différences à un certain point; après quoi c'est à des loix particulières à égalifer, pour ainsi dire, les inégalités, par les charges qu'elles impofent aux riches, & le foulagement qu'elles accordent aux pauvres. Il n'y a que les richeffes médiocres qui puiffent donner ou fouffrir ces fortes de compenfations; car, pour les fortunes immodeTées, tout ce qu'on ne leur accorde pas de

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