Images de page
PDF
ePub

I

CHAPITRE XII I.

QUAND

Idée du defpotifme.

UAND les Sauvages de la Louisiané veu lent avoir du fruit, ils coupent l'arbre au pied, & cueillent le fruit. Voilà le gouvernement defpotique.

[ocr errors][ocr errors]

CHAPITRE XIV.

Comment les loix font relatives aux prin cipes du gouvernement despotique. LE gouvernement defpotique a pour principe

la crainte ; mais à des peuples timides, ignorans, abattus, il ne faut pas beaucoup de loix.

Tout y doit rouler fur deux ou trois idées; il n'en faut donc pas de nouvelles. Quand vous inftruifez une bête, vous vous donnez bien de garde de lui faire changer de maître, de leçon & d'allure; vous frappez fon cerveau par deux ou trois mouvemens, & pas davantage.

Lorfque le prince eft enfermé, il ne peut fortir du féjour de la volupté fans défoler tous ceux qui l'y retiennent. Ils ne peuvent fouffrir

que fa perfonne & fon pouvoir paffent en d'autres. mains. Il fait donc rarement la guerre en perfonne, & il n'ofe guère la faire par fes lieutenans.

Un prince pareil, accoutumé dans fon palais à ne trouver aucune résistance, s'indigne de celle qu'on lui fait les armes à la main; il eft donc ordinairement conduit par la colère ou par la vengeance. D'ailleurs il ne peut avoir d'idée de la vraie gloire. Les guerres doivent donc s'y faire dans toute leur fureur naturelle, & le droit des gens y avoir moins d'étendue qu'ailleurs.

Un tel prince a tant de défauts, qu'il faudroit craindre d'expofer au grand jour fa tupidité naturelle. Il eft caché, & l'on ignore l'état où il fe trouve. Par bonheur, les hommes font tels dans ce pays, qu'ils n'ont befoin que d'un nom qui les gouverne.

Charles XII étant à Bender, trouvant quelque réfiftance dans le fénat de Suède, écrivit qu'il leur enverroit une de fes bottes pour commander. Cette botte auroit commandé comme un roi defpotique.

Si le prince eft prifonnier, il eft censé être mort, & un autre monte fur le trône. Les traités que fait le prifonnier font nuls, fon fucceffeur ne les ratifieroit pas. En effet, comme il eft les loix, l'état & le prince, & que fitôt qu'il

n'eft

[ocr errors][merged small]

n'est plus le prince, il n'eft rien; s'il n'étoit pas cenfé mort, l'état feroit détruit.

Une des chofes qui détermina le plus les Turcs à faire leur paix féparée avec Pierre I, fut que ies Mofcovites dirent au vizir, qu'en Suède on avoit mis un autre roi fur le trône.

La confervation de l'état n'eft que la confervation du prince, ou plutôt du palais où il eft enfermé. Tout ce qui ne menace pas directement ce palais ou la ville capitale, ne fait point d'impreffion fur des efprits ignorans, orgueilleux & prévenus: & quant à l'enchaînement des événemens, ils ne peuvent le fuivre, le prévoir, y penser même. La politique, fes refforts & fes loix, y doivent être très - bornés; & le gouvernement politique y eft auffi fimple que le gouvernement civil.

Tout fe réduit à concilier le gouvernement politique & civil avec le gouvernement domeftique, les officiers de l'état avec ceux du ferrail.

Un pareil état fera dans la meilleure fituation, lorfqu'il pourra fe regarder comme feul dans le monde, qu'il fera environné de déferts, & fèparé des peuples qu'il appellera barbares. Ne pouvant compter fur la milice, il fera bon qu'il détruise une partie de lui-même.

Comme le principe du gouvernement despo tique eft la crainte, le but en eft la tranquillité: mais ce n'eft point une paix, c'eft le filence de ces villes que l'ennemi eft prêt d'occuper. Tome I.

E

La force n'étant pas dans l'état, mais dans l'armée qui l'a fondé; il faudroit, pour défendre l'état, conferver cette armée ; mais elle eft formidable au prince. Comment donc concilier la sûreté de l'état avec la sûreté de la perfonne?

Voyez, je vous prie, avec quelle industrie le gouvernement mofcovite cherche à fortir du defpotifme, qui lui eft plus pefant qu'aux peuples mêmes. On a caffé les grands corps de troupes, on a diminué les peines des crimes, on a établi des tribunaux, on a commencé à connoître les loix, on a inftruit les peuples. Mais il y a des caufes particulières, qui le ramèneront peut-être au malheur qu'il vou¬ loit fuir.

Dans ces états, la religion a plus d'influence que dans aucun autre ; elle est une crainte ajoutée à la crainte. Dans les empires mahométans, c'eft de la religion que les peuples tirent en partie le respect étonnant qu'ils ont pour leur prince.

C'eft la religion qui corrige un peu la conftitution turque. Les fujets qui ne font pas attachés à la gloire & à la grandeur de l'état par honneur, le font par la force & par le principe de la religion.

De tous les gouvernemens defpotiques, il n'y en a point qui s'accable plus lui-même, que celui où le prince fe déclare propriétaire de tous les fonds de terre & l'héritier de tous fes

fujets. Il en résulte toujours l'abandon de la * culture des terres; & fi d'ailleurs le prince cft marchand, toute efpèce d'induftrie eft ruinée.

[ocr errors][ocr errors][ocr errors]

Dans ces états, on ne répare, on n'améliore rien. On ne bâtit de maifons que pour la vie; on ne fait point de foffés, on ne plante point d'arbres; on tire tout de la terre, on ne lui rend rien; tout eft en friche, tout eft désert.

Penfez-vous que les loix qui ôtent la propriété des fonds de terre & la fucceffion des biens, diminueront l'avarice & la cupidité des grands? Non elles irriteront cette cupidité & cette avarice. On fera porté à faire mille vexations, parce qu'on ne croira avoir en propre que l'or ou l'argent que l'on pourra voler ou cacher.

Pour que tout ne foit pas perdu, il eft bon que l'avidité du prince foit modérée par quelque coutume. Ainfi en Turquie le prince fe contente ordinairement de prendre trois pour cent fur les fucceffions des gens du peuple. Mais comme le grand-feigneur donne la plupart des terres à fa milice, & en difpofe à fa fantaifie; comme il fe faifit de toutes les fucceffions des officiers de l'empire; comme lorfqu'un homme meurt fans enfans mâles, le grand-feigneur a la pro priété, & que les filles n'ont que l'ufufruit; il arrive que la plupart des biens de l'état font poffédés d'une manière précaire.

Par la loi de Bantam, le roi prend la fuce
E a

« PrécédentContinuer »