Images de page
PDF
ePub

CHAPITRE IX.

Le régime de la garantie et ses développements dans la Constitution internationale de la Belgique.

Ꭶ 1.

LA RECONNAISSANCE ET LA GARANTIE EN DROIT

INTERNATIONAL.

La garantie, dans sa notion large, se présente à nous comme un moyen spécial de sûreté adapté à la réalisation d'un résultat d'intérêt juridique, en prévision d'obstacles à cette réalisation.

Le respect de la foi mutuelle qui est à la base de toute société, la fidélité due aux engagements par des êtres raisonnables et sociaux est le premier élément de sécurité naturellement appelé à pourvoir aux exigences des obligations qui relient les hommes entre eux. La contrainte réciproque entre parties pour la réalisation de ces mêmes exigences est la sanction commune de l'inviolabilité nécessaire au droit dans la vie sociale. A côté de ces moyens primordiaux et généraux, l'expérience a mis en lumière l'économie pratique de moyens spéciaux de sécurité instaurés pour mieux assurer la réalisation des résultats d'intérêt juridique contre les entraves qui peuvent provenir non seulement du fait des parties, mais aussi du fait des tiers. Ces moyens consistent le plus souvent soit dans des gages particuliers, personnels ou réels, fournis par les parties, soit dans une sécurité procurée au besoin par autrui. De là le système des garanties dans l'ordre des relations de droit. Le génie humain en quête de sécurités appropriées aux exigences qui se rattachent à cet ordre, a donné aux garanties juridiques les formes les plus variées.

Le terme de garantie a été appliqué tout particulièrement en droit privé à cette mesure de sûreté consistant dans l'engagement par lequel les parties cédant un droit ou établissant un arrangement juridique, ou bien les tiers intervenant à semblable cession ou arrangement, se constituent les répondants, contre les troubles en perspective, du résultat juridique poursuivi, et se trouvent ainsi astreints à telle ou telle prestation auxiliaire éventuelle destinée à assurer ce résultat aux ayants droit.

Dans l'ordre international, où les moyens de réaliser le droit sont moins complètement organisés que dans l'ordre national, la garantie a souvent revêtu ce dernier caractère. Il existe une catégorie de traités, appelés par excellence traités de garantie, qui visent l'instauration internationale de ce genre de sécurité.

Ces instruments sont imparfaits en ce qu'ils empruntent à la bonne foi des garants une partie de leur valeur. Mais ils ne laissent pas d'avoir une importance souvent fort grande.

Leur interprétation offre des difficultés. Pour les résoudre, l'intention des parties telle qu'elle résulte de l'acte constitutif de la garantie, de son esprit, de la matière à laquelle il se rapporte, doit être avant tout recherchée.

La garantie des Puissances appliquée à la Constitution internationale spéciale de la Belgique se distingue de la simple reconnaissance de cette Constitution. On peut, en effet, distinguer, touchant le régime qui donne aux relations du peuple belge avec les autres peuples une physionomie particulière, deux ordres d'engagements nettement distincts:

D'une part, une série d'obligations par lesquelles la Belgique prend l'engagement de se comporter comme

État perpétuellement neutre, les autres États assumant l'engagement de respecter, en ce qui les concerne, ce status international.

D'autre part, une série ultérieure d'engagements par lesquels les Puissances assument l'obligation de seconder efficacement contre les entreprises d'autrui le maintien de l'indépendance et de la neutralité de la Belgique, celle-ci acquérant le droit de réclamer les prestations correspondant à une telle obligation.

Ces deux séries d'engagements sont si bien distincts que nous trouvons, précisément dans le cas présent, des États qui ont contracté les premiers sans contracter les seconds. C'est ainsi que la Hollande a simplement reconnu le régime de droit des gens particulier auquel est soumise la Belgique et que les cinq grandes Puissances ont à la fois reconnu et garanti ce régime.

On peut définir la garantie des Puissances appliquée au status international spécial de l'État belge, l'engagement assumé par les cinq Puissances d'assurer par une aide efficace, prévue comme éventuellement nécessaire, le maintien de l'indépendance et de la neutralité de la Belgique, ainsi que des autres stipulations du Traité hollando-belge de 1859.

§ 2.

L'ACTE CONSTITUTIF DE LA garantie des Puissances, SA FORME GÉNÉRALE, SA RAISON D'ÊTRE ET SON ÉCONOMIE.

L'Acte constitutif de la garantie des Puissances se trouve consigné dans le quintruple Traité du 19 avril 1839 conclu entre les cinq grandes Puissances et la Belgique, Traité dont nous avons donné le texte complet (1). Ce

(1) Voyez supra, p. 260.

Traité déclare expressément que les articles du Traité hollando-belge de la même date

sont considérés comme ayant la même forme et valeur que s'ils étaient insérés dans le présent Acte et se trouvent ainsi placés sous la garantie de Leurs dites Majestés.

Parmi ces stipulations, il faut signaler au premier chef la disposition de l'article 7 ainsi conçue :

La Belgique, dans les limites indiquées aux articles 1, 2 et 4, formera un Etat indépendant et perpétuellement

neutre.

La forme donnée à la garantie dans l'Acte définitif a été critiquée. On a rapproché cette formule, analogue à celle qui fut adoptée dans les XXIV articles, de celle qui consacrait la garantie dans les Actes préliminaires (Bases de séparation et XVIII articles) et qui faisait corps avec la disposition même stipulant la neutralité perpétuelle de la Belgique. <«< Plus de garantie spéciale, a-t-on dit, mais une garantie générale et vague (1). » Garantie généralisée, oui; vague, aucunement. En effet, suivant la formule de l'article 23 ajouté aux XXIV articles, les cinq Cours«< garantissent à Sa Majesté le Roi des Belges l'exécution de tous les articles qui précèdent ». Et, suivant la formule du quintruple Traité de 1839, tous les articles du Traité hollando-belge de la même date sont également visés et garantis d'une manière aussi formelle que précise. La seule différence que l'on puisse signaler entre ces rédactions et les rédactions antérieures, c'est que la garantie dans sa formule nouvelle est plus étendue. Elle s'étend d'une manière catégorique à toutes les stipulations

(1) SYLVAIN VAN DE WEYER et EMILE BANNING, Histoire des relations extérieures de la Belgique. (PATRIA BELGICA, t. II.)

contenues dans chacun des articles du Traité hollandobelge et non plus seulement à la neutralité perpétuelle. Et c'est précisément cette extension de la garantie à toutes les stipulations du Traité qui rendait manifestement superflue quelque mention de cette même garantie dans son application à un objet plus spécial.

C'est donc à tort, selon nous, que d'éminents esprits ont essayé de tirer de la formule définitive, comparée aux formules préliminaires, des conséquences défavorables à la garantie actuellement existante.

On ne peut voir dans de tels essais qu'une tendance regrettable à déprécier les éléments fondamentaux de notre Constitution internationale, tendance que ne justifie pas le but, si louable qu'il puisse être en soi, de prouver à la Belgique qu'elle doit compter avant tout sur ellemême dans les conjonctures internationales.

L'importance, au point de vue des intérêts généraux européens, de la combinaison adoptée à la Conférence de Londres concernant le status international de la Belgique, la nécessité d'assurer la plus grande stabilité à cette combinaison que le temps n'avait pas encore consacrée, expliquent l'Acte de garantie des Puissances. Pour la Belgique, cet Acte se présente à nous comme une compensation de l'interdiction, contenue dans sa nouvelle Constitution internationale, de choisir des alliances dans l'ordre de sa défense. Et ceci met en nouveau relief le caractère synallagmatique parfait du contrat de garantie intervenu entre les Puissances garantes et l'État neutre à titre permanent.

Nous avons signalé précédemment le réseau général de droits et d'obligations créé par les traités de 1839. Nous allons pénétrer dans le détail des questions sou

« PrécédentContinuer »