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TITRE QUATRIÈME

PARTIE POLITIQUE.

La politique internationale de la Belgique.

Dans la vie internationale contemporaine de la Belgique, il importe de distinguer la politique spéciale appliquée à la réalisation pratique de notre Constitution internationale et la politique générale du pays poursuivie en harmonie avec cette Constitution. La première s'inspire d'une scrupuleuse observation de nos devoirs particuliers dans la grande famille des nations. La seconde s'occupe de la défense de nos droits et de la procuration de nos intérêts comme membres indépendants de la communauté internationale.

CHAPITRE PREMIER.

La mise en œuvre de la Constitution internationale de la Belgique dans l'histoire contemporaine.

$1.

LA JURISPRUDENCE FONDAMENTALE.

Nous entendons par jurisprudence fondamentale, l'œuvre d'application de notre Constitution internationale dans ses éléments essentiels aux faits de l'histoire contemporaine. C'est, si l'on veut, le commentaire pratique et vivant du principe d'indépendance et de neutralité permanente inscrit dans le droit public de la Belgique. Peu de temps après l'adoption des Traités de 1859,

dans le mémorable discours du 10 novembre 1840, l'auguste Fondateur de notre dynastie posait d'une main ferme la pierre angulaire de la politique internationale de la Belgique.

La position de la Belgique, disait le Roi en ouvrant le Parlement, a été déterminée par les traités, et la neutralité perpétuelle lui a été solennellement assurée. Mon Gouvernement n'a négligé aucune occasion de faire connaître l'importance qu'il attache à cette garantie. Partout, je le dis avec satisfaction, nous n'avons rencontré que des sentiments de bienveillance et de respect pour le principe inscrit dans notre droit public.

La neutralité, nous ne pouvons trop nous en convaincre, est le véritable but de notre politique. La maintenir sincère, loyale et forte doit être notre but constant.

L'histoire du développement pratique de notre Constitution internationale en connexion avec les grands faits de la vie contemporaine des nations, est intéressante et féconde en enseignements.

Sans essayer d'épuiser ici un si vaste sujet, mêlé à toutes nos relations extérieures, nous voulons en dégager quelques points saillants auxquels peuvent être rattachées lumineusement, selon nous, les grandes phases d'évolution du principe cardinal de notre droit public.

Première phase: La mise en valeur pratique, devant l'Europe, de notre Constitution internationale.

Quelques mois à peine après la signature des Traités de 1859, la question d'Orient faillit amener une conflagration générale. L'Angleterre, après avoir essayé quelque entente avec le Gouvernement français, s'était tournée

vers la Russie et avait négocié avec elle et avec les autres Cours du Nord, le Traité du 15 juillet 1840, qui isolait la France. Le Cabinet de M. Thiers, disposé aux mesures énergiques, pressait les armements et menaçait de porter la guerre sur le Rhin et les Alpes, au cas où Constantinople ou Alexandrie seraient occupées par des troupes européennes. En face d'éventualités redoutables, le Gouvernement belge, par une circulaire du 4 août à ses agents diplomatiques, prit nettement position sur ce terrain : ferme maintien de l'article 7 du Traité du 19 avril 1839; observation des devoirs et revendication des droits qui s'y rattachent; mesures sérieuses d'ordre militaire en vue de la sécurité nationale.

Cette attitude fut accueillie avec bienveillance par les autres États, non sans certaines réserves ou défiances toutefois de la part de quelques-uns.

La France trouvait, à certains égards, son profit à l'attitude de la Belgique, qui était un élément de sécurité pour sa frontière la plus vulnérable. Il semble bien cependant que le Cabinet de M. Thiers, en s'y ralliant, n'ait pas laissé de manifester quelque intention de prendre luimême quelques suppléments de sécurité éventuels au détriment de notre inviolabilité territoriale. D'autre part, lorsque certains États, tels que la Sardaigne et le grandduché de Bade, firent mine d'imiter notre exemple, M. Thiers donna à entendre que la France ne se laisserait pas bloquer par les neutres. Mais le roi Louis-Philippe s'attacha bientôt à donner des apaisements à la Belgique inquiète. Il se sépara du ministre aux projets belliqueux. Et M. Thiers lui-même, peu de temps après sa retraite, disait à notre ministre belge à Paris, M. Lehon : « Soyez assuré que la neutralité de la Belgique est pour nous un article de foi. >>

Les Cours du Nord, de leur côté, n'étaient pas sans défiance concernant notre volonté, tout accentuée qu'elle fût, de suivre une ligne de conduite exclusivement nationale. On prétendit contrôler nos mesures de défense; on en vint même jusqu'à considérer de telles mesures comme signe de notre intention de jouer un rôle actif dans les conflits. Sans aller aussi loin, sans méconnaître le droit pour la Belgique d'organiser la défense de son indépendance et de sa neutralité, Lord Palmerston soulevait la question d'une entente avec les Puissances garantes pour constater la nécessité d'aviser, sauf les précautions urgentes pour mettre les forteresses à l'abri d'un coup de main.

Le Gouvernement belge, sans froisser aucune susceptibilité, sauvegarda en son intégrité notre Constitution internationale contre toutes les interprétations qui pouvaient y porter atteinte, affirma l'énergique volonté de notre peuple de vivre par lui-même et pour lui-même, et sut mettre pratiquement en lumière la convergence de nos intérêts et de nos droits avec l'intérêt des autres Puis

sances.

Quand le péril qui menaçait la paix européenne fut conjuré, la ferme et loyale attitude prise par la Belgique fut universellement appréciée. Le principe essentiel de notre Constitution internationale se trouva mis en valeur auprès des grandes Puissances. Et d'autre part, l'envoyé des Pays-Bas à Paris, le général Fage, constatant le lien de commune sécurité qui rapprochait nos deux pays, était amené à dire à M. Lehon :

Savez-vous qu'avec ce système loyalement mis en action, l'existence de la Belgique comme État indépendant offre un grand avantage à la Hollande? Elle devient pour nous

un rempart élevé et garanti par l'Europe elle-même, rempart plus protecteur mille fois que tous les traités de réunion et de barrière (1).

Seconde phase : L'affermissement de notre Constitution internationale sur la base de nos institutions nationales consolidées par l'épreuve.

La Révolution de 1848 fut pour la Belgique l'occasion d'affermir le principe régulateur de sa Constitution internationale et de montrer en même temps la vitalité et la stabilité de ses institutions nationales. Durant la première période de cette révolution, le Gouvernement profita des gages de modération et de paix donnés par M. de Lamartine pour consolider notre situation vis-à-vis de la France. Les principes directeurs de la politique belge dans ces circonstances furent exposés comme suit, le 1er mars, à la Chambre des Représentants, par M. D'Hoffschmidt, Ministre des Affaires étrangères :

La politique du Gouvernement dans les circonstances graves où nous nous trouvons ne peut être guidée que par les intérêts de la nation; elle ne peut être basée que sur la position que les traités lui ont faite.

La Belgique n'a point à intervenir dans les affaires des autres pays ni à s'occuper de la forme de gouvernement qu'il leur convient d'adopter.

Maintenir l'indépendance nationale, l'intégrité du territoire, la neutralité politique qui lui est garantie, les institutions libérales que la Belgique s'est si glorieusement données telle est la règle de conduite que s'est tracée le Gouvernement; et il a la conviction profonde de s'appuyer ainsi sur le sentiment des Chambres et de la nation tout entière.

(1) Dépêche de M. Lehon du 27 septembre 1840.

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