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» n'en est peut-être pas une où ne se fasse plus ou moins sentir l'ins»piration religieuse, où ne brille un rayon de cette vertu céleste qui, » répandu sur tous les personnages, élève l'aspect des objets au-dessus » des idées et des affections terrestres. Sans parler de celles où les anges, » en mêlant leurs hommages à ceux des assistans, apprennent aux » spectateurs qu'un lien surnaturel unit cette scène, en apparence hu» maine, aux mystères du ciel, il règne dans toutes un sentiment de » noblesse et de sainteté dont on ne sauroit méconnoître le principe. »

En suivant, de degré en degré, la manière plus ou moins idéale de représenter la Vierge, M. Quatremère arrive ainsi à la troisième classe des Vierges de Raphaël, à celle où la Vierge, avec l'Enfant Jésus, se montre, non plus comme habitante de la terre, mais comme apparoissant aux mortels dans tout l'appareil qui convient aux personnages célestes, ou comme reine des anges, et devenue un objet d'adoration pour les saints eux-mêmes. En première ligne de ces Vierges, et en rentrant dans l'ordre chronologique des productions de Raphaël, notre auteur rencontre la célèbre Vierge dite au poisson, dont nous avons dû tout récemment une magnifique estampe au burin de M. Desnoyers. C'est, au jugement de M. Quatremère, une des plus aimables compositions de Raphaël, une de celles qui paroissent avoir été le plus complétement exécutées par lui, et qui, formant la nuance entre sa seconde et sa troisième manière, méritent en conséquence de fixer à plus de titres l'attention des appréciateurs de son talent.

Ici encore Raphaël se présente sous un nouvel aspect à son historien et à ses admirateurs. Ce n'étoit pas assez d'avoir fourni, par ses tableaux presque innombrables, une occupation presque infinie aux graveurs de tous les temps; il étoit réservé à ce grand homme de produire le premier graveur du sien, et, en quelque sorte, la gravure elle-même, par la direction toute nouvelle qu'il fit prendre à cet art tout nouveau, et par l'aliment inépuisable qu'il lui offrit. Marc-Antoine Raimondi, appelé auprès de Raphaël par la voix de la renommée et par l'instinct de son propre génie, à cette époque de leur vie où l'un et l'autre pouvoient se rendre de mutuels services, devint le graveur en titre du peintre d'Urbin, c'est-à-dire, le confident de ses conceptions les plus secrètes et l'interprète de ses plus ingénieuses pensées. On ne connoît pas assez Raphaël, quand on ne le connoît pas dans ses dessins; et cependant, qui pourroit se flatter de posséder dans sa mémoire et de décrire la série entière de ces compositions fugitives, délassemens de ses grands travaux, et jeux faciles d'une vie si occupée, qui auroient suffi pour en remplir et pour en immortaliser une autre; de ces dessins

que son crayon et sa plume infatigables se plurent à produire, et qui trouvèrent dans Marc-Antoine un burin aussi fécond, aussi infatigable que son crayon et que sa plume! Les observations où M. Quatremère entre à ce sujet, sont pleines d'intérêt et de goût; elles jettent un jour tout nouveau sur le caractère de la gravure à cette époque, sur le talent de Marc-Antoine, et sur la part immense que prit Raphaël aux progrès de l'un et aux succès de l'autre. M. Quatremère cite quelques-uns des plus beaux dessins de Raphaël, et, entre autres, les deux où il imagina de faire revivre, au moyen des descriptions que Lucien en a faites, deux des plus ingénieuses compositions de la peinture antique, le Mariage de Roxane, dû au pinceau d'Ætion, et le Danger de la délation, tableau allégorique d'Apelles. Mais la plus grande partie des dessins de Raphaël fut de ceux qu'il destina lui-même à être gravés par Marc-Antoine; et dans ce nombre, encore très-considérable, M. Quatremère ne cite que deux des principaux, le Jugement de Pâris et le Massacre des innocens, qui lui semblent les plus propres à donner tout-à-la-fois une idée et de l'état de la gravure du XVI. siècle, et du talent du graveur lui-même. Leur principal mérite, à l'un et à l'autre, est sans doute d'avoir fixé et perpétué des pensées de Raphaël, qui, sans cela, seroient peut-être restées à jamais ensevelies dans ses porte-feuilles. Mais ce que, depuis plus de trois siècles, et malgré les progrès de cet art, on admire encore dans les belles planches de Marc-Antoine, c'est une hardiesse et une sûreté de burin, une science de trait, une correction de formes, une force d'expression, qui n'ont jamais été égalées ; et le sentiment de tant de beautés s'augmente encore, s'il est possible, en les considérant comme une émanation et presque comme une œuvre du génie de Raphaël.

Désormais, ce grand homme s'étoit mis, par l'éclat de ses talens, hors de pair avec ses contemporains: mais ce qui valoit mieux pour l'art et pour lui-même, que d'écraser ses rivaux de tout le poids de sa supériorité, c'étoit, en les attachant à ses travaux, de les associer à sa renommée. Dès-lors, en effet, Raphaël étoit devenu le vrai point de centre d'où partoient et où aboutissoient tous les projets d'art exécutés à Rome sous le pontificat de Léon X; et son historien le prouve, en reprenant, suivant l'ordre des temps, celui des peintures dont il décora les salles du Vatican. Des deux premières de ces salles, dont il a été fait mention (1), la première de toutes, ou celle della Segnatura, n'offre bien évidemment que l'œuvre d'une seule main; la sui

(1) Voyez le Journal des Savans, octobre, p. 620-622.

vante, celle de l'Héliodore, ne trahit que dans quelques parties des fresques qui s'y trouvent, l'action de plusieurs collaborateurs et l'emploi de manières différentes, ramenées toutes cependant à une direction commune, et comme à un principe unique: mais la troisième salle, dite de Torre Borgia, et exécutée vers l'époque où nous sommes arrivés, vers 1517, présente, dans trois des grandes peintures à fresque dont elle est ornée, plus de raisons encore de croire que Raphaël, chargé de si nombreux travaux et entouré de si nombreux disciples, se sera reposé sur plusieurs peintres de son école, tout au moins du soin de leur exécution. Dans ces trois compositions, empruntées à l'histoire des papes qui portèrent le nom de Léon, par allusion au pontificat de Léon X, et qui représentent, l'une, la Victoire de Léon IV sur les Sarrasins; l'autre, la Justification de Léon III devant Charlemagne, et la troisième, le Couronnement de Charlemagne par ce même Léon III, M. Quatremère ne trouve à louer que le mérite d'une belle et sage ordonnance dans la composition, mérite qui appartient bien incontestablement à Raphaël; et, dans l'exécution, celui d'une pratique habile qu'il faut attribuer à ses disciples. Mais il n'en est pas de même du quatrième tableau, l'incendie del Borgo vecchio, ou du vieux bourg, événement qui se rapporte au pontificat de S. Léon IV. Ce tableau paroît tout entier de la main de Raphaël; ce qu'établit son historien, en montrant que, dans plusieurs figures de cette vaste composition, Raphaël a fait réellement preuve d'un nouvel agrandissement de manière et de dessin. Ce qui rend encore cet ouvrage plus recommandable sous le rapport de l'art, c'est qu'entre toutes les peintures de Raphaël, c'est celle qui renferme le plus de figures nues, et qu'à ce titre il est devenu, pour les jeunes artistes, un sujet particulier d'études, comme il a été, entre les critiques, le principal sujet du débat excité pour la prééminence de Raphaël et de Michel-Ange. A cette occasion aussi, M. Quatremère revient encore une fois sur l'objet de cette controverse célèbre, et il y revient pour montrer, par l'analyse des beautés de dessin qu'offre le tableau de l'incendie du bourg, quelles furent, en ce genre, les qualités exclusivement propres à Raphaël, et en quoi ces qualités différoient essentiellement du style et de la manière de Michel-Ange. Toute cette discussion, que nous ne pouvons qu'indiquer à nos lecteurs, est une des plus importantes du livre de M. Quatremère, par la justesse et la solidité des vues, par l'abondance et la nouveauté des notions qui y sont exposées.

La date de l'année 1517, qui vit terminer la quatrième et la dernière des salles du Vatican, celle des douze apôtres, dont il ne reste plus

maintenant, après les dégradations et sur-tout après les restaurations qu'elle a subies, de véritable souvenir que dans les traits du burin de Marc-Antoine; cette date, disons-nous, est aussi celle du célèbre portrait de Léon X, chef-d'œuvre de son auteur dans un genre secondaire, où Raphaël fut encore le premier de tous les peintres. M. Quatremère part de là, pour envisager, dans un article particulier, le talent prodigieux que montra Raphael dans l'art du portrait proprement dit. Il rappelle d'abord les beaux et nombreux portraits semés dans plusieurs de ses premières compositions, la Dispute du Saint-Sacrement, l'École d'Athènes, le Parnasse et l'Héliodore, et il montre comment, à mesure que le talent de Raphaël se développe et s'élève dans ses compositions historiques, sa manière de concevoir et de rendre le portrait offre un accroissement de plus en plus sensible de style et d'idéal. Mais où le talent de Raphaël en ce genre brille dans tout son éclat, c'est dans le portrait de Jules II, et sur-tout dans celui de Léon X, qui fut postérieur de quatre ou cinq ans, et dans lequel la puissance du ton, la magie de la ressemblance, la justesse et la profondeur de l'expression, la vigueur du coloris, le relief des formes, l'exécution précieuse et achevée de tous les accessoires, sont portés à un degré de perfection que l'art ne sauroit sans doute surpasser, et qu'aucun artiste n'a jamais égalé. M. Quatremère rapporte et éclaircit plusieurs anecdotes curieuses au sujet de ce portrait célèbre, qui se trouve aujourd'hui à Florence, et dont une des nombreuses et excellentes copies qui en furent faites, trompa Jules-Romain lui-même, qui la prit pour l'original auquel il avoit travaillé sous Raphaël. Des vingt-sept portraits à l'huile qu'un historien de Raphaël, Comolli, attribue à ce grand homme, et qui étoient ceux des personnages les plus célèbres de son temps, tels que Laurent et Julien de Médicis, Bembo, Jean della Casa, Balthasar Castiglione, Carondelet, Inghirami, Baldo, Bartolo, Bindo Altoviti, Jeanne d'Aragon, M. Quatremère passe à son tour en revue les plus remarquables, en commençant par celui de Jeanne d'Aragon, qui fait aujourd'hui l'un des principaux ornemens du musée royal de Paris, et qui à la plus belle conservation unit le double mérite et d'être de la troisième manière de Raphaël, et d'ètre de sa propre main. Un semblable mérite recommande un autre portrait où, de l'aveu de tous les connoisseurs, Raphaël s'étoit élevé au plus haut point comme coloriste; c'est à savoir le portrait de Bindo Altoviti, qui fut cru long-temps, d'après une mauvaise interprétation du texte de Vasari, le portrait de Raphaël lui-même, et qui, dédaigné de la maison Altoviti de Florence, du moment qu'au lieu d'un portrait de famille,

elle n'y vit plus que l'image de Raphaël, a été récemment acquis, pour la somme de cent soixante inille francs, par le roi de Bavière, moins délicat que les Altoviti.

Nous voilà arrivés, sur les pas de M. Quatremère, à la troisième manière, c'est-à-dire, au plus haut degré du talent et de l'activité de Raphaël. Mais l'espace nous manque pour présenter l'analyse sommaire des travaux qui remplirent le reste d'une vie si courte, et néanmoins si pleine. Nous sommes donc obligés de renvoyer à un troisième article, cette analyse, que nous terminerons, comme M. Quatremère lui-même termine son Histoire de Raphaët, par les importantes considérations qui se rattachent à un sujet si grave et à un génie si élevé. RAOUL-ROCHETTE.

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NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT ROYAL DE FRANCE ET SOCIÉTÉS LITTÉRAIRES.

L'ACADÉMIE royale des beaux-arts a perdu l'un des membres de sa section d'architecture, M. Poyet, dont les funérailles ont eu lieu le 9 décembre. M. Vaudoyer y a prononcé un discours dont voici quelques extraits. « M. Poyet (Bernard), né à Dijon, le 3 mai 1742, contemporain des Peyre et Chalgrin, fit, comme eux, de grands progrès, tant sous la direction de M. de Wailly, leur maître, que pendant son séjour en Italie, comme pensionnaire du Roi. C'est à cette époque que M. Poyet, quoique très-jeune encore, fut chargé, par M. l'ambassadeur de France à Naples, de la direction de fêtes importantes, que cet artiste y exécuta de la manière la plus ingénieuse. De retour en France, M. Poyet, d'un génie actif et laborieux, ne tarda pas à être employé comme il le méritoit. Il fut successivement architecte de la ville, membre de l'académie d'architecture, membre du conseil des bâtimens civils, architecte de S. A. R. M. le duc d'Orléans, de plusieurs ministres, de l'archevêché, de l'université, de la chambre des députés, et enfin membre de l'académie royale des beauxarts de l'Institut.... Nous avons sous les yeux, et nous admirons tous les jours, cette gracieuse fontaine de Jean Goujon, que son génie a su transporter, et si élégamment ajuster, au milieu du marché des Innocens. C'est à son bon goût et à sa persévérance qu'on doit l'assainissement et l'un des plus utiles ornemens de cette ville, la démolition de toutes les maisons construites sur les ponts. Les écuries d'Orléans, bâties par lui, rappellent l'heureuse application qu'il a faite, en ce monument, de la mâle architecture florentine. Mais ce qui met le sceau à la réputation de cet artiste, c'est le superbe frontispice dodécastyle, d'ordre corinthien, qui, à la tête d'un pont, décore (avec toute la richesse et le caractère convenables) la chambre des députés »

Le 10 décembre, l'académie rovale des sciences a assisté aux funérailles de M. Deschamps, l'un de ses membres (section de médecine et chirurgie).

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