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enfin, on n'avait pas limité le temps qu'ils peuvent séjourner dans l'économie, et dans quels organes ou liquides ils se rencontrent spécialement. Ces questions, très-importantes sous le point de vue qui nous occupe, ont été abordées dans ces derniers temps, du moins pour un certain nombre de poisons, et, quoique nou complétement réso– lues, elles jettent cependant un nouveau jour sur la toxicologie. Pour nous en tenir à notre sujet, nous rapporterons seulement les faits relatifs aux poisons.

Les substances gazeuses, les liquides ou solides trèsvolatils, les agents anesthésiques, l'alcool, le camphre, les huiles essentielles, le phosphore, etc., sont spécialement éliminés par les voies pulmonaires, même très-promptement et plus complétement que les autres poisons par toute autre voie. De l'huile phosphorée étant injectée dans la plèvre, dans l'estomac d'un chien, en moins de 2 minutes, l'air expiré devient phosphorescent à l'obscurité; la phosphorescence est immédiate, si l'huile est injectée dans la veine jugulaire. Brandes a constaté la présence de l'argent dans le pancréas d'un épileptique qui, 18 mois avant, avait pris du nitrate d'argent. Le plomb a été aussi démontré dans le sang, les muscles, le cerveau et autres organes des personnes atteintes de maladie saturnine, même longtemps après la cessation des travaux plombiques. Dupaquier, Orfila ont retiré ce métal du tube intestinal des chiens auxquels ils avaient donné 16 jours, 1 mois avant, de l'acétate de plomb par la bouche ou en lavement. MM. Flandin et Danger ont constaté que l'arsenic et autres poisons se localisaient spécialement dans le foie, étaient surtout éliminés par les urines, et que l'élimination, chez un mouton, n'était complète que le trentième jour. M. Orfila n'a plus rencontré ce métal dans les urines après 15 jours. MM. Millon et Laveran ont entrepris des expériences très-importantes sur le séjour et l'élimination du tartre stibié, dont voici le résultat : tous les jours, pendant

une semaine, 3 décigr. d'émétique étant mêlés aux aliments de 6 chiens, ils trouvent de l'antimoine dans le foie, le cœur, la chair musculaire, les membranes intestinales, les poumons, non dans le cerveau, la graisse et les os. Si l'expérience est continuée pendant 1 5 à 25 jours, la distribution de l'antimoine est la même, la quantité ne diminue pas sensiblement; 600 gram. de divers tissus réunis en donnent moins que 100 gram. de foie. 6 autres chiens prennent, par jour, dans leurs aliments, environ 4 décigr. d'émétique; dès les premiers jours vif appétit, allant en augmentant, bientôt la voracité fait place à un dégoût prononcé et, 6 jours après, ils refusent les aliments. L'émétique est diminué de moitié, et, 4 jours après, supprimé, parce que ces animaux n'y touchent plus, sont d'une maigreur extrême. Chacun, en 10 jours, avait consommé environ 3 gram. d'émétique. 4 reprirent peu à peu leur état, 2 moururent dans une consomption complète l'un en 15 jours, l'autre en 21 avec des tremblements continuels et un grand affaiblissement des membres postérieurs. On ne trouve pas de lésion évidente, si ce n'est que le foie est très-friable, très-volumineux, et, en poids, dans le rapport de 1 à 10 ou 12 de celui du corps, tandis que, dans l'état normal, ce rapport est de 1 à 32 ou 40. L'antimoine était disséminé dans tous les organes précités; chez le second chien, le cerveau était celui qui en contenait le plus. Le premier avait succombé à une sorte de diathèse, le second à une espèce d'encéphalopathie antimoniales.

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Les 4 autres chiens se rétablirent au bout de 20 jours, reprirent leur vivacité naturelle; l'un d'eux mourut subitement, par suite d'un lombric passé dans le péritoine, les trois autres furent tués trois mois après. L'antimoine s'était surtout condensé dans le foie, la graisse. 50 gram. de celle-ci en donnait autant que 500 gram. des autres tissus réunis. Le rapport du foie à celui du corps était de 1 à 27,

en poids. Chez un autre chien, tué 4 mois après la cessation de l'émétique, l'antimoine s'était surtout accumulé dans les os. Le foie dont le poids relatif à celui du corps était de 1 à 24, en contenait aussi beaucoup, les autres tissus fort peu. De l'émétique étant donné à une jeune chienne pleine, 5 jours avant qu'elle mit bas, les petits vinrent à terme et leur foie contenait une quantité notable d'antimoine, ainsi que celui de la mère. MM. Millon et Laveran ont .constaté que l'élimination par les urines se faisait d'une manière intermittente, et ont démontré l'antimoine dans le sang des animaux empoisonnés, fait qui a été aussi constaté par M. Orfila pour l'arsenic, sur le sang d'un individu vivant, tandis que MM. Flandin et Danger n'ont pas trouvé ces poisons dans ce liquide.

M. Louis Orfila a entrepris une série d'expériences sur quelques préparations d'argent, de mercure, de cuivre, de plomb, qui viennent corroborer celles de MM. Millon et Laveran. Il donnait ces préparations à des chiens, à la dose de 0,05 à 0,50, pendant 15 jours, un mois et plus, examinait les urines, tuait ensuite les animaux un certain laps de temps après la cessation du poison, pour s'assurer dans quels organes il s'était spécialement condensé, localisé.

1o Avec le nitrate d'argent, donné à la dose de 0,10 à 0,25, tous les jours, pendant 15 jours à 1 mois 1/2, il ne trouve pas d'argent dans les urines et le retire du foie 5 mois après la cessation du poison, mais non après 7. Il ne l'a pas trouvé dans l'estomac, les intestins, la graisse, la peau, les veines, non plus que dans le foie de deux petits allaités par une chienne. Kramer n'a pas non plus retiré l'argent des urines lorsqu'il donnait le nitrate. C'est le contraire, de même que M. Louis Orfila, lorsqu'il donnait le chlorure de ce métal. Cependant nous citons un fait, aux préparations d'argent, où les urines d'un individu, soumis à l'usage du nitrate, contenaient du chlorure.

à

2o Avec le sulfate de cuivre, donné à la dose de 0,12, 0,15, tous les jours, pendant quinze jours, deux mois, il l'a trouvé dans les urines seulement les trois premiers jours, après avoir cessé son administration, et au moins huit mois après dans le foie, l'estomac, l'intestin, le fémur. La peau, la graisse n'en ont pas fourni. M. Chevallier l'a retiré des cheveux des ouvriers en cuivre.

3o Avec l'acétate de plomb, administré pendant un mois, à la dose de 0,50 par jour, il n'a trouvé le plomb dans les urines que trois jours après.Le foie, les intestins, le cerveau, le fémur en donnaient encore après huit mois. L'estomac, les veines, la graisse, l'épiploon, la peau n'en contenaient point à cette époque. Le foie de deux petits, allaités par une chienne, donnait du plomb 3, 4 jours après la cessation de l'acétate, et celui de la mère ainsi que l'estomac soixantedouze jours après.

4o Le sublimé, donné à la dose de 0,01 à 0,50, se trouve dans les urines cinq à six jours après son introduction dans l'estomac, et dans la salive, quand il y a salivation, les premiers jours de la suspension du traitement, non le cinquième. M. Orfila a retiré le mercure du foie, des intestins, des reins; il n'en a pas trouvé dans la graisse, les poumons, les os, quand les organes précédents en contenaient. Il croit que le mercure est éliminé au bout d'un mois et considère les reins comme le principal émonctoire, tandis que d'après Colson ce serait la muqueuse stomacopharyngienne. Nous citons quelques autres faits très-remarquables, ci-après (recherche du mercure absorbé), où le mercure a été trouvé dans le lait.

Ces expériences démontrent que, dans les cas d'empoisonnement lent, successif, les poisons envahissent successivement les organes les plus vasculaires, puis les moins essentiels à la vie; que, au fur et à mesure, ils développent des effets en rapport avec le rôle fonctionnel de l'organe envahi; que leur présence dans les organes, surtout les

moins importants, même dans tous, le foie, etc., n'est pas incompatible avec l'état de santé; que leur élimination se fait d'une manière intermittente, n'est complète qu'après un certain laps de temps, qu'il est impossible de limiter et qui varie selon la nature du poison, son mode d'administration, etc.; qu'enfin l'absence du poison dans l'urine ne prouve pas qu'il soit complétement éliminé. Très-probablement avec les autres poisons de la 4o section qui, comme les sels d'antimoine, de plomb, de cuivre, de mercure, d'argent, forment des composés insolubles avec les principes immédiats du sang, de nos tissus, obtiendrait-on les mêmes résultats, s'ils étaient aussi administrés par doses successives. Au diagnostic nous ferons ressortir l'importance de ces faits sous le point de vue légal.

Quant aux poisons qui n'ont que peu ou pas d'action chimique sur le sang, les tissus, qui ne forment pas avec eux des composés insolubles, leur élimination est plus prompte, plus complète et se fait par presque toutes les voies; c'est du moins ce qui a lieu avec l'iodure de potassium qui, ingéré dans l'estomac, se trouve, en moins de dix minutes, dans les urines, et qui a été constaté aussi dans la salive, le lait, la sueur. Probablement il en serait de même avec tous les sels à base alcaline; cependant M. Bernard n'a pu constater le cyanure jaune dans la salive. Ce sel serait-il décomposé comme le cyanure de mercure en passant à travers les vaisseaux capillaires du poumon, comme l'a constaté le même physiologiste? Kramer après un traitement de cinquante jours par l'iodure de potassium, n'a pu trouver l'iode dans les urines sept jours après la cessation du médicament. Il eût été important d'expérimenter sur les chiens pour s'assurer si l'élimination était complète après ce laps de temps, puisque les poisons peuvent ne pas être constatés dans les urines et se rencontrer encore dans les organes.

Nous verrons ci-après que, même dans les empoisonne

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