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Le lavis fe fait avec un pinceau, que l'on trempe dans de la couleur de fuie de cheminée, appellée bistre, de la fanguine, du bleu d'Inde ou de l'encre de la Chine delayée, & que l'on applique du côté des ombres, en l'adouciffant fur les parties. éclairées.

Il y a des deffeins qui participent de ces trois manieres, d'autres que l'on dit faits aux trois crayons.

On appelle un deffein eftompé celui qui est fait avec un crayon mis en poudre, qu'on applique du côté des ombres avec de petits rouleaux de papier ou de cuir, fans qu'on y découvre aucunes lignes.

Tous les deffeins fe divifent en cinq espéces ; il y a des pensées, des desseins arrêtés, des études, des Académies, & des cartons.

Les penfées font les premieres idées que le peintre jette fur le papier pour l'exécution de l'ouvrage qu'il fe propofe; on les nomme auffi Efquiffes, ou Croquis, parce que la main n'a fait que mettre en maffe, & pour ainfi dire, que croquer les figures, les grouppes, les ordonnances & les autres parties qui les compofent. Ces deffeins (a) heurtés & faits avec beaucoup de vitesse, ne sont souvent pas extrêmement corrects & peuvent manquer pour la perspective, & les autres parties de l'art; mais ce ne font point des défauts dans une efquiffe, dont tout le but est de représenter une pensée exécutée avec beaucoup d'efprit, ou bien des figures détachées & imparfaites qui doivent entrer dans quelque compofition dont elles font partie.

Les deffeins finis font les mêmes pensées plus digérées & plus arrêtées, que l'on appelle par

C

(a) Terme de peinture pour fignifier un deffein qui n'eft touche

de coups que hardis & peu

prononcés.

excellence des desseins rendus, finis, arrêtés, terminés, capitaux: ils donnent une jufte idée de l'ouvrage, & c'eft ordinairement fuivant ces morceaux qui font les derniers faits, que l'on en détermine l'exécution.

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Les Etudes font des parties de figures deffinées d'après nature telles que des têtes, des mains, des pieds, des bras, quelquefois même des figures entiéres, lesquelles entrent dans la composition totale d'un tableau, les draperies, les animaux, les arbres, les plantes, les fleurs, les fruits & les païfages font auffi des études qui y fervent infiniment.

On donne le nom d'académies à des figures faites d'après nature, dans les attitudes convenables à la compofition d'un tableau, pour en avoir exactement le nu & les contours; on drappe ensuite ces figures, de maniere à careffer toujours ce nu & à le faire deviner. Rien ne fait mieux connoître la correction d'un maître que ces fortes de deffeins; ils prouvent en même temps fa capacité dans l'anatomie.

Les cartons font de grands deffeins faits fur du papier gris de la même grandeur que l'ouvrage pour lefquels ils font destinés, & on les calque une pointe fur l'enduit frais d'un plafond, pour le peindre enfuite à frefque; l'on fait auffi des cartons pour des tapisseries.

avec

Les deffeins des grands maîtres étant tout efprit, forment une curiofité des plus piquantes; ils font la meilleure instruction pour un amateur, c'est une source féconde, où il peut puiser toutes les lumiéres qui lui font nécessaires; il converfera, pour ainsi

dire, il s'inftruira avec ces grands hommes, en vifitant un recueil de leurs deffeins, il fe familiarifera avec eux, leurs différentes manieres fe dévoileront à ses regards. Si même ces deffeins (a) font (4) L'auteur rangés chronologiquement & par écoles, ils lui rap-ides defpelleront de fuite l'hiftoire & la vie de ces fameux feins des grands

artistes.

a fait une col

leures de l'Eu

rope; elle est

maîtres de tous les pays, qui En général les deffeins font moins difficiles à con- peut paffer pour noître que les tableaux, le coloris, la perspective, une des meille clair-obscur s'y trouvent rarement. Une intelligence des régles du deffein, une pratique de di- rangée chronoftinguer la touche de chaque maître, fuffit à un logiquement homme qui aime la peinture; le goût naturel, l'in- compofée d'enclination jointe à quelque expérience, feront le

refte.

par écoles,

&

viron neuf mil

le deffeins originaux & choifis, mêlés de morceaux finis,

cademies.

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(b) L'Abbé Dubos, p. 384.

Qu'on ne dise pas que la connoiffance des tableaux & des deffeins eft très-incertaine. Un mo- d'études de derne (b) se trompe quand il avance que l'art de pensées, & d'adeviner l'auteur d'un tableau en reconnoiffant la main du maître, eft le plus fautif de tous les arts. Il rapporte à ce fujet une vieille hiftoire de Jules Romain, qui prit pour l'original de Raphaël une copie qu'a voit fait André del Sarto, du portrait de Leon X. dont Jules Romain lui-même avoit peint les habits.

Si cet auteur avoit eu quelque pratique de la peinture, ou un peu plus de connoiffance de cet art, il auroit fçu qu'un coup de pinceau, qu'une feule touche d'arbres dans un tableau découvre fon auteur, & que le copifte ne met toujours que trop du fien pour fe décéler. Les deffeins font de même, la main se laffe de copier, elle ne peut per

Tom. 2.

févérer long-temps dans la gêne; elle fe permet des traits qui lui font plus familiers, & ce font ces der niers traits qui trahiffent l'imitateur, & font décou vrir la fupercherie.

Enfin la maniere de deffiner d'un peintre fe diftingue comme le caractére de l'écriture, & mieux

que le style d'un auteur. On fçait que les gens de lettres qui ont le tact fin & le goût délicat s'y trompent rarement.

Si les peintres n'avoient point de manieres, il seroit impoffible de les diftinguer les uns des autres ; les manieres fe forment de la différente façon dont l'efprit humain eft capable de concevoir une même chose, qui eft l'imitation de la nature. Les plus habiles peintres ont leur maniere, fans néanmoins être manierés. La maniére s'entend de la façon d'opérer; c'est le faire d'un peintre, c'est son style; au lieu que manieré veut dire ce qui fort de la nature & du vrai, ce qui ne tient que de la pratique, & qui eft un défaut, ainfi avoir une maniere & être manieré font deux chofes très-différentes.

On ne devroit imiter que la nature & l'antique, fans s'attacher à la maniere de perfonne; les grands génies s'en font une qu'ils empruntent de tous côtés & qui ne reffemble à rien; ceux dont le génie eft moins élevé, choififfent parmi les maîtres celui qui eft le plus de leur goût, ils le copient, ils le fuivent pas à pas, fans jamais fortir de fa maniére, ni l'enrichir. Âu refte la nature n'a point de maniere, elle n'a point de touche, tout y paroît d'un fondu & d'un accord parfait.

Il ne faut donc imiter aucun peintre parti

tre XXIV.

culier; quelque habile qu'il foit, il a toujours fes défauts, auxquels l'éléve ou l'imitateur ajoute encore les fiens. Ce ne font pas les ouvrages des hommes que vous avez à représenter, dit (a) Leonard de Vinci, (a) Chapimais ceux de la nature. N'imitez les grands hommes que dans leur façon de penser; ne fuivez point leur maniere de peindre; c'eft le moyen de n'être point manieré; foyez l'original de votre maniere, la nature & l'antique font d'affez bons guides pour ne vous point égarer. Plufieurs (b) peintres fe font laitfés emporter à (6) Jofepin, leur propre génie ; ils n'ont fuivi leur caprice, fans confulter le naturel, & les proportions des figures antiques; les autres fe font contentés d'imiter les habiles gens, qui avoient avant eux examiné ces chef-d'œuvres.

que

Le nombre confidérable de peintres que nous avons eus jufqu'à préfent, difpenfe de connoître toutes leurs manieres, il fuffit de s'attacher aux ouvrages des plus grands maîtres, fans s'arrêter à ceux de quantité d'artistes moins célébres, qui ont travaillé fous eux.

Cangiage, les deux Zucchero,

maîtres énoncés

Quelques maîtres (c) manierés font fi faciles à (c) Voyez ces connoître, qu'on ne peut s'y méprendre, pour peu dans la note qu'on ait de pratique; les maîtres difficiles doivent précedente. être examinés avec plus d'attention; il est rare qu'il ne fe rencontre quelque touche qui vous conduife pas à pas dans la découverte de la vérité.

&

rò ne inveniffe

La peinture eft de ces chofes qui tombent fous (d) Ego porle fentiment; chacun (d) opine felon fon goût, quidem credo yeut juger pour tout le monde. Ce goût, pour eum qui non juêtre bon, doit être nourri des connoiffances nécef

dicauit. Quint. Inf. or. lib. 3.

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