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neaux à roulettes, faits à Auxonne, furent abandonnés parce qu'ils étaient d'un service dangereux sur les bords des précipices; ils furent remplacés par des sapins creusés en étui. Toutes les bouches passèrent ainsi, et, en, peu de jours, l'équipage eut franchi les Alpes. On s'occupa de tout remonter, et l'opinion de l'armée me récompensa de ce succès.» « Toutes ces dispositions, dit Napoléon à son tour, se firent avec tant d'intelligence par les généraux d'artillerie Gassendi et Marmont, que la marche de l'artillerie ne causa aucun retard. >>

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Le coup d'œil de Marmont à Marengo, au moment le plus critique, le feu qu'il dirigea à propos sur la colonne autrichienne, et qui donna comme le signal à la charge soudaine de Kellermann, nous le montrent général d'artillerie consommé, et aussi résolu qu'ingénieux.

Après Marengo, Marmont est placé sous Brune dans la campagne d'hiver sur le Mincio (novembre 1800). Tout en le secondant de ses talents, il juge de près ce général en chef, «< homme médiocre et incapable, » qui refuse une victoire offerte pour ne pas changer son plan, et qui, victorieux, ne sait pas profiter de ses succès. Il le citera toujours ensuite comme un exemple de ces généraux plus heureux qu'habiles, et qui ont eu pour eux la fortune sans la mériter.

« Cette campagne m'avait été favorable, dit Marmont; on reconnaissait mes services, et on me supposait, avec raison, investi de la confiance du Premier Consul. Je passais pour le conseiller du général en chef (Brune). L'expérience de cette campagne m'a fait renoncer pour toujours à ce rôle mixte et bâtard. » Nous retrouvons ici un principe d'indépendance qu'il importe de noter pour la conduite future de Marmont. Il a trop de ressort, trop de fierté naturelle d'intelligence, pour se prêter, même avec d'autres que Brune, à ces rôles à la fois intimes et secondaires.

Le premier commandement en chef de Marmont fut, en mars 1804, au camp d'Utrecht ou de Zeist; c'est là qu'il apprit ce qu'il avait eu jusque-là peu d'occasions personnellement d'étudier et d'appliquer, la science et l'habitude des manoeuvres, de la tactique proprement dite: « Si j'ai eu quelque réputation à cet égard, je la dois à mon long séjour au camp de Zeist, où, pendant plus d'une année, j'ai constamment été occupé à instruire d'excellentes troupes et à m'instruire moi-même, avec cette émulation et cette ferveur que donne un premier commandement en chef dans les belles années de la jeunesse.» Il n'est jamais revenu sans un éclair au front et sans une larme dans le regard au souvenir de ce qu'il appelait ces camps de sa jeunesse, « dont est sortie la plus belle et la meilleure armée qui ait existé dans les temps modernes, et qui, si elle est égalée, ne sera certainement jamais surpassée je veux dire l'armée qui campa deux ans sur les côtes de la Manche et de la mer du Nord, et qui combattit à Ulm et à Austerlitz. » J'aime à multiplier ces citations qui me dispensent d'avoir un avis en de telles matières, et qui ont l'avantage, ce me semble, d'exprimer sensiblement aux yeux de tous le feu, l'éclat, la verve militaire de Marmont.

Cette verve chez lui ne dégénère jamais, comme il arrive trop souvent à de nobles guerriers, en orgueil et en louange excessive de soi-même. J'ai à cet égard un témoignage intime et touchant. Ayant écrit pour l'un de ses ouvrages, et peut-être pour ses Mémoires, quelques pages où il se ressouvenait, avec une sorte de complaisance, de l'influence salutaire qu'il avait exercée sur les troupes soumises à ses ordres, soit en 1804 dans ce commandement de l'armée gallo-batave, soit en 1805 à l'armée de Dalmatie, soit en 1814 à l'armée de Portugal, et bien qu'il terminât sa récapitulation par ces seuls mots : « L'ensemble de ces souvenirs fait la consolation de ma

vieillesse,» il craignit d'en avoir trop dit, il raya les pages, et j'ai sous les yeux les feuillets condamnés avec ces mots en marge de sa main : « Je me décide à supprimer ce dernier paragraphe, qui avait été inspiré par un mouvement d'amour-propre (1). »

Dans la campagne d'Austerlitz, Marmont, après avoir contribué à la prise d'Ulm, reçut ordre de se mettre à·la tête des troupes occupant la Dalmatie; elles étaient composées de ce qu'avait de moins bon l'armée d'Italie. Il les organisa, les exerça, les anima de son zèle. En 1809, elles firent merveille à leur arrivée à Wagram; elles furent signalées comme des troupes d'élite; tenues en réserve et ménagées le jour de la bataille, elles achevèrent la campagne dans la vigoureuse poursuite sur Znaïm, et couronnèrent par une victoire d'avant-garde cette marche << hardie et prudente, » pendant laquelle leur chef les avait guidées, en moins de cinquante jours, du fond de la Dalmatie jusqu'au milieu de la Moravie. Marmont reçut le bâton de maréchal de France à Znaim (juillet 1809); il avait trente-cinq ans.

«

Dès le mois de mars précédent, il avait été élevé à la dignité de duc de Raguse pour récompense de son administration vigilante et créatrice dans cette province inculte de Dalmatie : « Quatre-vingts lieues de belles routes, dit-il, construites dans les localités les plus sauvages, au milieu des plus grandes difficultés naturelles, ont laissé aux habitants des souvenirs honorables et qui ne périront jamais. » Ces travaux étaient exécutés par les troupes, qui, noblement inspirées de la pensée civilisatrice du chef, y mettaient leur orgueil comme à une victoire. Des inscriptions gravées sur les rochers disaient aux

(1) Ces feuillets ont été conservés et m'ont été communiqués, avec beaucoup d'autres indications utiles, par M. le docteur Grimaud de Caux, longtemps établi à Vienne et à Venise, et qui avait voué au maréchal un vif et profond attachement.

voyageurs les noms des régiments et des colonels par qui s'étaient faites ces œuvres de paix. Marmont, dans ses rapports avec les troupes ou avec les populations, a toujours eu ce côté sympathique qui s'adresse au moral de l'homme. En 1810, il fit envoyer en France deux cents jeunes Croates pour y être élevés aux frais du Gouvernement dans les écoles militaires ou dans celles des arts et métiers: il en retrouva plus tard bon nombre encore remplis de reconnaissance, dans les longs voyages de son exil. A Raguse, il y avait une danse à laquelle on avait donné son nom.

Appelé en avril 1814 au commandement de l'armée de Portugal, Marmont entra dès lors dans cette carrière de lutte, de succès chèrement achetés, et de revers, qui occupe les dernières années de l'Empire. En prenant ce commandement des mains de Masséna, il ne se fait aucune illusion sur les difficultés de la tâche et sur la nature des moyens; après quelques considérations sur le pays, théâtre de la guerre, il en vient au moral et au matériel des troupes :

«De la misère, dit-il, de l'indiscipline, du mépris de l'autorité, un mécontentement universel, et un désir immodéré de rentrer en France de la part des généraux; une artillerie détruite en entier, et point de munitions; une cavalerie réduite à peu de chose, et ce peu dans le plus mauvais état; l'infanterie diminuée de près de la moitié: tel était tout à la fois le pays dans lequel je devais agir, et l'instrument dont il m'était donné de me servir. »>

Une dépêche de lui au prince Berthier, à la date du 23 février 1812, expose à nu tout le péril de la situation et la nécessité d'y pourvoir, si on veut prévenir un désastre. Il indique comme première condition de salut le besoin d'établir l'unité de commandement, et de réunir sous une même autorité toutes les troupes et tout le pays depuis Bayonne jusques et y compris Madrid et la Manche. Le colonel Jardet, envoyé par lui à l'Empereur

qui était à la veille de partir pour l'expédition de Russie, eut des audiences sans résultat : « Voilà Marmont, dit l'Empereur, qui se plaint de manquer de beaucoup de choses, de vivres, d'argent, de moyens. Eh bien ! moi, je vais m'enfoncer avec des armées nombreuses au milieu d'un grand pays qui ne produit rien. » Et puis, après une pause et un silence de quelques minutes, il s'écria comme au sortir d'une grande méditation: «Mais comment tout ceci finira-t-il? » Jardet, confondu de cette question, répondit en riant : « Fort bien, je pense, Sire. » Mais en parlant ainsi, Napoléon s'adressait moins à un autre qu'il ne conversait avec ses propres pensées.

Marmont parvint pourtant, à force de soins, à donner à son armée consistance, confiance et ensemble. Quelques-unes des manœuvres qu'il fit en présence de Wellington, les deux armées se côtoyant, s'observant durant des jours, et chacun des adversaires évitant de s'engager à moins de se sentir l'avantage, sont des modèles du genre. Le génie des deux nations et le caractère des deux chefs se dessinaient encore, même dans ces marches méthodiques et prudentes. Marmont, fidèle au génie français, et l'un des plus distingués capitaines de cette école de l'armée d'Italie, penchait encore pour l'offensive et en prenait volontiers l'attitude, même quand son rôle était purement défensif. C'est ce qu'on vit au passage du Duero (16 juillet 1812); le duc de Wellington rendait hommage à cette marche offensive, mais prudente, qu'il ne put prévenir ni contrarier : « L'armée française, disait-il, marchait en ce moment comme un seul régiment. »

Mais, peu de jours après, la fortune tournait, et trahissait l'habileté même. Le 22 juillet, Marmont, comptant que les positions respectives des deux armées amèneraient non une bataille, mais un bon combat d'ar

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