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taillons différents, et par conséquent ne se composant que de débris, et 1,500 chevaux. Il tint constamment la tête de la défense.

Jusqu'à onze heures du matin, le combat se maintient avec une sorte d'équilibre. Vers midi, l'affaire, un moment très-compromise, se rétablit encore. Cependant le roi Joseph donne de Montmartre l'autorisation aux maréchaux d'entrer en pourparlers avec le prince de Schwarzenberg et l'empereur de Russie. Marmont envoie le colonel Fabvier pour dire au roi Joseph que, si les choses ne vont pas plus mal sur le reste de la ligne, rien ne presse encore; il avait l'espérance de pousser la défense jusqu'à la nuit. Le colonel Fabvier ne trouve plus le roi Joseph à Montmartre; le roi, emmenant le ministre de la guerre et tout le cortége du pouvoir, était parti pour Saint-Cloud et Versailles. Cependant, vers trois heures et demie ou quatre heures, l'ennemi, s'apercevant du peu de forces qu'il a en face de lui, déborde et débouche de toutes parts; on va être pris de vive force; c'est le moment de capituler. On envoie des officiers en parlementaires; un seul parvient à pénétrer jusque dans les rangs ennemis. Le maréchal, voulant s'assurer par lui-même, descend dans la grande rue de Belleville :

<< Mais à peine avais-je descendu quelques pas, je reconnus, dit Marmont, la tête d'une colonne russe qui venait d'y arriver. Il n'y avait pas une seconde à perdre pour agir, le moindre délai nous eût été funeste. Je me décidai à prendre à l'instant même un poste de 60 hommes, qui était à portée; sa faiblesse ne pouvait pas être aperçue par l'ennemi dans un pareil défilé. Je chargeai à la tête de cette poignée de soldats avec le général Pelleport et le général Meynadier. Le premier reçut un coup de fusil qui lui traversa la poitrine, dont heureusement il n'est pas mort; et moi j'eus mon cheval blessé et mes habits criblés de balles. La tête de la colonne ennemie fit demitour. >>

Les troupes françaises se replièrent sur le plateau en arrière de Belleville et où se trouvait un moulin à vent.

C'est alors seulement que l'officier envoyé en parlementaire, qui avait franchi les avant-postes ennemis, revint avec un aide-de-camp du prince de Schwarzenberg et un autre de l'empereur Alexandre, et que le feu qui durait depuis douze heures cessa. Il fut convenu que les troupes se retireraient dans les barrières, et que les arrangements seraient pris et arrêtés pour l'évacuation de la capitale.

« Telle est, dit Marmont en terminant cette partie de ses Mémoires, telle est l'analyse et le récit succinct de cette bataille de Paris, objet de si odieuses calomnies, fait d'armes si glorieux, je puis le dire, pour les chefs et pour les soldats. C'était le soixante-septième engagement de mon corps d'armée depuis le 1er janvier, jour de l'ouverture de la campagne, c'est-à-dire dans un espace de quatre-vingt-dix jours, et où les circonstances avaient été telles que j'avais été dans l'obligation de charger moi-même l'épée à la main, trois fois, à la tête d'une faible troupe. »

Pour achever de le peindre dans cette dernière attitude où nous l'avons vu, repoussant la colonne russe à la tête de 60 hommes, qu'on se rappelle que son bras droit était hors de service depuis la bataille d'Arapilès, que sa main gauche avait le pouce et l'index fracassés depuis Leipzig. Tel il était, à pied, car son cheval venait d'être blessé sous lui (le cinquième cheval depuis l'ouverture de la campagne). Il portait dans le combat cette tête haute qu'on lui connaît, la poitrine et le cœur en dehors. Joignez-y sa tenue martiale et ce costume qui lui est particulier, le frac sans broderie, le chapeau à plumes blanches, un pantalon blanc toujours et de fortes bottes à l'écuyère. C'est ainsi que nous le voyons rentrer dans Paris couvert de la poussière et frémissant de l'émotion du combat. Il n'avait à cette époque que quarante ans.

Est-ce là un noble guerrier? Est-ce un traître? et peut-il en trois ou quatre jours le devenir?

Il aurait dû mourir ce jour-là pour sa gloire, disent

des historiens que j'estime, mais qui ne voient que le côté brillant et purement militaire de la destinée; et peut-être bien que lui-même, à certaines heures, ulcéré dans son honneur de soldat, il aura dit comme eux. Et moi, je crois qu'il faut dire, en embrassant toute la condition humaine : « Il est mieux qu'il ait vécu pour montrer ce que peut le malheur, la force des circonstances, une certaine fatalité s'attachant, s'acharnant à plus d'une reprise à une belle vie, un cœur généreux ressentant l'outrage sans en être abattu, sans en être aigri, et finalement une belle intelligence trouvant en elle des ressources pour s'en nourrir et des résultats avec lesquels elle se présente aujourd'hui, en définitive, devant la postérité. »

Lund 12 avril 1852.

LE MARECHAL MARMONT

DUC DE RAGUSE.

(Suite.)

Au sortir du sanglant et glorieux combat du 30 mars, Marmont, rentrant à Paris en son hôtel rue Paradis Poissonnière, vit arriver chez lui, dans la soirée, ce qui restait dans la ville de grands fonctionnaires, les chefs de la garde nationale, les magistrats municipaux, et les personnages marquants de tout genre. Il y reçut l'impression parisienne du moment, qui était très-vive, nonseulement celle de la banque et de la finance, mais celle de la bourgeoisie élevée et de tout ce qui avait le sentiment pacifique et civil. Ce passage de quelques heures à Paris eut la plus grande influence sur sa manière d'agir les jours suivants.

Chacun paraissait d'accord sur la chute de l'Empereur le nom des Bourbons était déjà prononcé par quelques-uns. Celui qui, ce soir-là, en parla le plus énergiquement, était M. Laffitte; il plaidait pour eux et pour les chances favorables d'une Restauration. A quelques objections que Marmont lui adressa: «Eh! monsieur le maréchal, répondit-il, avec des garanties écrites, avec un ordre politique qui fondera nos droits, qu'y a-t-il à redouter? »

Les serviteurs les plus dévoués du régime impérial,

ceux qui plus tard en ont paru les martyrs, n'étaient pas alors des derniers à céder à la force des choses. M. de Lavalette, directeur général des postes, était ce soir-là chez le maréchal : celui-ci, voulant emmener avec lui le plus d'artillerie possible, lui demanda un ordre pour prendre tous les chevaux dont disposait l'administration. M. de Lavalette refusa, de peur de se compromettre.

M. de Talleyrand vint ce soir-là chez le maréchal avec une arrière-pensée. Il demanda à le voir seul; il l'entretint longuement des malheurs publics, et il cherchait jour sensiblement à une ouverture. Le maréchal ne lui en donna pas l'occasion. Il avait peu de goût pour M. de Talleyrand et pour ses manœuvres.

Ce qui n'était pas une manœuvre et une intrigue, c'était le sentiment public alors répandu dans les classes supérieures et aisées de la société, et qui faisait explosion pour la première fois. Marmont, par son esprit, par ses lumières, par cette rapidité d'impressions dont il était susceptible, s'y laissa gagner plus qu'il n'eût convenu à un homme qui n'eût voulu rester que dans sa ligne de soldat. Il sortit de Paris le 31 mars au matin, ayant reçu un choc électrique dans un autre sens que sa religion militaire.

Il avait compris la situation par tous ses côtés Trop comprendre est souvent une difficulté de plus pour agir. Il allait se trouver partagé.

N'ayant en tout ceci d'autre désir que d'être vrai et d'autre rôle que d'exposer fidèlement un caractère auquel le mot de traître ne convient pas, un de ceux auxquels il s'applique le moins, je demande à bien définir la question politique d'alors, telle que nos souvenirs calmés nous la laissent voir à cette distance, et je veux d'abord l'élever à sa juste hauteur.

Il y avait en 1844 deux opinions, deux sentiments en

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