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que-là invisible; la seconde idée, plus simple, qui vint des maréchaux et de Ney en particulier, fut << Mais pourquoi ne venez-vous pas à Paris avec nous? Vous nous y aiderez. » Marmont y consentit avec empressement. Avant de quitter Essonne, il eut soin d'expliquer aux généraux à qui il laissait le commandement, Souham le plus ancien, Compans et Bordesoulle, les motifs de son absence, son prochain retour. Ordre fut donné devant les plénipotentiaires de ne faire aucun mouvement de troupes jusque-là.

Arrivés à Petit-Bourg, où était le quartier général, dans la soirée du 4 avril, pendant que les maréchaux parlementaient, Marmont vit le prince de Schwarzenberg, qui lui dit que ses propositions étaient acceptées; mais Marmont, lui expliquant le nouvel état de choses résultant de l'abdication, demanda à être dégagé; ce qui fut entendu et convenu à l'instant. Arrivés très-tard dans la soirée à Paris, Marmont et les autres maréchaux furent reçus par l'empereur Alexandre, et aucun ne plaida plus vivement que lui pour la Régence et pour les droits du Roi de Rome. Les détails et les anxiétés de cette nuit mémorable du 4 au 5 avril sont dans les histoires. L'empereur Alexandre, hélas! tenait en ses mains la balance de nos destinées et semblait se plaire à prolonger l'incertitude. Au matin, Marmont était chez le maréchal Ney, lorsque le colonel Fabvier, arrivant en toute hâte d'Essonne, lui apprit que, contrairement à ses ordres, les généraux avaient mis les troupes en mouvement vers les lignes ennemies, et qu'une défection était imminente. Marmont dépêche, à la minute, un aide de camp et va partir lui-même pour tout arrêter, lorsqu'un autre officier survient annonçant que le 6o corps doit être, en ce moment, arrivé à Versailles, et qu'il est trop tard. Ce mouvement fatal, exécuté en un si fâcheux moment, avait été provoqué par une sorte

de panique des généraux Souham et autres. L'Empereur avait envoyé dans la soirée du 4 avril plusieurs officiers d'ordonnance à Essonne pour mander Marmont à Fontainebleau, ou en son absence le général commandant à sa place. Craignant que l'Empereur n'eût été informé des négociations précédemment entamées, les généraux avaient pris sur eux de se soustraire à sa colère et d'emmener les troupes à travers les lignes ennemies.

Mais l'on n'était pas au bout de la journée (5 avril). Les troupes, en se voyant ainsi menées hors de leurs voies et contre leur vou, se révoltent; elles crient à la trahison. Marmont qui, dans le premier moment, dès qu'il avait su la démarche irréparable, n'avait songé qu'à conserver les troupes au Gouvernement provisoire, à les maintenir sous le drapeau, et qui accourait pour cela à Versailles, apprend en chemin cette sédition furieuse. Tous les généraux lui conseillent de rétrograder : il n'en fait rien, il envoie aide de camp sur aide de camp pour tâcher de préparer les esprits, et lui-même il rejoint les soldats en désordre à Trappes. Il fait faire cercle d'officiers, il harangue les troupes, il les rallie. A force de présence d'esprit, d'émotion et de cordialité, il ramène à l'ordre ce corps d'armée, qui reprend les armes et le salue d'un dernier cri.

Un grand émoi régnait dans Paris : tout pouvait être grave alors. Aussi, quand, ce soir du 5 avril, Marmont ( revint et qu'il entra chez M. de Talleyrand, il fut fêté, entouré de tous. Bourrienne nous le montre dans le salon, dînant seul à part sur un petit guéridon, et devenu le héros du jour. On exaltait ses services. Il dut croire en avoir rendu un bien réel pour cet acte de vigueur qui avait empêché la dispersion et le sacrifice inutile de braves gens. Généreux comme il était, il pensa qu'il valait mieux tout couvrir, ne pas laisser peser sur

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ses généraux une responsabilité accablante; il voulut absoudre tout le monde au moyen d'une déclaration où il prendrait tout sur lui. La négociation avec le prince de Schwarzenberg, qui n'avait pas été contractée ni conclue, fut censée l'avoir été, et les pièces qui la constataient, mises après coup à la date du 4 avril, furent insérées au Moniteur le 7; le tout pour cacher la confusion et régulariser ce qui n'avait été que l'effet de la peur et du désordre.

Dans toute cette suite rapide de déterminations et d'actes si décisifs, on voit à chaque instant Marmont agir sous l'impression de sentiments vifs et sincères, qu'il ne croit pas avoir besoin de justifier. On l'en louait si fort dans le moment autour de lui, qu'il fut assez longtemps à s'apercevoir que cette flatterie des uns allait donner un redoublement de pâture à la calomnie des autres. Aussi, quand il lui fallut répondre là-dessus et se justifier, il le fit avec étonnement, avec surprise, et tout en mêlant l'indignation à la négligence. Une des pièces les plus positives qu'il eût pu produire et qui est une lettre du général Bordesoulle à lui adressée, par laquelle les généraux s'excusent d'avoir exécuté ce mouvement du 4 au 5 avril qu'on était convenu de suspendre, cette lettre avait été négligée, omise par le maréchal, et ne fut retrouvée au fond d'un tiroir qu'après 1830, par ses amis, occupés alors à le justifier.

Pendant les journées qui suivirent, Marmont était des plus vifs à défendre les intérêts de l'armée, le maintien des couleurs nationales qui représentaient pour lui tout un ordre de sentiments patriotiques et modernes. Pendant qu'on discutait là-dessus, M. de Talleyrand fit si bien, qu'on apprit tout à coup que le vieux maréchal Jourdan, en sa qualité d'ancien républicain, avait pris le premier à Rouen et fait prendre à son corps d'armée la cocarde blanche, ce qui tranchait de fait la question.

A Jourdan on avait fait accroire, pour le décider, que Marmont l'avait déjà prise, et à Marmont on répondait: << Mais que faire? voilà Jourdan qui l'a adoptée déjà. » Et malgré tout, lors de l'entrée à Paris de Monsieur, comte d'Artois, le 12 avril, Marmont fut du petit nombre des officiers qui avaient gardé la cocarde tricolore: ce dont on se souvint toujours, et dont on lui sut peu de gré. Sa position fausse commençait déjà (1).

Je n'ai pas à faire son histoire durant les deux Restaurations, et il me suffit de dessiner sa ligne générale de conduite et d'opinion. En mars 1815, à la nouvelle du débarquement de Napoléon, Louis XVIII envoya un courrier à Châtillon-sur-Seine pour mander à l'instant Marmont, dont l'avis fut de tenir bon à Paris et de résister. De tels conseils étaient trop forts pour ceux qui les demandaient, et Marmont, nommé commandant de toute la maison militaire du roi, dut se borner à diriger la retraite vers la frontière et jusqu'à Gand. Au moment où s'ouvrit la campagne contre la France, le maréchal n'admit pas un seul instant qu'un corps français pût faire partie de l'armée anglaise et associer son drapeau à celui de l'étranger: lui-même il quitta Gand et alla à Aix-la-Chapelle, d'où il partit pour rejoindre le roi à Mons, lors de la seconde rentrée.

Pendant les Cent-Jours, il avait répondu, par un Mémoire justificatif daté de Gand (1er avril), à l'accusation de trahison lancée contre lui par Napoléon dans sa Proclamation du golfe de Juan. Qu'il nous suffise de

(1) M. de Vaulabelle, dans son Histoire, dit que, ce jour de l'entrée du comte d'Artois, tous les maréchaux avaient la cocarde tricolore, et il ne distingue point en cela Marmont. Mais, dans le temps, l'opinion royaliste pure sut très-bien le distinguer, et parce que l'on comptait davantage sur lui, et parce que, dans les discussions qui avaient porté sur ce point, il s'était mis plus en avant qu'un autre pour le maintien des couleurs nationales.

dire que lorsqu'un des officiers longtemps attaché au maréchal, le colonel Fabvier, se plaignit vivement de cette qualification dans une note écrite qui fut mise sous les yeux de Napoléon, l'Empereur répondit alors au général Drouot qui s'en était chargé : « Calmez Fabvier; ce que j'ai dit, j'ai dû le dire dans l'intérêt de ma politique. Je sais comment les choses se sont passées. Marmont s'est trouvé en face d'événements plus forts que les hommes; tout s'arrangera; il nous reviendra avant peu. »

Dans tout ce que je dis ici sur Napoléon, je sens combien la lutte est inégale entre lui et Marmont, et je ne prétends nullement l'établir: mais j'aime à recueillir les bonnes paroles, celles qui tendaient à réparer. Marmont, aux heures habituelles, aimait à résumer ainsi le sens de toute sa conduite avec Napoléon : « Tant qu'il a dit: Tout pour la France, je l'ai servi avec enthousiasme; quand il a dit: La France et moi, je l'ai servi avec zèle; quand il a dit: Moi et la France, je l'ai servi avec dévouement. Il n'y a que quand il a dit: Moi sans la France, que je me suis détaché de lui. » Je rappellerai plus tard des paroles de lui sur Napoléon plus émues et plus semblables aux impressions de sa jeu

nesse.

A la seconde Restauration, les compagnies des Gardes du corps ayant été réduites à quatre au lieu de six, Marmont cesse d'être capitaine des Gardes (ce qu'il avait été en 1814) et devient l'un des quatre majors généraux de la Garde royale, faisant service chacun par quatre mois. C'est par suite de ce roulement de service que les événements de Juillet 1830 retomberont sur lui un jour.

Sa conduite pleine de cœur en 1815, après la condamnation de Lavalette, mérite un souvenir. On lui demanda s'il voulait tenter quelque chose pour le sauver: «Tout ce qu'on voudra et tout ce que je pourrai,

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