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nesse et cet éclat d'émotion, qui n'abandonna son cœur qu'avec la vie.

Il fut décidé par la famille, son père enfin y consentant, que le jeune homme étudierait pour entrer dans l'artillerie. Les études de Marmont furent assez bonnes; le latin était faible, mais les mathématiques excellentes. Il n'apprit pas les langues vivantes, et il le regrette. Il avait un goût prononcé pour l'histoire : celle de Charles XII par Voltaire le transporta. Pendant un temps, il fut saisi d'une admiration sans bornes pour le héros de Bender; il s'attachait à le copier en tout. A treize ans, on l'eût vu, monté sur son petit cheval, avec l'habit, les bottes, l'épée et le baudrier historiques, jouer Charles XII de pied en cap. Les épreuves plus sérieuses arrivèrent. Il fut envoyé à Dijon pour y achever les études nécessaires à son admission dans l'École d'artillerie. C'est là qu'il vit pour la première fois Bonaparte, alors en garnison à Auxonne. Cette connaissance première se renoua plus étroite à Toulon.

Il alla, conduit par son père, passer à Metz son examen sous La Place, dont la mine triste, froide et sévère lui imposa tant au premier abord, qu'il resta court, sans pouvoir dire son nom. Puis, se remettant à une parole encourageante du grand géomètre, il passa un bon examen, et fut reçu en même temps que Foy et Duroc. Il était élève sous-lieutenant d'artillerie à dix-sept ans.

La Révolution marchait déjà. L'École d'artillerie de Châlons était partagée : quelques élèves, parmi lesquels Duroc, avaient jugé convenable d'émigrer. Un petit nombre se rangeaient parmi les patriotes exagérés. Marmont suivit la ligne moyenne. Un violent amour qui le saisit durant ce séjour à Châlons, et qui avait pour objet une jeune dame de la ville, vint mêler ses orages à tous ceux qui fermentaient déjà dans son cœur. On le voit dès lors ce qu'il sera de tout temps avec les femmes, galant,

dévoué, chevaleresque, capable d'entraînement. Il pensait jusqu'en ses dernières années qu'un homme, pour rester tout à fait comme il faut, doit passer, chaque jour, quelques heures d'entretien avec les femmes: cela maintient l'esprit et la délicatesse.

En février 1793, lieutenant en premier dans une compagnie d'artillerie qui n'avait pas de capitaine, il préluda par une espèce de commandement. Envoyé à l'armée des Alpes, il fit partie du camp de Tournoux, qui fermait la vallée de l'Arche. Les généraux le distinguerent; il eut son premier combat à Maison-Méane; il y entendit pour la première fois le sifflement des balles et des boulets, qui lui parut des plus agréables : « J'avais une impétuosité et une ardeur extrêmes, dont l'effet me portait à vouloir toujours avancer. »

Envoyé au siége de Toulon, il y retrouve Bonaparte, qui l'emploie et le garde avec lui. Ici, les récits de Marmont dans ses Mémoires prennent un intérêt puissant, et une grande part s'en réfléchit sur l'homme extraordinaire dont il fut le compagnon, le lieutenant, et que nul n'a mieux connu que lui. Marmont n'est pas seulement un homme de guerre, c'est un homme d'esprit qui juge, qui a des aperçus supérieurs, et qui, en toute matière, pénètre à la philosophie et à la moralité de son sujet. Veut-on savoir, par exemple, comment il apprécie tout d'abord le politique en Bonaparte, lorsque, lié au siége de Toulon et depuis avec les révolutionnaires ardents, Robespierre jeune et autres, plus terribles pourtant de nom que de fait, le futur César les domine déjà et songe à se servir d'eux pour les chances possibles :

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Éloigné par caractère de tous les excès, dit Marmont de Bonaparte, il avait pris les couleurs de la Révolution, sans aucun goût,. mais uniquement par calcul et par ambition. Son instinct supérieur lui faisait dès ce moment entrevoir les combinaisons qui pourraient lui ouvrir le chemin de la fortune et du pouvoir. Son esprit naturel

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lement profond avait déjà acquis une grande maturité, plus que son âge ne semblait le comporter. Il avait fait une grande étude du cœur humain cette science est d'ailleurs pour ainsi dire l'apanage des peuples à demi barbares, où les familles sont dans un état constant de guerre entre elles, et, à ces titres, tous les Corses la possèdent. Le besoin de conservation éprouvé dès l'enfance développe dans l'homme un génie particulier. Un Français, un Allemand et un Anglais seront toujours très-inférieurs sous ce rapport, toutes choses égales d'ailleurs en facultés, à un Corse, un Albanais ou un Grec; et il est bien permis de faire entrer encore en ligne de compte l'imagination, l'esprit vif et la finesse innée qui appartiennent comme de droit aux méridionaux, que j'appellerai les enfants du soleil. Ce principe, qui féconde tout et met tout en mouvement dans la nature, donne aux hommes venus sous son influence particulière un cachet que rien ne peut effacer. >>

Marmont, à ce moment, est lié à toutes les vicissitudes de la fortune naissante de Bonaparte. Quand celui-ci est arraché à l'armée des Alpes et se voit à regret nommé au commandement de l'artillerie dans l'armée de l'Ouest, il emmène avec lui Junot et Marmont : « Quoique je ne fusse retenu auprès de lui qu'extraordinairement sur sa demande, dit Marmont, il me proposa de le suivre, et je me décidai à l'accompagner sans autre ordre que le sien. » En passant par la Bourgogne, Bonaparte s'arrête dans la famille de Marmont. Ce retard de quatre jours semble lui avoir été funeste. Arrivé à Paris, il se trouve rayé de son commandement dans l'Ouest et sans fonctions. Les voilà donc tous trois sur le pavé de Paris, <<< moi, sans autorisation régulière, dit Marmont, Junot attaché comme aide de camp à un général qu'on ne voulait pas reconnaître, et Bonaparte, sans emploi, logés tous trois Hôtel de la Liberté, rue des Fossés-Montmartre, passant la vie au Palais-Royal et au théâtre, sans argent et sans avenir. » C'est à cette époque que Bourrienne, qui avait connu Bonaparte à l'école de Brienne, essaya de profiter de ces heures de mécontentement et d'humeur pour l'associer à ses projets et à ses entreprises.

Marmont, qui avait gardé tout son feu, et qui ne perdait pas un commandement en chef, demanda à être employé au siége de Mayence : c'était une grande école pour un officier d'artillerie. « Comme ma ferveur, dit-il, contrastait avec le dégoût du jour, on me donna des lettres de service. J'aimais déjà la magnificence; j'achetai une jolie chaise de poste, un bel équipage de cheval, de très-bonnes cartes... » On aura remarqué ce trait de caractère : J'aimais déjà la magnificence. C'était de tout temps un des faibles du maréchal que cette disposition aux largesses et à la libéralité. Dans le beau portrait qu'il a tracé d'un général qui remplit toutes les conditions du commandement, il n'oublie pas celle-ci : « Un général doit être aussi magnifique que sa fortune le lui permet. »

Ce n'est pas mon fait ici de suivre pas à pas Marmont dans tous les degrés de sa carrière. Bonaparte le retrouve et le rappelle à lui dès qu'il rentre en scène. Marmont est son aide de camp au début de la première campagne d'Italie. Chef de bataillon à Lodi, il mérite par sa conduite un sabre d'honneur décerné par le Directoire, avec cette inscription sur la lame : « Pour vaincre les tyrans. » Il se trouve à toutes ces actions immortelles dont l'ensemble compose le chef-d'œuvre le plus accompli qu'ait jamais produit l'art de la guerre. Il y prend part de son bras; il en jouit aussi avec l'intelligence d'un guerrier qui entre dans les calculs du chef et qui comprend avec enthousiasme ce genre d'idéal : une géométrie sublime et vaste qui ne se réalise à chaque instant que par l'héroïsme.

Le caractère de Marmont dans toute cette première partie de sa carrière, où il ne commande pas en chef, est une valeur intelligente et un feu que le coup d'œil dirige. Dans l'expédition d'Égypte, à Malte, au passage, il est le premier à se signaler; il repousse la sortie des assiégés, s'empare du drapeau des chevaliers de l'Ordre.

Il est fait général de brigade pour ce fait d'armes à vingtquatre ans (11 juin 1798), et Napoléon, plus tard, placera dans ses armes le drapeau de Malte comme trophée.

Revenu d'Égypte en France avec Bonaparte, Marmont, après le 18 brumaire, devint conseiller d'État pour la section de la guerre et présida à une nouvelle organisation de l'artillerie. Il en rendit militaires les trains qui, auparavant, étaient abandonnés à des espèces de valets ou charretiers sans discipline et destitués du mobile de l'honneur. Dans les années qui suivirent, il réforma les différentes parties de cette arme, il simplifia les calibres de campagne, rendit le matériel léger, d'un facile transport, et établit le système qui a fait le tour de l'Europe pendant toutes les guerres de l'Empire. Ce fut proprement son ouvrage. Il n'est pas besoin d'être spécial pour distinguer la nature du talent de Marmont dans les par ties savantes de la guerre ou de l'administration militaire. Il est plein d'idées, fertile en ressources, en inventions, ennemi de la pédanterie, de la routine, accessible aux nouveautés et porté plutôt à devancer l'avenir qu'à le retarder et à le nier. Général en chef de l'armée de Portugal, c'est lui qui, en 1842, introduira parmi ses troupes l'usage des moulins portatifs qui permettent au soldat de faire lui-même sa farine et son pain, moyen le plus sûr pour qu'il n'en manque jamais. Ces moulins portatifs ont depuis été employés très-utilement, m'assure-t-on, en Algérie. Ainsi, en toutes choses, on retrouve en lui le militaire inventif, l'administrateur à idées ingénieuses et promptes, un digne membre de l'Académie des Sciences.

Au passage du Saint-Bernard, dans la campagne de Marengo, il fit le miracle, qu'on croyait impossible, de transporter l'artillerie pendant cinq lieues de chemins impraticables aux voitures: « Je fis démonter toute l'artillerie, dit-il; on porta à bras tous les affûts; des traî

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