Images de page
PDF
ePub

1

EXAMEN DU PYRRHONISME ancien & moderne: par M. de Croufaz, de l'Académie Royale des Sciences, Gouverneur de fon Alteffe Sereniffime le Prince Frederic de Heffe-Caffel, & Confeiller d'Ambaffade de S. M. le Roi de Suede & Landgrave de Heffe-Caffel. A la Haye, chez Pierre de Hondt. 1733. in fol.

[ocr errors]

ESTIME que plufieurs perfonnes font paroître pour les Ouvrages de M. Bayle, ayant donné lieu à notre Auteur de croire que le nombre des Pyrroniens s'augmentoit tous les jours, il a cru qu'il ne pouvoit rendre un plus grand fervice au public, que de combattre un Syftême fi dangereux, foit par rapport à la Religion, foit par rapport à la Societé. Ce n'eft point qu'il fe flatte de ramener ceux qui ont refolu de douter de tout, & de s'étourdir fur la Religion & fur la Morale, mais il ef 2 M iij

pere que fon Ouvrage fervira à faire entendre la voix de la raifon,à ceux qui fe trouvent éblouis, embarraffés & troublés par des raifonnemens fubtils & captieux, mais qui ne fe font point encore obítinés à fermer les yeux pour ne point voir la lumiere qui les éclaire.

L'Ouvrage eft divifé en trois Parties, dont la premiere peut être regardée en quelque maniere comme les Préliminaires des deux autres. M. Croufaz y examine d'abord ce que c'eft qu'un Pyrronien, & il refulte de fes reflexions, comprises en 17 articles, que le Pyrronien eft un homme, qui dès qu'on commence à s'entretenir fur quelque chofe, prend toûjours un parti oppofé à celui des autres, qui per. dant de vûë tout deffein de s'éclaircir ne penfe qu'à entaffer difficulté fur difficulté, à fuir la lumiere, à fe dérober aux plus fortes preuves, qui fait confifter fon plaifir & fa gloire à ne fe point rendre. C'eft fur-tout quand on lui parle de Re

ligion & de Morale que l'efprit de doute & de contradiction le faifit. Il ne peut fouffrir ce qui va à le gê

& fa marotte eft de vivre dans l'indépendance au moins interieurement. Lorfque quelque chofe lui convient il oublie fa maniere de philofopher, il parle, il agit com me les autres hommes, mais tout ce qui l'importune lui paroît pour le moins douteux & de peur qu'on ne le force à fortir de fes doutes, il eft fur fes gardes, & pour ne convenir de rien il eft toûjours prêt de combattre les pro pofitions les plus claires & les plus

conftantes.

[ocr errors]

Le goût pour la difpute qu'on prend dans les Ecoles, la mauvaise méthode qu'on y fuit pour enfei gner, les conteftations qui regnent entre ceux qu'on honore du titre de Sçavans, la légèreté d'efprit & le goût pour la diffipation, qui empêchent qu'on ne s'applique férieufement à des fujets difficiles & importuns, l'impatience & l'em2 M iiij

preffement exceffif d'apprendre 'indolence fur les interêts du genre humain, accompagnée d'envie & de vanité, & fur-tout l'éloignement du cœur humain pour la Religion, font fuivant notre Auteur, les caufes les plus ordinaires du Pyrronifme.

Dans la Section troifiéme, M. Croufaz propofe differens moyens pour fe prémunir contre le Pyrronifme. Le premier & celui dont tous les autres dépendent est l'amour de la vérité. Quand on en est bien pénétré, on ne néglige rien pour la découvrir & pour fuir l'erreur, ou pour fortir de l'état d'incertitude fur des fujets importans. L'amour de la vérité accoûtume à la circonfpection, & il dégage de l'impatience, il donne de l'averfion pour l'humeur contredifante, du dégoût pour la difpute, il détermine à profiter des avis & des lumieres d'autrui avec prudence & avec circonfpection; lorfqu'on aime la vérité on facrifie toute ambi

tion à l'envie de la connoître, on ne fe précipite point à bâtir des Syftêmes, on n'embraffe & on ne rejette aucun fentiment par efprit de parti, on examine les principes dont conviennent ceux qui paroiffent les plus animés dans la difpute; on s'applique à établir diftinctement l'état de la question & à la fuivre exactement jufqu'à ce qu'on foit parvenu à l'avoir affez éclaircie pour prendre fon parti avec une plaine connoiffance. L'Auteur fouhaiteroit fur-tout pour prévenir le Pyrronifme qu'on infpirât aux enfans cet amour pour la vérité qu'on leur apprît à la découvrir par eux-mêmes; par-là on éviteroit ce qui n'arrive que trop fouvent, que de jeunes gens qui n'ont plus de Maîtres, découvrans des raifons qui leur paroiffent détruire ce que leurs Maîtres leur ont enfeigné, & ne pouvant d'un autre côté se déterminer à rejetter abfolument les préjugez qu'on leur a fait prendre, tombent dans le Pyrronifme.

« PrécédentContinuer »