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MM. Sébastiani et Laffitte pouvaient aussi renseigner utilement M. le duc d'Orléans sur les tendances de la Chambre, sur les dispositions de la population parisienne, sur la portée véritable de cette révolution faite en trois jours et dont la forme n'offrait d'analogie avec aucune de celles qui l'avaient précédée dans notre histoire. La nuit presque tout entière s'écoula de la sorte, et ce ne fut que très-tard que le prince, harrassé de fatigue, consentit à se séparer de ses hôtes après avoir réglé, jusque dans les détails, la manière dont serait reçue le lendemain la députation de la Chambre.

C'était à neuf heures du matin que cette réception devait avoir lieu; vers six heures et demie, M. de Mortemart, mandé par le duc d'Orléans et introduit par M. Houdard son secrétaire, dans un petit appartement écarté que les balles n'avaient pas respecté, trouvait Louis-Philippe étendu par terre, sur le matelas où il avait passé quelques heures de la nuit; le prince était accablé de chaleur et de fatigue; il se souleva à demi en voyant entrer le duc de Mortemart, et lui dit avec une grande vivacité, comme s'il voulait excuser sa présence à Paris : « Si vous voyez le roi avant moi, expliquez-lui que je ne suis pas venu ici de mon plein gré; hier soir on s'est présenté à Neuilly; on a déclaré à la duchesse qu'elle allait être conduite à

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Paris avec tous ses enfants et gardée en otage jusqu'à ce que je reparusse. La duchesse très-effrayée m'a écrit aussitôt une lettre pressante et je n'ai pas hésité; je suis revenu ici dans la nuit. Mais dites bien au roi que je me ferai tuer plutôt que d'accepter la couronne s'ils me l'offraient. » En ce moment des cris de « Vive le duc d'Orléans ! » retentirent dans la cour. « Vous entendez, Monseigneur? interrompit le duc de Mortemart. Non! dit le prince avec une énergie fébrile; non! je n'accepterai point la couronne; dites-le bien au roi.» Et, sous l'empire de cette idée, il écrivit rapidement à Charles X une lettre que le duc de Mortemart cacha et emporta aussitôt, en se retirant, reconduit par le secrétaire, à travers les détours du palais dévasté. Voilà les faits authentiques. Louis-Philippe d'Orléans était-il de bonne foi en tenant un pareil langage? L'historien doit le croire; avec une fermeté apparente, ce prince, on ne l'a pas assez compris, était d'une faiblesse et d'une indécision extrêmes lorsque son propre sentiment ne se trouvait point étayé par l'avis nettement formulé de son entourage intime. Tel il s'était montré à son avénement, tel on l'a vu le jour de sa chute. Il se peut d'ailleurs qu'il crût encore plus facile de jouer le rôle de lieutenant général du royaume que celui de roi. La virile correspondance de sa sœur, les conseils de M. de Tal

leyrand déterminèrent et fixèrent son ambition. A l'heure indiquée la députation de la Chambre montait les degrés où campaient les bandes portant le double stigmate de la misère et du combat. Le général Sébastiani la précéda de quelques instants dans l'appartement du prince, qui parut bientôt. Il était fort ému; M. Laffitte, non moins ému lui-même, exposa brièvement dans un discours écrit l'objet de la solennelle démarche que faisait auprès du prince la députation envoyée par la Chambre et dont il se rendait l'organe. Lorsqu'il eut terminé, le duc d'Orléans lui dit vivement : « Donnez-moi votre discours, je vous prie; ce sera la plus belle pièce de mes archives. » Puis, cherchant à répondre aux sentiments qui venaient de lui être exprimés, et après avoir parlé au point de vue historique des difficiles fonctions qu'on lui offrait, fonctions qui lui permettraient, avec le concours des Chambres, de combattre l'anarchie, il ajouta : « Je suis on ne peut plus touché du haut témoignage d'estime et de confiance que vous venez de m'accorder, tout en déplorant les circonstances douloureuses auxquelles je le dois. »

Il releva, du reste, avec une véritable dignité, quelques expressions insultantes pour le roi Charles X, qu'après l'échange des paroles officielles et dans l'entretien familier qui suivit, plu

sieurs députés, grossièrement courtisans, avaient maladroitement laissé entendre. Le prince de la maison de Bourbon apparaissait déjà derrière le combattant de Jemmapes. Mais c'était ou trop tôt ou trop tard.

Revenue au palais Bourbon, la commission de la Chambre fit connaître l'acceptation définitive de M. le duc d'Orléans; les députés chargèrent aussitôt MM. Guizot, Benjamin Constant, Villemain et Bérard de rédiger une proclamation adressée au peuple de Paris; elle était ainsi conçue :

Français, la France est libre. Le pouvoir absolu levait son drapeau; l'héroïque population de Paris l'a abattu. Paris attaqué a fait triompher par les armes la cause sacrée qui venait de triompher en vain dans les élections. Un pouvoir usurpateur de nos droits, perturbateur de notre repos, menaçait à la fois la liberté et l'ordre; nous rentrons en possession de l'ordre et de la liberté.

<«< Plus de crainte pour les droits acquis, plus de barrière entre nous et les droits qui nous manquent encore. Le duc d'Orléans est dévoué à la cause nationale et constitutionnelle; il en a toujours défendu les intérêts et professé les principes. Il respectera nos droits, car il tiendra de nous les siens. Nous nous assurerons par des lois toutes les garanties nécessaires pour rendre la liberté forte et durable.

« Le rétablissement de la garde nationale, avec l'intervention des gardes nationaux dans le choix des officiers;

« L'intervention des citoyens dans la formation des administrations départementales et municipales;

« Le jury pour les délits de presse;

« La responsabilité légalement organisée des ministres et des agents secondaires de l'administration;

« L'état des militaires légalement assuré;

« La réélection des députés promus à des fonctions publiques.

« Nous donnerons enfin à nos institutions, de concert avec le chef de l'État, les développements dont elles ont besoin.

« Français ! le duc d'Orléans lui-même a déjà parlé, et son langage est celui qui convient à un pays libre « Les Chambres vont se réunir; elles aviseront aux moyens d'assurer le règne des droits de la nation. La Charte sera désormais une vérité.»

IV

Mais en présence de cette autorité quasi souveraine, quasi légale, que venait de créer la fraction

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