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compléter le tableau de son passé, prévoir ce que lui réservait cette révolution qui allait le faire roi, il eût assurément reculé devant l'œuvre pénible, périlleuse, inutile à la gloire de sa race, qui lui était ainsi préparée ! Quelle existence que celle de ce prince, et comment, en effet, n'être pas fatigué de tant d'émotions et de labeurs !

D'abord, après avoir, sous les ombrages du Raincy, étudié à la Jean-Jacques entre sa sœur et Mme de Genlis, s'essayant à parler, dans les clubs, le langage des révolutions; plus tard, au milieu de la fumée de Valmy, tenant glorieusement à la main ce même drapeau qu'il venait d'agiter au balcon de l'Hôtel de Ville; puis exilé, fuyant un sol ensanglanté, supportant noblement de longues infortunes; professeur à Reichenau et demandant le pain quotidien aux ressources de son propre esprit; modeste voyageur en Suède et en Norvége; prince à Palerme et y trouvant une sainte compagne puis combattant les armes déjà défaillantes du grand homme dont, par une singulière destinée, il devait amener les cendres au bord de la Seine; reprenant enfin en 1815 son rang et sa place auprès d'un trône que son devoir lui ordonnait de soutenir, et dont une inexorable fatalité lui faisait ainsi précipiter la ruine.

Certes s'il avait pu apercevoir à l'horizon de sa vie cette matinée du 24 février si fatale à lui et aux

siens, cette chute sans dignité, sans grandeur, devant une émeute stupidement triomphante, il se fût détourné avec horreur et dégoût de la voie dans laquelle il s'était un instant laissé entraîner, et, remontant le chemin déjà parcouru, il eût imposé aux hommes qui l'entouraient la royauté mineure de Henri V comme sa volonté dès lors immuable. Effrayés des menaces d'une république, même passagère, ces hommes auraient cédé, et la possibilité d'un tel résultat ne saurait être contestable malgré les assertions contraires des partis; sans doute il eût fallu, pour le réaliser, faire une nécessité absolue de cette royauté de Henri V unie à la régence du duc d'Orléans; mais si, en dehors de la personne de Louis-Philippe, les hommes de Juillet eussent été appelés à faire un choix, la république était évidemment trop près et le duc de Reichstadt trop loin.

Cependant la royauté des barricades venait en quelque sorte de recevoir la consécration populaire : « C'est la meilleure des républiques,» avait dit M. de Lafayette, et ce mot que l'histoire a dû conserver semblait pour le moment résumer, du côté des masses, la situation tout entière. Mais il fallait aussi constater l'assentiment et le concours de la bourgeoisie, et c'est au petit noyau de députés qui représentait alors la Chambre que l'on allait s'adresser pour arriver à ce résultat.

Le 3 août, jour fixé par l'ordonnance de convocation que le roi Charles X avait signée, le duc d'Orléans suivi du duc de Nemours, son second fils, se rendit au palais Bourbon où les pairs de France venaient, par une innovation de cérémonial assez significative, d'être invités à se rendre eux-mêmes. Un pliant avait été placé devant le trône. Le prince s'y assit au milieu des vivats et des applaudissements, puis avec une émotion contenue il lut le discours suivant, dont les termes indiquaient suffisamment tout l'espace qui séparait déjà le 29 juillet du 3 août 1830:

« Messieurs les pairs et Messieurs les députés, Paris troublé dans son repos par une déplorable violation de la Charte et des lois, les défendait avec un courage héroïque. Au milieu de cette lutte sanglante, aucune des garanties de l'ordre social ne subsistait plus. Les personnes, les propriétés, les droits, tout ce qui est précieux et cher à des hommes et à des citoyens, courait les plus graves dangers; dans cette absence de tout pouvoir public, le vœu de mes concitoyens s'est tourné vers moi. Ils m'ont jugé digne de concourir avec eux au salut de la patrie, ils m'ont invité à exercer les fonctions de lieutenant général du royaume. Leur cause m'a paru juste, le péril immense, la nécessité impérieuse, mon devoir sacré. Je suis accouru au milieu de ce vaillant peuple, suivi de ma famille, et por

tant ces couleurs qui, pour la seconde fois, ont marqué parmi nous le triomphe de la liberté.

« Je suis accouru, fermement résolu à me dévouer à tout ce que les circonstances exigeraient de moi dans la situation où elles m'ont placé pour rétablir l'empire des lois, sauver la liberté menacée, et rendre impossible le retour de si grands maux, en assurant à jamais le pouvoir de cette Charte dont le nom, invoqué pendant le combat, l'était encore après la victoire. C'est dans ces sentiments, Messieurs, que je viens ouvrir cette session. Le passé m'est douloureux; je déplore des infortunes que j'aurais voulu prévenir; mais au milieu de ce magnanime élan de la capitale et de toutes les cités françaises, à l'aspect de l'ordre renaissant avec une merveilleuse promptitude, après une résistance pure de tout excès, un juste orgueil national émeut mon cœur, et j'entrevois avec confiance l'avenir de la patrie. Oui, Messieurs, elle sera heureuse et libre cette France qui nous est si chère; elle montrera à l'Europe que, uniquement occupée de sa prospérité intérieure, elle chérit la paix aussi bien que les libertés, et ne veut que le bonheur et le repos de ses voisins.

« Le respect de tous les droits, le soin de tous les intérêts, la bonne foi dans le gouvernement, sont le meilleur moyen de désarmer les partis et de ramener dans les esprits cette confiance dans les

institutions, cette stabilité, seuls gages assurés du bonheur des peuples et de la force des États. Messieurs les pairs et Messieurs les députés, aussitôt que les Chambres seront constituées, je ferai porter à votre connaissance l'acte d'abdication de S. M. le roi Charles X; par ce même acte S. A. R. LouisAntoine de France, Dauphin, renonce également à ses droits. Cet acte a été remis entre mes mains hier 2 août à onze heures du soir. >>

Ce langage sans ambiguïté prouvait à tous que rien dans la pensée du lieutenant général ne faisait plus obstacle à de plus hautes destinées; évidemment le trône vacant pouvait lui être offert désormais sans qu'un refus, sans qu'une hésitation fussent à craindre. Les exaltés de la Chambre remarquèrent avec déplaisir cette mention solennelle des actes d'abdication de Charles X et du Dauphin. A quoi bon un pareil dépôt? La révolution de Juillet avait-elle besoin d'une ratification royale? pourquoi ces allures d'un ancien régime répudié et vaincu ?

Les politiques ne pensaient pas de même, et, du reste, le duc d'Orléans avait dit à propos du message confié aux soins fidèles du général LatourFoissac chargé par Charles X de se rendre de Rambouillet à Paris pour lui remettre les abdications, qu'il les communiquerait au corps diplomatique et qu'il les ferait déposer ensuite aux deux Cham

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