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concernant l'occupation et la possession du littoral d'Alger; mais M. de Polignac, demeurant dans des termes évasifs, se borna à informer le cabinet de Londres qu'il rédigerait un mémoire dans lequel le but de l'entreprise serait clairement exprimé. Cependant, le 3 mai 1830, le comte d'Aberdeen écrivait à lord Stuart « ..... Si les projets du gouvernement français sont aussi purs que le prétend M. de Polignac, rien ne s'oppose, ce nous semble, à ce qu'il nous donne sur ce point une satisfaction complète. Il suffirait, pour cela, d'une déclaration courte et précise; ce moyen me semblerait plus convenable, et surtout plus loyal que le solennel manifeste que le prince de Polignac vous a déclaré être dans l'intention de publier d'après le désir de Sa Majesté Très-Chrétienne. Dans le cas où de premières explications n'auraient pas encore été envoyées à l'ambassadeur français à Londres, Votre Excellence devra tâcher de voir, sans délai, M. de Polignac, pour lui représenter les dangers d'un plus long silence. Après ce qui s'est passé, le ministre français ne doit pas s'étonner que nous nous laissions aller à des soupçons, et il doit craindre la responsabilité que les conséquences d'un pareil état de choses pourraient attirer sur lui. » Et la dépêche suivante du prince de Polignac à M. de Laval répondait en ces termes à celle de lord Aberdeen: « Le roi, ne bornant plus ses des

seins à obtenir la réparation des griefs particuliers de la France, a résolu de faire tourner au profit de la chrétienté tout entière l'expédition dont il ordonnait les préparatifs, et il a adopté pour but et pour prix de ses efforts la destruction définitive de la piraterie, l'abolition absolue de l'esclavage des chrétiens, l'abolition du tribut que les puissances chrétiennes paient à la régence. »

Peu satisfait de cette déclaration, le cabinet anglais crut devoir réclamer de la France des explications nouvelles; il usa même, en cette circonstance, de formes acerbes qui laissaient deviner son irritation; mais l'attitude des ministres français ne cessa pas d'être calme et digne. En vain, et comme moyen probable de succès, lord Stuart essaya-t-il des voies d'intimidation; il ne réussit qu'à provoquer, particulièrement de M. le baron d'Haussez, des réponses qui plus d'une fois durent faire souffrir son orgueil. Du reste, le cabinet français était d'autant plus ferme dans ses réticences qu'une haute combinaison politique l'entraînait à rendre plus étroite et plus intime l'alliance qui l'unissait à la Russie.

La prise d'Alger fit naître à Londres une fermentation générale; les appréhensions populaires ne tardèrent même pas à s'exprimer ouvertement dans la Chambre des lords, où le marquis de Lansdowne interpella à ce sujet le duc de Wel

lington. «< J'espère, disait-il en terminant, que l'influence du gouvernement sera exercée d'une manière profitable pour l'Angleterre, et que, quelle que soit la détermination adoptée à l'égard d'Alger, l'avantage ne sera pas uniquement pour la France. » Paroles bien caractéristiques, qui prouvent que les cours étrangères en étaient venues à croire que la prise d'Alger ne serait suivie que d'une occupation semblable à celles d'Espagne et de Morée ; c'est-à-dire que, cette fois encore, la France aurait versé son sang et consommé d'immenses sacrifices pour le compte de l'Europe, et dans un élan exclusivement chevaleresque !

Le duc de Wellington, éludant avec soin les difficultés de la situation qui lui était faite, se contenta de répondre que le gouvernement ne manquerait à aucun des devoirs que lui imposait en cette occasion l'honneur du pays.

On comprend qu'en de telles circonstances la révolution de Juillet devait avoir en Angleterre un retentissement profond. Telle fut, en effet, l'impression qu'elle fit naître de l'autre côté de la Manche, telles furent les sympathies qu'elle excita chez le peuple anglais, qu'oubliant à l'égard de la France ses vieilles rivalités historiques, ses préventions héréditaires, il ouvrit spontanément des souscriptions en faveur des victimes et signa des adresses de félicitations au peuple français.

Le terrain était donc parfaitement préparé de ce côté, et Louis-Philippe l'avait bien compris. Mais pour chercher et trouver un point d'appui chez cette nation dont la politique et l'orgueil avaient été froissés par le gouvernement de la Restauration, il fallait choisir un intermédiaire habile, exercé, agréable à ceux auxquels on l'enverrait, un plénipotentiaire très au courant des hommes et des choses de ce pays exceptionnel. Dès le principe le roi avait jeté les yeux sur le prince de Talleyrand, et cet habile personnage s'était, dans un entretien secret, résigné d'avance à accepter le poste difficile et important que Louis-Philippe lui avait mentalement réservé. Ajoutons en anticipant un peu les faits, puisque la date de cette nomination se reporte au 4 septembre 1830, que ce fut à l'initiative personnelle du roi et en dépit de l'opposition plus ou moins vivement formulée dans le conseil par MM. Dupont (de l'Eure), Laffitte et Bignon, que le prince de Talleyrand dut l'honneur d'aller représenter la France à Londres dans ces circonstances difficiles. Par lui l'alliance anglaise devait être recherchée et cimentée; il en était, pour ainsi dire, l'incarnation, et, du reste, се choix significatif ne contribua pas peu à éloigner définitivement l'empereur de Russie du gouvernement français, pour lequel il n'avait que des répulsions instinctives, répulsions qu'il eût été

facile de combattre par la politique des intérêts.

En attendant, le général Baudrand fut envoyé extraordinairement en Angleterre pour y notifier l'avénement de Louis-Philippe au trône, et les Anglais le reçurent avec toute la joie que leur causait la chute du gouvernement de Charles X.

Mais en même temps, le roi sorti des barricades de Juillet désirait faire une tentative directe auprès de l'empereur Nicolas Ier. Le général Athalin fut donc chargé de porter à Saint-Pétersbourg la lettre autographe suivante dont la rédaction, généralement attribuée au comte Molé, avait été soigneusement revue par le roi et même communiquée, dit-on, à M. Pozzo di Borgo, ambassadeur de Russie à Paris :

Monsieur mon frère, j'annonce mon avénement à la couronne à Votre Majesté par la lettre que le général Athalin lui présentera en mon nom; mais j'ai besoin de lui parler avec une entière confiance sur les suites de la catastrophe que j'aurais tant voulu prévenir.

«< II y avait longtemps que je regrettais que le roi Charles et son gouvernement ne suivissent pas une marche mieux calculée pour répondre à l'attente et au vou de la nation. J'étais bien loin, pourtant, de prévoir les prodigieux événements qui viennent de se passer, et je croyais même qu'à défaut de cette allure franche et loyale dans

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