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légitime. Aussitôt la municipalité se réunit à l'Hôtel de Ville; on discuta longuement la proposition du prince, et il fut décidé que le général d'Hoogvorst, accompagné de cinq notables influents, se rendrait à Vilvorde, pour y demander avec instance que le gouvernement accordât le renvoi de M. Van Maanen et le redressement des griefs. Cette députation devait encore inviter les princes à entrer dans Bruxelles sans autre escorte que celle de leurs aides de camp, afin de juger par eux-mêmes du véritable état des choses, marque de confiance que la population ne manquerait pas d'accueillir avec enthousiasme.

Lorsque le baron d'Hoogvorst et ses collègues furent introduits dans le cabinet du prince d'Orange, ce dernier, remarquant les rubans tricolores qui ornaient leur chapeau et la boutonnière de leur habit, dit aussitôt : « Vous connaissez le Code pénal, Messieurs, et vous savez sans doute que j'aurais le droit de vous faire arrêter si je me conformais strictement à ses dispositions, puisque Nous vous portez un emblème de révolte? regrettons vivement de paraître en votre présence, Monseigneur, d'une façon qui, peut-être, semble peu respectueuse à Votre Altesse, répondirent les envoyés; ces couleurs ne sont pas le symbole de la révolte, mais celui de la nationalité belge, et elles ont été adoptées pour empêcher que le

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drapeau français fût arboré sur les édifices de Bruxelles. » Après quelques instants d'un entretien plein d'affabilité, le prince ajouta que, n'ayant que des pouvoirs limités, lui et son frère demanderaient, comme mesure préliminaire, le rétablissement des insignes royaux. Vainement le baron d'Hoogvorst chercha-t-il à obtenir une modification à cette demande, les princes persistèrent dans leurs prétentions, et, au moment où la députation tout entière allait prendre congé, Guillaume d'Orange lui dit encore : « Messieurs, j'ai déjà fait connaître à deux de vos collègues ma résolution définitive; cependant, et pour éviter toute méprise, voici une copie de mes conditions; communiquez-les à vos concitoyens, et que Dieu vous amène à entendre la voix de la raison; quant à moi, j'ai fait mon devoir. >>

La députation était à peine rentrée dans Bruxelles que l'ultimatum des princes y fut généralement connu. Une excessive fermentation se manifesta bientôt, et les cris: «Aux armes! à bas les Hollandais! vivent nos couleurs ! » se firent entendre. La foule ne tarda pas à dépaver les rues, à abattre les arbres des boulevards pour élever des barricades, « tout comme à Paris, » disait-on. Les diligences et les voitures particulières furent renversées en travers des rues, où, avec des chariots, des tonneaux et des poutres, elles formèrent les

retranchements derrière lesquels des pavés, ces projectiles de l'émeute, furent promptement apportés. En un instant la ville fut en rumeur; les cris de la foule, le bruit des tambours, la blouse citoyenne, les armes diverses dont le peuple s'était emparé, et qui pour la plupart avaient jadis armé les soldats du duc d'Albe, tout cet ensemble frappait vivement par une extrême originalité.

Cependant les notables s'assemblaient à l'Hôtel de Ville pour y tenir un conseil, dans lequel on proposa d'accepter l'intervention des principaux membres du corps diplomatique, qui n'avaient pas encore quitté Bruxelles et s'étaient empressés d'offrir leur médiation officieuse. Bien que cette proposition fût vivement combattue par quelques-uns des membres du conseil, elle fut cependant adoptée, ainsi que le projet d'envoyer à Vilvorde une seconde députation, dans le but de demander quelques modifications aux conditions faites par les princes. Cette députation fut reçue au quartier général avec une sorte de solennité. Les deux fils du roi étaient assis devant une table, entourés de leur état-major. L'entretien s'engagea d'une façon fort animée, et le prince d'Orange renouvela l'énoncé de ses conditions. Les membres de la députation avaient, par un motif de convenance, ôté leurs rubans aux couleurs nationales; le prince revint en effet avec beaucoup de force sur la dou

loureuse impression produite en lui par la vue de l'emblème séditieux qui avait remplacé la cocarde orange; mais les députés discutèrent avec tant de fermeté cette question et celle de l'entrée des troupes, qu'à la suite d'une conférence des princes avec le ministre Van Gobbelschroy, il fut décidé que la garde civique de Bruxelles joindrait la cocarde des Nassau à la cocarde brabançonne, et que le prince d'Orange, portant lui-même les couleurs nationales réunies à celles de sa famille, entrerait dans la ville le lendemain matin, accompagné seulement de son état-major.

Les députés retournèrent en toute hâte à Bruxelles; ils avaient réussi dans leur mission. Une proclamation affichée le 1er septembre à la pointe du jour fit connaître les résultats qu'ils avaient obtenus. On invita les chefs de la garde civique à réunir leurs bataillons sur la place de l'Hôtel de Ville, et la proposition relative à l'ancienne cocarde fut acceptée sans difficulté. Malheureusement le prince d'Orange, cédant aux représentations de son frère, avait, pendant la nuit, adopté la résolution nouvelle d'exiger, avant son entrée dans la ville, l'abandon des couleurs brabançonnes. Deux aides de camp furent envoyés à quelques heures de distance pour parlementer sur cette question de détail avec les chefs de la garde civique, lesquels finirent par déclarer eux-mêmes

que désormais l'adoption simultanée de la cocarde orange et des couleurs brabançonnes était devenue impossible.

Cependant, le caractère franc et chevaleresque du prince d'Orange ne pouvait s'accommoder de semblables retards; comprenant que toute demande de concession était désormais inutile, il fit donc savoir qu'il allait entrer dans Bruxelles, et céder au vœu de ses habitants; c'était, il faut le dire, une noble et courageuse détermination, car tous les officiers qui l'entouraient, et le prince Frédéric lui-même, lui reprochaient d'aller chercher ainsi un péril sans gloire. Dès que cette résolution fut connue, la garde civique se réunit : elle se composait de près de cinq mille hommes, dont une grande partie était armée de fusils. Les sections des faubourgs avaient pour armes des piques, des faux, et de vieilles arquebuses. Bientôt elle se mit en marche, ayant à sa tête le baron d'Hoogvorst, et se dirigea vers la porte de Laeken.

A midi parut le prince d'Orange, suivi de quatre officiers et d'une faible escorte de cavalerie; toute la plaine était couverte d'une foule curieuse dont les regards se portaient avidement sur la route que le prince parcourait. Au moment où il allait traverser le pont, deux de ses officiers hasardèrent encore quelques représentations. « La Providence a souvent veillé sur moi, leur dit le prince, et à

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