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avait semblé au roi le meilleur refuge pour les ex-ministres pendant l'instruction de leur procès. Ils durent occuper d'abord quatre appartements séparés dans le pavillon de la Reine, puis on les transféra dans le donjon.

Leur attitude différait selon leurs antécédents et leur caractère : ainsi, tandis que MM. de Chantelauze et de Guernon-Ranville, pour lesquels l'infortune politique était une inconnue, paraissaient écrasés sous le poids de leur destinée, le prince de Polignac qui, par une coïncidence singulière, connaissait déjà ce donjon où il avait été renfermé sous l'Empire, conservait dans son abattement physique une apparence d'énergique impassibilité, et M. de Peyronnet un maintien d'une fierté en quelque sorte provocante, si toutefois cette épithète peut jamais être appliquée au malheur.

Des trois commissaires désignés par la Chambre des députés, M. Bérenger, criminaliste très-distingué, était évidemment le plus capable et M. Mauguin le plus connu 1. M. Mauguin, esprit ardent mais léger, caractère dominateur mais inconsistant, parole facile et élégante mais froide et peu accréditée, après s'être jeté avec enthousiasme dans la mêlée révolutionnaire de Juillet, après avoir joué un rôle important comme membre du gouvernement provisoire au milieu des événements si graves 1. Mort en 1854, pauvre et ignoré.

et si rapides qui s'accomplissaient alors, M. Mauguin n'est jamais parvenu à posséder entièrement la confiance d'un parti, la faveur parlementaire, la popularité d'un tribun redouté et respecté nature supérieure mais incomplète, comme on en rencontre si souvent dans le domaine de la politique, et radicalement impuissante à créer une position individuelle tout à la fois stable et élevée.

Les commissaires se rendirent à Vincennes dans deux voitures escortées par un peloton de gendarmerie; ils furent reçus par le vieux général Daumesnil, à la tête de la garnison rangée en bataille; honneurs rendus à la puissance parlementaire, et que M. Mauguin, dans son insatiable orgueil, eût souhaités plus grands et plus complets encore.

Les interrogatoires commencèrent. Un fait dominait toute la situation présente des ex-ministres. Seulement, en face de l'excitation populaire, il était difficile d'en accepter la rigoureuse logique : si les ministres, dans un gouvernement constitutionnel, sont responsables de leurs actes, c'est à la condition que cette responsabilité ne pèse jamais sur le souverain lui-même. Ici, au contraire, le chef de l'État avait été frappé aussi bien dans sa personne que dans sa dynastie, et rationnellement ses anciens conseillers politiques auraient dû être mis hors de cause. Mais les passions du moment parlaient plus haut que la stricte justice, et l'argument présenté

tout d'abord par M. de Polignac devait être écarté sans discussion sérieuse; d'ailleurs la responsabilité des vaincus vis-à-vis de leurs vainqueurs n'est-elle pas toujours, dans les choses humaines, une incontestable réalité ?

Le prince se reconnut signataire des ordonnancès de Juillet, refusa de dire lequel des ministres avait, le premier, conçu le plan du coup d'État, secret du conseil dont on ne pouvait convenablement exiger de lui la révélation; expliqua que le maréchal Marmont avait été tout naturellement investi du commandement de Paris, parce que le général Coutard se trouvait alors en province pour les élections, et, relativement à l'ordre donné de tirer sur le peuple, que, suivant les affirmations réitérées du maréchal, les troupes n'avaient tiré qu'après avoir été attaquées. Quant à l'ordonnance établissant l'état de siége, M. de Polignac déclara que la mesure était parfaitement légale à ses yeux, qu'il l'avait contre-signée et en assumait toute la responsabilité, quel que fût d'ailleurs le promoteur de la mesure. En somme, il s'efforça de couvrir, autant qu'il le pouvait, la personne de Charles X, et quelquefois aussi celle de ses collègues, témoignant dans cette difficile épreuve que, s'il n'avait pas eu l'habileté et la prévision politiques, il possédait du moins les vieilles traditions de la loyauté et de l'honneur.

M. de Peyronnet protesta d'abord contre le pouvoir, illégal selon lui, des commissaires désignés par la Chambre des députés. Il refusa de nommer l'auteur du rapport au roi qui précédait les ordonnances; déclara hautement avoir rédigé celles qui dissolvaient la Chambre et qui réglaient le nouveau mode d'élections, ajoutant que l'article 14 de la Charte, dans les termes duquel le gouvernement de Charles X s'était strictement maintenu, lui attribuait complétement le droit de faire ce qu'il avait fait. M. de Peyronnet imita du reste l'exemple donné par le prince de Polignac, et, tout en déclarant qu'il était demeuré complétement étranger aux mesures militaires adoptées par le maréchal Marmont, garda un religieux silence sur les tendances personnelles de Charles X.

MM. de Guernon-Ranville et de Chantelauze ne suivirent pas une même ligne de conduite; le premier déclara «< qu'il avait combattu les mesures édictées par les ordonnances, telles que la modification du principe électoral et la suppression de la liberté de la presse. » Il ajouta que ce projet de coup d'État avait été discuté et adopté du 10 au 15 Juillet, que sa coopération personnelle s'était bornée à signer les actes qui constituaient le coup d'État lui-même, mais que, quoiqu'il ne l'eût pas souhaité, il n'en déclinait pas la responsabilité.

Le second, M. de Chantelauze, s'avoua nettement

le rédacteur du rapport qui précédait les ordonnances, rapport si remarquable, il faut bien le dire, par les vérités éternelles en politique qu'il énonçait avec une grande vigueur d'expression, et cette attitude hardie, sans provocation ni forfanterie, eût certainement suffi, dans un autre temps, pour concilier au ministre tombé les sympathies de la foule.

Puis on procéda à l'interrogatoire des témoins, parmi lesquels se trouvaient MM. Arago, Casimir. Périer, Laffitte, Gérard; enfin M. Bérenger prépara un rapport qui garde l'empreinte des passions de l'époque, et dont la lecture ferait sourire les hommes d'État d'aujourd'hui. L'infirmité de l'esprit humain éclate surtout dans ces contrastes que quelques années d'une génération suffisent bien souvent à produire. Leçons de l'histoire éternellement frappantes, mais aussi éternellement stériles.

Cependant plusieurs cours de l'Europe se préoccupaient déjà de l'issue de ce procès. C'était une crise fatale qui, en ébranlant le trône de Juillet, pouvait peut-être le renverser; une dangereuse et décisive épreuve de l'autorité du nouveau souverain sur les haineuses passions qui cernaient, pour ainsi dire, de toutes parts sa royale et clémente volonté. Sortirait-il vainqueur de cette situation difficile? La question était très-sérieusement agitée par les cabinets européens.

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