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Louis-Philippe ne l'ignorait pas, et son plan était déjà tracé; faire présenter à la Chambre des députés une proposition tendante à l'abolition de la peine de mort et faire juger les ex-ministres par la Chambre des pairs, constituée en cour de justice, tel était ce plan, auquel adhéra le conseil, malgré quelques observations hasardées par Dupont (de l'Eure).

Dans la séance du 17 août 1830, M. Victor de Tracy proposa à la Chambre la suppression de la peine capitale. Une commission fut nommée, un rapporteur désigné. Ce rapporteur était précisément M. Bérenger. Il présenta, dans les premiers jours d'octobre, son rapport qui concluait à un ajournement, et la discussion s'ouvrit sur ces conclusions. Elle fut des plus animées : MM. de Tracy, de Lafayette, de Kératry, combattirent vigoureusement la peine de mort; ce dernier, abordant directement la question sous-entendue du futur procès des ministres, s'écria dans un langage tout académique : « Je l'atteste, Messieurs, s'il était possible de rassembler dans cette enceinte les parents et les amis des courageuses victimes de Juillet et de leur demander: Voulez-vous du sang pour du sang? parlez! le jury silencieux agiterait la tête en signe de refus, et retournerait avec sa noble douleur vers ses foyers déserts! » Vainement M. Eusèbe Salverte répondit : «Ainsi donc, à en

croire la voix trompeuse de l'humanité, il faudrait dire à de grands coupables: Vous avez voulu faire tomber nos têtes, conservez les vôtres; allez dans les pays étrangers jouir des richesses que vous avez amassées; le temps suivra son vol, les passions seront amorties, on ne lira plus sur nos murailles l'histoire de nos troubles qu'avaient gravée les balles et la mitraille. Alors la compassion publique s'élèvera sur votre exil, elle demandera qu'on y mette un terme, et vous pourrez ramener une fois de plus votre pays sur le bord de l'abîme. »> La Chambre vota, à une grande majorité, le projet d'une adresse au roi, demandant, dans certains cas, l'abolition de la peine de mort; et une députation dut aller présenter cette adresse au chef de l'État, qui lui répondit : « Le vœu que vous m'exprimez était depuis longtemps dans mon

cœur. »

Et ce n'était pas là une phraséologie vulgaire, mais bien la sincère expression d'une réelle et touchante vérité.

V

Les peuples marchent vite sur la pente des révolutions; le jour même où le prince d'Orange sortait

de Bruxelles fut signalé par la révolte de Louvain, provoquée par des rapports exagérés sur les intentions de la garnison hollandaise, qui, disait-on, voulait désarmer et châtier les habitants de cette ville. L'évidence de la faiblesse du gouvernement devait nécessairement accroître l'audace de ses adversaires. Liége, Mons, Namur, Tournai, Ath, Charleroi, Dinan, Verviers, sympathisaient déjà avec l'insurrection et paraissaient vouloir suivre l'exemple de Bruxelles. Les gouverneurs hollandais des provinces flamandes avaient perdu toute leur autorité et devenaient incapables de s'opposer à l'explosion de l'opinion populaire.

Quant aux troupes commandées par le prince Frédéric, elles étaient ainsi réparties: un corps d'environ six mille hommes d'infanterie était réuni entre Vilvorde et Malines; la droite de son armée s'appuyait à la route de Gand, entre Assche et Bruxelles; la gauche s'étendait jusqu'à Dieghem, occupant la chaussée de Louvain et s'avançant jusqu'à Tervueren; la réserve occupait Contich et Anvers. Le prince semblait vouloir attendre ou des instructions nouvelles ou des événements nouveaux, laissant des partis de volontaires sortir de Bruxelles et venir engager avec ses avant-postes d'insolentes escarmouches. Ce fut à Vilvorde qu'il reçut la députation des notables qui venaient le conjurer d'unir ses efforts à ceux de son frère

pour obtenir la séparation. Mais bientôt il recula son quartier-général jusqu'à Anvers, et assigna aux troupes hollandaises des cantonnements plus éloignés de la capitale.

Cependant le prince d'Orange s'était promptement rendu à La Haye, où son arrivée fut saluée avec enthousiasme par le peuple, qui l'avait cru perdu. Fidèle à sa promesse, il conjura son père d'accorder la séparation administrative que demandaient les Belges; toutefois le roi Guillaume, qui avait accepté la démission de son ministre, M. Van Maanen, concession tardive accordée à l'opinion publique, ne voulut pas céder à une exigence d'une si haute portée. La session extraordinaire des ÉtatsGénéraux fut ouverte à La Haye le 13 septembre, et le roi se contenta, dans son message, de les inviter à décider : « 1° si l'expérience avait démontré la nécessité de modifier les institutions nationales; 2° si, dans ce cas, les rapports établis par les traités et par la Loi fondamentale entre les deux grandes divisions du royaume, devaient être, dans l'intérêt commun, changés pour la forme ou pour le fond. >>

L'espoir que les provinces méridionales avaient conçu de voir redresser leurs griefs par les ÉtatsGénéraux s'évanouit bien promptement en présence de l'exaspération antipathique que la plupart des députés hollandais manifestaient pour les inté

rêts de la cause belge; et pendant ce temps, l'inquiétude et le désordre faisaient à Bruxelles de trop rapides progrès.

Vainement la commission de sûreté avait menacé d'un châtiment sévère les hommes qui troubleraient l'ordre légal; sa proclamation fut déchirée. Bientôt le peuple s'empara de l'Hôtel de Ville, désarma plusieurs postes de la garde civique, arbora les couleurs brabançonnes, se partagea plusieurs caisses de fusils, et, après avoir déclaré la déchéance de la commission, proclama un gouvernement provisoire à la tête duquel devaient être placés MM. de Potter, Gendebien et Van de Veyer. Le club SaintGeorge activait le mouvement révolutionnaire par tous les moyens possibles; il avait fait venir de la poudre en grande quantité, et, par ses inspirations, les femmes et les enfants passaient leurs journées à rouler des cartouches ou à fondre des balles. En un mot, la résistance prenait chaque jour un caractère plus sérieux.

Tandis que le peuple se préparait activement à défendre Bruxelles, de nombreux émissaires, envoyés au quartier général du prince Frédérie, affirmaient que l'anarchie et le désordre étaient dans le camp des révoltés, que la moindre démonstration de force ferait tomber les barricades et disparaître les rebelles; enfin que la garde civique elle-même, fatiguée de l'émeute et désireuse du repos, se mon

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