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jusqu'alors paisibles et inquiets spectateurs de la lutte, commençaient à y prendre part et voulaient venger la destruction de leurs propriétés. MM. Gendebien et Van de Weyer avaient fait entrer dans la ville quatorze barils de poudre, et, pour exciter davantage le peuple, afficher sur toutes les places une proclamation sans signature, annonçant que le prince Frédéric avait promis à ses soldats le pillage de Bruxelles pendant deux heures. De moment en moment la position des Hollandais devenait plus critique; les volontaires, logés dans les édifices qui entourent et dominent le Parc, entretenaient contre les troupes hollandaises un feu meurtrier auquel elles ne pouvaient riposter qu'avec un désavantage évident. Une barricade avait été construite au coin de la place Royale et en face de la porte du Parc; postés derrière ce retranchement, des centaines d'insurgés faisaient continuellement pleuvoir sur les canonniers royaux une grêle de balles contre laquelle rien ne pouvait les abriter. Chose à peine croyable! les généraux hollandais, négligeant les précautions les plus ordinaires, ne firent construire aucun ouvrage pour protéger leur artillerie et leurs tirailleurs. Ces braves et malheureux soldats s'étaient créé une sorte de rempart avec les corps de leurs chevaux, mais tombaient presque tous sous les coups de leurs ennemis invisibles. Chose plus étrange encore! on ne fit aucune

tentative pour s'emparer de l'hôtel de Bellevue et des autres édifices qui servaient de forteresses aux insurgés. Le prince Frédéric s'était déterminé à rester sur la défensive, et à maintenir sa position au centre d'une ville dans laquelle il espérait toujours établir des intelligences. Martyr de ce système, aussi dangereux qu'inefficace, il ne perdit peutêtre la partie que pour n'avoir pas voulu la jouer.

Durant trois jours et trois nuits, le prince demeura dans cette attitude passive; assurément, il pouvait bombarder la ville et la forcer à arborer de nouveau la bannière orange. Mais lorsque cette proposition lui fut faite, il la repoussa avec horreur; noble mouvement d'un cœur généreux, dont la population de Bruxelles ne lui tint pas compte, en calomniant son caractère et en outrageant sa clémence.

Il avait fait connaître au roi comment de faux rapports l'avaient trompé sur le véritable état des esprits dans cette ville qu'il renonçait à soumettre par la force. Des instructions paraissent lui avoir été envoyées de La Haye, et, dans la nuit du 27, l'ordre fut donné aux troupes d'abandonner Bruxelles; elles évacuèrent en silence le Parc et les palais qu'elles avaient occupés, conservèrent pendant deux jours les positions prises par elles la veille de l'attaque, et commencèrent, le 29, leur mouvement de retraite sur Anvers, où se porta le quartier général. Les divers corps furent can

tonnés à Walhem, Dusse, Lierre et Boom. Le duc de Saxe-Weimar, qui avait pris le commandement de l'avant-garde, établit ses avant-postes au village de Sempst.

La perte des Hollandais fut environ de neuf cents soldats tués, blessés ou prisonniers; et parmi les blessés nous devons compter le lieutenant général Constant de Rebecque. La perte des Belges fut de dix-huit cents hommes tués ou blessés. Ainsi se termina cette expédition entreprise sous l'influence d'une erreur déplorable.

Bien que la retraite des troupes royales eût été effectuée dans le plus grand ordre et sans que les Belges songeassent à les poursuivre, elle fut le signal du soulèvement général de la Belgique. Les couleurs brabançonnes allèrent bientôt de clocher en clocher apprendre aux populations étonnées le triomphe de la cause populaire et la défaite des troupes envoyées pour comprimer la révolution naissante. Les chants de victoire qui retentissaient sur les places publiques de Bruxelles devaient promptement trouver un bruyant écho dans les Flandres, et, comme les murs de Jéricho s'écroulant aux sons de la divine trompette, l'édifice si péniblement élevé par le congrès de Vienne ne devait pas tarder à tomber aux cris d'un peuple soudainement épris de son indépendance et de sa nationalité.

LIVRE QUATRIÈME

I. Émeute du 18 octobre à Paris. Proclamation du préfet de la Seine. Changement de ministère Cabinet du 2 novembre. - II. Gouvernement provisoire en Belgique. Mission conciliatrice du prince d'Orange. Elle échoue. La ville d'Anvers est prise par les volontaires belges. Bombardement d'Anvers.-III. Situation de l'Europe. Naples et Guillaume Pépé. Avénement de Ferdinand II. Rome. Avénement de Grégoire XVI. Piémont. Grande-Bretagne. Élections et ouverture du parlement. Chute du cabinet Wellington. Prusse. Russie. Réponse de l'empereur Nicolas à la lettre de LouisPhilippe. IV. Le ministère Laffitte, deux systèmes en présence. -V. La Pologne. -VI. Soulèvement du 29 novembre. Dictature de Chlopicki. VII. Translation à Paris des ministres de Charles X. Leur procès.

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I

Louis-Philippe avait, en provoquant d'avance l'indulgence publique en faveur des derniers ministres de Charles X, accompli la moitié de la tâche qu'il s'était imposée; mais il lui fallait compter avec les haines populaires excitées par le parti de la révolution en permanence. Les républicains, trouvant avec raison que l'occasion était bonne, n'eurent garde de la laisser échapper. Une sourde fermentation excitée par eux se manifesta d'abord, puis l'émeute se montra au grand jour de la rue. Le

18 octobre, des groupes nombreux qui s'étaient formés dans les faubourgs, au Panthéon, sur la place Vendôme, se rejoignirent à un moment donné. Ils marchèrent sur le Palais-Royal en criant: Mort aux ministres! et en agitant un drapeau dont la devise reproduisait ce vœu sanguinaire. L'aspect de cette émeute était alarmant; composée d'hommes sans aveu et de meneurs prêts à tout oser, elle s'avançait en grondant vers la demeure du roi, dont elle ébranla les grilles fermées à la hâte. Quelques bataillons de la garde nationale et un régiment de ligne qu'on semblait vouloir dérober aux regards derrière les uniformes de la milice citoyenne, formaient la petite garnison du palais; elle fit si bonne contenance, que la sauvage multitude dut s'éloigner une première fois et prit le chemin de Vincennes. Averti de l'approche de ce sinistre cortége qui prétendait pénétrer dans le château et se faire justice par ses propres mains, le vieux Daumesnil vint audevant de lui, et déclara que, si on tentait d'aller plus loin, il ferait, plutôt que de rendre ses prisonniers, sauter le donjon en l'air. L'énergique attitude du brave soldat arrêta les bandes furieuses; elles rétrogradèrent vers Paris, tambour en tête, et leur flot vint encore se briser contre les grilles du Palais-Royal, où le conseil des ministres s'était réuni. On raconte que Louis-Philippe, se prome

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