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dont les efforts, paralysés de la sorte, étaient devenus inutiles. Enfin vers dix heures du soir, une députation précédée par un trompette parvint à un avant-poste hollandais, et remit une lettre dont elle était chargée par M. Rogier, récemment arrivé à Anvers comme délégué du gouvernement. Bientôt on l'admit dans l'intérieur de la citadelle, et les quatre personnes dont elle se composait se trouvèrent en présence du général Chassé. La lettre qu'elles avaient apportée demandait qu'une suspension d'armes fût accordée jusqu'au jour, moment où l'on pourrait reprendre les négociations, « qui, selon toute apparence, n'avaient été interrompues que par la faute de quelques soldats ivres. » Le général Chassé répondit aussitôt « qu'il consentait à la proposition qui lui était faite, à condition que ses troupes ne seraient pas inquiétées davantage; mais qu'à la moindre agression il recommencerait le feu, et qu'il engageait le gouvernement provisoire à nommer une commission ayant des pleins pouvoirs pour traiter avec lui dans la matinée suivante. » M. Rogier ayant adhéré à ces conditions, le général Chassé donna immédiatement à la flotte et aux batteries de la citadelle l'ordre de cesser le feu. Le bombardement avait duré depuis quatre heures jusqu'à onze heures du soir. Le mal qu'il causa fut très-grand sans doute, mais dans le moment même on l'exagéra. L'estima

tion générale des pertes s'éleva à près de quatre millions de florins. Il y eut de part et d'autre environ cent hommes tués et deux cents blessés. Les deux partis se sont renvoyé mutuellement le reproche de cette catastrophe. L'histoire, pour être impartiale, doit dire que les généraux belges eurent le tort immense de soutenir l'attaque engagée par les leurs; mais qu'en profitant si vite de l'occasion qu'on lui offrait, le général Chassé se montra trop sévère. Il y a telles occasions où la patience change уа de nom et s'appelle générosité.

III

Cependant le bruit du canon de Juillet semblait être devenu pour l'Europe le tocsin des révolutions. Après avoir cherché un refuge momentané en Portugal et en Espagne, à l'issue du mouvement napolitain de 1821, le général Guillaume Pépé s'était embarqué pour Londres, où il ne tarda pas à se mettre en rapport avec les radicaux anglais de cette époque, sir Francis Burdett, sir Robert Wilson et le major Cartwright. Il voulut y poser les bases d'une société secrète, déjà nombreuse en Italie, celle « des frères constitutionnels européens » ; mais il s'aperçut bientôt qu'en Angleterre, dans ce

pays de grande liberté, de grande publicité, une société secrète semblait une anomalie véritable. Le duc de Sussex et sir Robert Wilson voulurent en connaître les statuts, uniquement par curiosité, et un jour que Pépé causait avec lord Holland de la société des Frères constitutionnels européens : « Je n'aime point, lui dit lord Holland, que l'on me parle de choses secrètes, parce qu'il m'arrive quelquefois d'improviser à la Chambre des lords, et alors je dis tout ce que je sais. »

En revanche, Guillaume Pépé obtint l'adhésion du général Lafayette, et lorsque la révolution de 1830 éclata tout à coup en France, il s'empressa de se rendre à Paris de Bruxelles où il était venu se fixer. Ses premières paroles furent pour demander le concours de la France dans l'entreprise qu'il méditait. « De quels secours auriez-vous besoin? lui demanda Lafayette. - De deux mille hommes, répondit Pépé; de dix mille fusils de munition, et de deux frégates qui escorteront l'expédition. Lafayette, trouvant ces prétentions très-modérées, demanda cinq ou six jours pour arranger, disait-il, cette affaire avec le lieutenant général du royaume qui devait bientôt être proclamé roi des Français.

Les jours se succédèrent pourtant, et Pépé n'obtint point de réponse. Enfin, M. de Lafayette ayant appelé auprès de lui le général napolitain, lui dit le roi des Français « semblait désirer beaucoup

que

voir le royaume des Deux-Siciles soumis à un régime constitutionnel, mais que, dans les circonstances où l'on se trouvait alors, Louis-Philippe ne pouvait faire autre chose que d'envoyer à son beau-frère, le roi François Ier 4, un mémoire où Guillaume Pépé exposerait de quelle façon on pourrait donner une constitution aux Deux-Siciles en évitant la moindre commotion révolutionnaire. >>

Alors Pépé remit à M. de Lafayette un trèscurieux mémoire qu'il avait fait rédiger, mais dont les idées politiques lui appartenaient en propre, et où nous trouvons le passage suivant :

« Dans l'état de détresse, de violence et de compression morale et matérielle où se trouve actuellement le royaume de Deux-Siciles, une nouvelle révolution dans ce pays est désormais devenue inévitable, et elle sera sanglante, parce que l'irritation des peuples est à son comble, et que maintenant il s'agit moins de sauver quelques principes que de défendre le droit sacré de l'existence de la nation. Là tout le monde est persuadé qu'il n'y a plus lieu à transaction: il faut que le gouvernement et les gouvernés se rencontrent sur le champ de bataille pour décider la lutte. En 1820, le peuple montra à quel degré de civilisation et de sagesse il était parvenu; il fit une de ces révolutions de salut

1. Né le 19 août 1777; mort le 8 novembre 1830.

qui visent aux choses et non pas aux personnes. Il est à craindre qu'il ne se jette aujourd'hui dans une révolution de vengeance qui renverse les personnes et les choses.

<< Ainsi le moyen unique de maîtriser une révolution imminente dans les Deux-Siciles est celui de la prévenir en se rangeant du côté de la raison et de l'inflexible nécessité. Il faut que le roi lui-même en prenne franchement l'initiative, et qu'il donne la Constitution établie en France, sauf toujours les modifications qui pourraient être exigées par des circonstances de localité. Le roi de Naples a certainement le droit de le faire, à moins qu'il ne veuille se considérer lui-même comme dépouillé de son autorité souveraine. La possibilité du succès est assurée, parce que la nation française, placée à la tête de la civilisation européenne, riche de force et de gloire, avec un prince qui se trouve attaché à la dynastie de Naples par les liens du sang, ne refusera certainement pas de faire usage de sa prépondérance morale et redoutable pour le soutenir dans une aussi salutaire entreprise. »

Ce Mémoire semblait prédire tous les faits qui se sont produits plus tard; il fut envoyé à Naples par le roi et la reine des Français. François Ier déjà souffrant de la maladie qui devait le conduire au tombeau, fit répondre qu'il remerciait Pépé et qu'il songerait à son Mémoire, mais que le

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