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continuer mes relations diplomatiques et amicales avec la cour de France.

« J'ai appris avec un profond regret la situation des affaires dans les Pays-Bas. Je déplore que le gouvernement de Sa Majesté Néerlandaise ait été impuissant pour préserver ses États de la révolte, et que la sage mesure par laquelle il a soumis les vœux et les griefs de son peuple aux délibérations d'une assemblée extraordinaire des États-Généraux n'ait pas amené de résultat satisfaisant. >>

Ce discours de Guillaume IV exprimait nettement la pensée politique du cabinet. La révolution survenue en France y était acceptée par des expressions mesurées, presque bienveillantes, tandis que la révolution de Belgique, au contraire, inspirait la désapprobation la moins déguisée. A quoi tenait cette différence? Pourquoi le cabinet de Londres approuvait-il les événements qui avaient éloigné le roi Charles X du trône de France, et blâmait-il ceux qui venaient de séparer la Belgique de la Hollande ?

C'est que le gouvernement britannique n'avait pas vu sans irritation et sans crainte la politique française adopter, dans les dernières années de la Restauration, une marche toute nouvelle, et M. de Polignac travailler à former avec la Russie une alliance étroite dirigée surtout contre l'Angleterre. Plan qui pouvait sembler national, puisque, s'il

permettait à la Russie d'établir sur le Bosphore sa prépondérance matérielle ou morale, il devait en revanche rendre à la France ses frontières du Rhin et toute la puissance territoriale que les traités de 1815 lui avaient ravie. Ajoutons que le roi des Français était bien connu en Angleterre par le long séjour qu'il y avait fait pendant l'émigration, et les relations intimes qu'il n'avait cessé d'entretenir avec les grands seigneurs de ce pays, entre autres le duc de Clarence et le comte Grey.

La position de l'Angleterre à l'égard de la Belgique était complétement différente. La révolution belge avait, pour le cabinet anglais, l'immense tort d'apporter une grave modification aux traités de Vienne. En détruisant ce royaume des PaysBas, que les puissances signataires avaient mis tant de soins à édifier, elle ouvrait à l'ambition française une issue facile vers le Rhin et l'Allemagne. Il était à craindre pour l'Angleterre, dans le cas où les Belges voudraient s'unir à la France, que cette dernière nation ne contraignît le roi Louis-Philippe à subir l'incorporation malgré ses répugnances manifestes. Il y avait, de plus, dans la révolution belge des affinités redoutables; l'Irlande pouvait être entraînée d'autant plus facilement à en imiter l'exemple, qu'elle aussi dépendait d'un gouvernement qui ne parlait pas sa langue et ne professait pas son culte.

Telles étaient les appréhensions du cabinet britannique, lorsque le marquis de Bute vint présenter dans la Chambre des lords le projet d'adresse en réponse au discours de la couronne, projet qui, selon l'usage anglais, était l'exacte paraphrase des paroles royales. De vives interpellations furent adressées aux ministres, particulièrement par le comte Grey « De quel droit, s'écria-t-il, le cabinet ose-t-il blâmer la conduite politique des Belges, faire l'éloge du gouvernement qu'ils ont abattu, et les signaler comme des sujets révoltés? Ne devrions-nous pas plutôt mettre à profit les cruelles leçons que cachent ces événements, et quand l'esprit de liberté se soulève de toutes parts autour de nous, préserver nos institutions du péril qui les menace en y introduisant des réformes tôt ou tard inévitables? >>

Le duc de Wellington répliqua : « Loin de m'associer aux mesures auxquelles le noble lord vient de faire allusion, je déclare, en ce qui me concerne, que tant que je conserverai quelque autorité dans l'administration du pays, je croirai de mon devoir de m'y opposer. » Mais ces paroles, qui constataient que le ministre se départirait moins que jamais des doctrines exclusives et un peu surannées du parti tory, avaient perdu toute por

1. Né le 1er mai 1769; mort le 14 septembre 1852.

tée par suite de la position désespérée où se trouvait le ministère lui-même. Les attaques véhémentes qu'il eut à subir pendant la discussion de l'adresse donnèrent quelque éclat à cette longue agonie politique; elle devait être abrégée par une circonstance assez puérile dans son principe, mais dont les passions des adversaires du cabinet parvinrent sans peine à agrandir les proportions.

Selon une coutume anglaise, le nouveau souverain à son avénement au trône, et sur l'invitation qui lui en est faite par le lord-maire au nom de la Cité de Londres, doit dîner en grande pompe à Guildhall, M. Key ayant en conséquence présenté au roi la requête habituelle, la cérémonie avait été fixée au 9 novembre; mais le 7, les ministres informèrent le représentant de la Cité que la réunion ne pouvait avoir lieu. La nouvelle, rapidement propagée, émut au plus haut degré la population, et les membres du cabinet, interpellés dans les deux Chambres, déclarèrent que M. Key avait appris de bonne source qu'on devait profiter du désordre inséparable de toute solennité publique pour attaquer la suite du roi, et pour assassiner le duc de Wellington.

L'esprit de parti, s'emparant aussitôt de cette déclaration, reprocha aux ministres une impopularité qui contraignait le roi à priver les habitants de Londres de sa présence, et on alla jusqu'à les

accuser de félonie, puisqu'ils auraient dû, disait-on, exposer mille fois leur vie plutôt que de laisser un seul instant supposer que Guillaume IV pût trouver des ennemis parmi ses sujets. En Angleterre, de pareilles attaques sont mortelles. Il ne s'agissait donc plus pour le cabinet que de se retirer sans honte, lorsqu'un vote hostile des Communes vint fort à propos lui en offrir l'occasion.

Le 15 novembre, le lord grand chancelier présentait à la Chambre haute un nouveau bill ainsi conçu :

« Qu'il plaise à Leurs Seigneuries de décréter que si le roi actuel ne laisse pas d'enfants à sa mort, la duchesse de Kent, auguste mère de la princesse Victoria (née le 26 mai 1819, âgée par conséquent de onze ans et demi), héritière présomptive de la couronne, sera tutrice de la jeune reine et régente du royaume jusqu'à ce que la princesse Victoria ait atteint l'âge de dix-huit ans ; que si le roi Guillaume IV laisse la reine enceinte, et qu'il naisse un enfant posthume, la reine actuelle sera la tutrice de son enfant et régente du royaume jusqu'à sa majorité. »

Au même moment, le chancelier de l'échiquier soumettait à la Chambre des communes le bill concernant la liste civile du nouveau roi. L'opposition s'accrut en remarquant que le chapitre des pensions, ou grâces particulières, absorbait à lui seul

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