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tion telle qu'elle se présentait en réalité. Sa confiance en lui-même ne lui permettait pas de supposer un instant que la Chambre fût disposée à le renverser; illusion qu'il conserva jusqu'au dernier jour. Trois hommes dominaient presque entièrement l'assemblée, trois des ministres qui avaient appartenu au dernier cabinet, MM. Casimir Périer, Guizot et Dupin. Tous trois, en suivant des voies différentes, marchaient au même but la consolidation de la monarchie de Juillet par l'ordre et la résistance aux doctrines révolutionnaires. Tous trois, diversement inspirés, détestaient également l'anarchie dans les idées et dans les choses: Casimir Périer comme industriel, M. Guizot comme historien, M. Dupin comme jurisconsulte; chacun sous l'empire de ses instincts d'autorité gouvernementale.

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Dès la première séance après les élections, le 4 novembre 1830, la Chambre montra bien quelle était la nuance politique de sa majorité en appelant à la présidence Casimir Périer lui-même. Le ministère, qui avait présenté M. Girod (de l'Ain), ne voulut pas voir un échec dans cette nomination. C'était toutefois un avertissement dont il aurait pu profiter, mais il n'en fut rien. Les bancs ministériels, momentanément déplacés, allaient jusqu'à nouvel ordre se trouver transportés à gauche. MM. de Lafayette, Audry de Puyraveau, Mauguin,

1. Né en 1777; mort en 1832.

Odilon Barrot, devenaient les défenseurs naturels du cabinet.

La situation des deux partis ne tarda pas à se dessiner, et au sujet d'une proposition de M. Bavoux relative à l'affranchissement des journaux, M. Guizot fit entendre ces paroles : « On nous a accusés plus d'une fois de ne pas comprendre la révolution de Juillet, de ne pas être dans le mouvement, de ne pas pousser cette révolution jusqu'au bout, telle qu'elle avait été commencée; c'est là qu'est la question. Je la pose entre mes adversaires et nous, et je dis que ce sont eux qui ne comprennent pas la révolution; qu'au lieu de la continuer ils la dénaturent; je dis que c'est nous qui la comprenons. Je suis obligé de parler avec franchise. C'est nous, je le répète, qui avons compris notre révolution, qui avons travaillé à lui conserver son véritable caractère, tandis que nos ennemis ont travaillé à la dénaturer, à la pervertir........... Quel a été le caractère de cette révolution? Elle a changé une dynastie en resserrant ce changement dans les plus étroites limites possibles, elle a cherché le remplaçant aussi près qu'elle pouvait de la dynastie tombée. L'instinct national de liberté a poussé le pays au moment où la nécessité de modifications profondes se faisait partout sentir, l'a poussé, dis-je, à restreindre ce changement dans la plus étroite limite possible. »

A cette déclaration catégorique, M. Barrot répondit avec véhémence : « Je crois que les membres qui se sont retirés du conseil ont eu le tort de se méprendre sur les principes et la portée de la Révolution, et que c'est pour cela qu'avec des éléments immenses de force ils n'ont pas pu la continuer et la diriger. En effet, lorsqu'on vous a dit que la dynastie nouvelle a été choisie parce qu'elle était la plus rapprochée de la dynastie déchue, on vous a révélé tout le système de cette doctrine. Oui, on ne veut voir dans le nouvel état de choses qu'une espèce de continuation de la Restauration. Je dis que, dans mon opinion, c'est par ses dissemblances et non par ses ressemblances que notre nouvelle dynastie se recommande à l'estime, à la confiance et à l'amour du pays; c'est parce qu'elle est séparée de l'ancienne dynastie par une immense distance, c'est parce qu'elle a son principe dans le vœu de tous, qu'elle se fonde sur un contrat libre et réciproque et non sur la force étrangère, sur un droit divin que l'on ne fera plus jamais comprendre aux peuples. » C'est ainsi que s'établit ouvertement l'antagonisme qui devait diviser les deux partis durant tout le règne de Louis-Philippe; c'est ainsi que se trouva nettement posée la distinction entre les deux systèmes qui allaient désormais séparer les hommes de Juillet.

Le 13 novembre, M. Mauguin interpella les mi

nistres sur la politique qu'ils entendaient suivre à propos de la question belge; mais généralisant sa pensée, il parla des traités de 1815, des réfugiés espagnols auxquels, disait-il, le pouvoir n'accordait pas un suffisant appui, et termina en exprimant des craintes sur les intentions du gouvernenement relativement à la conservation de notre conquête d'Alger. L'honorable maréchal Maison n'était pas de force à répondre à ce discours, qui avait passionné l'Assemblée. Il crut devoir le tenter comme ministre des affaires étrangères, mais cette tâche ne fut qu'incomplétement remplie. M. Bignon lui succéda, et insistant sur le mot de révolte prononcé dans le discours du roi d'Angleterre à propos de la révolution belge, il fit une allusion, presque un appel aux passions guerrières de la France. Quelques jours plus tard, le 1er décembre, M. Laffitte crut également utile de faire entendre à la Chambre des paroles belliqueuses tout en indiquant clairement quelles étaient les vues et quelle serait la politique du cabinet. M. Thiers dut rédiger un discours que le président du conseil viendrait lire à la tribune, et il y mit toute la chaleur, toute la passion d'un esprit dont la tendance était naturellement guerrière. Le roi avait trouvé ce discours trop hardi, il y avait même fait de sa main d'assez nombreuses corrections, mais M. Dupont (de l'Eure) lui adressa sur ce sujet de rudes

remontrances; il alla même jusqu'à menacer de déposer son portefeuille, et Louis-Philippe, qui avait encore besoin de ce ministère, céda momentanément, sauf à prendre plus tard sa revanche.

M. Laffitte prononça donc le discours en présence d'un auditoire nombreux et ému : « Nous continuerons à négocier, dit-il, et tout nous fait espérer que ces négociations seront heureuses; mais en négociant, nous armerons. Sous très-peu de temps nous aurons, outre nos places fortes approvisionnées et défendues, cinq cent mille hommes en bataille, bien armés, bien organisés, bien commandés; un million de gardes nationaux les appuiera, et le roi, s'il en était besoin, se mettrait à la tête de la nation. Nous marcherions serrés, forts de notre droit et de la puissance de nos principes. Si les tempêtes éclataient à la vue des trois couleurs et se faisaient nos auxiliaires, nous n'en serions pas comptables à l'univers. »

Paroles chaleureusement applaudies et destinées à avoir un grand retentissement à l'étranger, si un événement plus retentissant encore n'était venu, tout en leur donnant un prompt et cruel démenti, absorber l'attention des cabinets européens. Cet événement grave et inattendu, c'était la révolution du 29 novembre à Varsovie.

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